L’autobus pour l’enfer

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La Mongolie à travers les steppes

Marc-André Morin – L’autobus pour l’enfer ou le paradis, parfois ça se confond. De Bayan Ulgii à Ulanbaator, il y a mille sept cents kilomètres et il manque sept cents kilomètres de route. Le seul moyen de transport, c’est l’avion, mais pour les braves et les nomades, il y a le bus, soixante mille tugriks au lieu de trois cent cinquante mille pour l’avion, deux jours et demi au lieu de trois heures.

L’autobus, un Nissan des années quatre-vingt-dix, est censé transporter trente-cinq passagers, mais il en transporte cinquante. Ils sont deux chauffeurs qui se relaient, on n’arrête que pour l’essentiel : yourte restaurant, carburant et un break pour les fumeurs ou ceux dont la vessie menace d’exploser. La vibration est telle que l’une des principales activités pour les passagers est de repousser les sacs qui menacent de tomber des porte-bagages.

Mes compagnons, Khanet, son fils Sultanbek et son neveu Oljas qui a aussi été mon guide.

Mes compagnons, Khanet, son fils Sultanbek et son neveu Oljas qui a aussi été mon guide.

Lorsque j’ai commencé à poser des questions à ma famille d’accueil au sujet de ce voyage en bus, ils ont tout fait pour m’en décourager, aucun étranger ne prend ce moyen de transport, ceux qui tenteraient l’expérience risqueraient de flancher et de retarder tout le groupe. La compagnie ne veut surtout pas de problèmes, ils espèrent seulement continuer à opérer d’ici la construction d’une route dans quelques années. Ce n’est pas un voyage, c’est presque un rite initiatique. Le fond sonore est occupé par les classiques kazakh et mongol que tout le monde connaît par cœur, on se sent comme dans un karaoké à Astana ou Oulambaator, ça renforce la solidarité du groupe. Si la musique devient trop moderne ou sonne trop électrique, les passagers se plaignent, même l’auteur de ce texte est intervenu à quelques reprises. Le rockurbain comme trame sonore d’une aventure nomade ça jure.

Transmission de rechange

Si cette transmission devait rassurer les chauffeurs, elle a inquiété plus d’un passager.

Il a des choses qu’on ne peut voir qu’en Mongolie : le moteur de l’autobus est à la droite du chauffeur, son compartiment forme l’équivalent d’une table de cuisine à la hauteur du pare-brise; c’est là que se recroqueville le chauffeur de relève pour dormir. Il faut dire que ces chauffeurs semblent choisis pour leur taille modeste, ce sont de petits hercules de poche, lorsqu’on leur serre la main on compte nos doigts pour voir s’il n’en manque pas un ou deux.

Le troisième chauffeur

Le bébé de l’autobus

Le troisième chauffeur, après un beau dodo sur le moteur avec papa, on n’est pas si mal en point.

C’est comme ça que je l’ai baptisé, pour le voyage nous avions un véhicule d’escorte, il nous devançait pour vérifier l’état de la piste et voir à ce que la bouffe soit prête à l’heure dans les restau-yourtes. Dans ce VUS voyageaient l’épouse d’un des chauffeurs et le fils de deux ans. Lors d’un arrêt, le petit a senti venir sa carrière de chauffeur, il a piqué une crise spectaculaire, je crois même qu’il faisait peur à son père. Le deuxième chauffeur, attendri par la détermination de l’enfant, dit a son collègue, en mongol, l’équivalent de (enwèye j’va m’en occuper), il sortit la bouteille de kumuz (kumis), un lait de jument fermenté à très faible teneur en alcool avec un petit goût de yogourt, ça replace l’estomac et ça aide à dormir en regardant un gars couché sur un moteur qui jongle avec une balle. Le petit était très fier, on voyait sa petite tête observer son papa, on peut se tromper sur bien des choses, mais jamais sur la fierté d’un enfant, on voyait très bien qu’il participait à l’entreprise et que cela lui conférait un statut important. C’est comme ça que tout le monde l’a pris, après tout, ici l’amour des enfants est un vrai culte, personne ne capote à voir un bébé sur les genoux de son père conduisant l’autobus.

Poursuite dans la steppe

La steppe de montagne

C’est ça la steppe de montagne , une prairie qui s’étant à perte de vue entre les montagnes, si on suit la vallée on débouche sur une autre plaine.

À l’approche de la ville de Huvd, le chauffeur vit l’espèce de gros véhicule des patrouilleurs de la sécurité des transports. Habilement il s’est mis à dériver vers la droite, les patrouilleurs tentaient de nous rejoindre, mais ils perdaient du terrain, ils avaient pris le mauvais coté de la rivière. Dans cette vaste plaine ça prend vite l’allure d’une poursuite en mer, l’illusion se met vite de la partie, notre chauffeur donnait habilement l’illusion que nous suivions la même trajectoire alors que nous ne faisions que rouler dans la même direction quelques kilomètres plus à l’est et les obstacles qui nous séparaient devenaient de plus en plus infranchissables au lourd véhicule de la patrouille les éloignant d’un bon de trois quarts d’heure. Au poste d’essence lorsqu’on les a vu passer de l’autre côté de la ville, tout le monde a poussé un cri de joie. L’idée qu’ils suivaient maintenant le bus de touristes coréens nous faisait bien rire. Après trente heures de route, personne ne voulait passer des heures à attendre pour peut-être rester coincé là pour deux jours. J’étais en confiance, ils vérifiaient les boulons de roues régulièrement et ce sont des as du volant. Après nos six cents kilomètres de piste effroyables, nous étions devenus solidaires des chauffeurs et même de la compagnie de broche à foin pour qui ils travaillent.

Maintenant j’en suis certain, il n’y a pas de paysage plus grandiose ni plus exaltant que la steppe de montagne, j’ai toujours rêvé de voir ça quand j’écoutais Nuit sur la steppe d’Asie centrale d’Alexandre Borodine et Rimski Korsakov. En bonus je suis tombé sur une puissante pleine lune, on pouvait voir le vert de la prairie et les montagnes semblaient découpées dans du carton noir, l’intérieur du bus était éclairé comme si une voiture nous aurait suivis.

Les petits moments magiques

la pluie

Après la pluie le beau temps pour faire des photos.

Une mère venait de consoler son bébé, l’enfant revenait à de meilleures dispositions et tentait peut-être de se faire une nouvelle réputation. Il se tenait debout sur les genoux de sa mère lorsque la chanson la plus populaire en Mongolie se mit à jouer. Le bébé posa ses petites mains sur les joues de sa mère en bougeant la tête en parfait synchronisme et se mit à chanter (akidé akidé et plein d’autres paroles imprononçables) avec un rythme et un débit parfaitement harmonieux. J’ai dit merci au bébé en lui frottant sa petite tête ronde, pendant que sa mère essuyait discrètement ses larmes, je me suis dit : ça vaut deux jours de route abominables ces vingt secondes-là.

Un peu de fatigue n’a jamais tué personne

Après trente heures de route, je me sentais un peu fatigué, je voyais des yourtes au bord de la piste, je ne comprenais pas pourquoi ils continuaient de rouler. J’ai compris en essayant de ramasser de la nourriture sur mon sac qui était sur mes genoux; quand j’ai vu qu’elle disparaissait à l’approche de mes doigts, j’ai compris que j’hallucinais, je me suis dit: réveille on arrive pour vraie. La petite bâtisse en bloc de boue séchée était bien là et je voyais l’affiche [cypep mapket] et sur la yourte à côté s’était bien écrit [pyah3] un dépanneur! De la bouffe! Je me suis dit, c’est juste mon cerveau qui manque de sucre, je me suis engouffré dans la petite cabane et j’ai saisi deux énormes barres Mars, une que j’ai avalée en trois secondes et l’autre que j’ai donné à Oljas qui ne semblait pas en mener plus large que moi. Après le repas je suis sorti dehors, Oljas mon guide est venu me rejoindre pour me dire que tout le monde parlaient de moi dans la yourte. Il me dit: t’inquiètes pas, ils disent que tu n’es pas un touriste, que tu es aussi résistant qu’un Kazakh ou un Mongol, ils prennent ta présence comme un geste de respect et de solidarité, aucun touriste n’aurait le cran de faire ce voyage extrême avec les locaux.

Yourte en milieu urbain

La yourte défend son territoire courageusement, mais à Ulambaator le béton gagne du terrain même entre les montagnes.

Traire le lait de jument

Si on veut boire du kumuz il faut bien traire les juments et beaucoup de juments.

Ce long manteau de couleur peu discrète, c’est la chappas, aucun personnage public n’aurait le front de se présenter dans un évènement culturel en vêtements occidentaux.

Ce long manteau de couleur peu discrète, c’est la chappas, aucun personnage public n’aurait le front de se présenter dans un évènement culturel en vêtements occidentaux.

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