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Le voyage de mes rêves
Marc-André Morin – J’ai toujours rêvé d’aller en Mongolie. Je suis fasciné par l’histoire de ce peuple fier et nomade, issu d’une des grandes civilisations humaines. Mais ce que j’admire le plus aujourd’hui en mettant les pieds sur leur terre, c’est leur mode de vie 100 % écologique. La nature ici est pareille à celle d’il y a 5 000 ans. Les Mongols ne laissent aucun impact sur l’environnement, il n’y a ni ruines, ni poubelles ou dépotoir, sauf le cadavre d’une bouteille de vodka qui traîne quelque part au hasard d’une promenade… Ce pays au centre du centre de l’Asie centrale est d’une certaine façon, le centre du monde.
Je suis dans la province d’Olgii dans l’Altai, un énorme massif montagneux qui chevauche les frontières de la Russie, de la Chine, du Kazakhstan et de la Mongolie. Comme Asie-Centrale, on ne peut pas être plus central que ça! La cine est à deux heures de cheval et la Russie, à quelques heures en Jeep russe.
Le paysage est d’une beauté si troublante et bizarre qu’on croirait survoler une autre planète. Les montagnes sont vert-de-gris, le gazon mince et noir de roches qui dépassent. Il n’y a pas vraiment de routes, seulement des traces dans la steppe. On roule dans une direction un certain temps, puis on tourne à gauche entre deux montagnes, de l’autre côté c’est encore la steppe. Il y a des traces partout, ça, c’est une question de choix. Le village de Tesengel est situé au milieu d’une plaine de trente kilomètres carrés. Quand on arrive, on vise l’endroit du village par où on veut y entrer et on passe à l’endroit où ça roule le mieux. Les toits de couleurs vives égaient un peu le paysage à la fois dur et grandiose. Le temps est imprévisible. Il fait toujours soleil, sauf occasionnellement un petit nuage frais nous envoie quelques gouttes froides pour nous rappeler qu’à cinq mille mètres d’altitude, il y a encore cinq mètres de neige.
Comme choc culturel, on ne peut pas avoir plus radical. Tout est radicalement différent, ici nos références culturelles ne valent rien. Je suis arrivé en pleine campagne électorale et la seule chose que nous avons en commun avec eux, c’est que leurs politiciens ressemblent à des agents d’immeubles et viennent promettre des routes tous les quatre ans… Mais la famille nomade dans la boîte du gros Kama a l’air de s’en balancer royalement. Les nomades ne sont pas sur la liste électorale, depuis Gengis Khan et ils se foutent pas mal de la politique. Plusieurs d’entre eux sont des musulmans très cool et le chamanisme rôde toujours un peu autour. Les autres Mongols, la majorité, sont des bouddhistes discrets qui ont survécu à l’athéisme imposé par les communistes. La période communiste qui s’est achevée en 1992 avait détruit tous les temples, mais aujourd’hui, ils sont tous en reconstruction.
Et la fierté des gens, attention-là! Lorsqu’on vient d’un pays où il y a une crise identitaire toutes les trois semaines, c’est le coup de grâce. Ce sont des Kazakhs, personne sur la planète n’est plus fier que les Kazakhs. Ils sont fiers de leurs enfants, de leurs maisons, de leurs Land-cruiser, ou même de leur jeep Uaz 1967. Il y a des Kazakhs depuis deux mille ans de Pékin à Bakou (une distance de 5 511 km). Ils se sont toujours foutus des frontières et ils sont convaincus que quoi qu’il arrive, il y aura toujours des Kazakhs! Ça change de nos angoisses de peuple vaincu et de nos incertitudes. Mon hôte-guide et moi nous entendons sur la musique. J’écoute de la musique et des chants mongols ou des chants de gorge qu’on appelle «Khoomii» quand je roule chez nous. Mais en bonus, j’ai sa puissante voix de ténor qui me permet enfin de discerner les paroles des chansons.
Mon immersion est totale. Lorsque j’ai vu Sultanbek, le fils, couper du petit bois, ça allait. Mais quand Khannet a saisi la tête de mouton et coupé les cornes avec la hache, mes pires craintes se sont confirmées. Le choc culturel arrive pour vrai, la belle petite viande qui ressemblait à du foie c’était les poumons de la bête.
Photo de Marc-André Morin
Photo de droite : C’est écrit café en dessous TYHC3, mais du café ici oubliez ça, c’est tchai tchai. Je compte bien me reprendre en revenant en matière de bon café.
Photo de gauche : Une halte routière, soit l’équivalent de la patate du Gouin. Celle-ci est à 150 km de la ville de Tsengell Le décor de leur yourte expriment toujours la symétrie et l’harmonie des formes et des couleurs.
La barrière linguistique
Je baragouine un peu le russe, mais la responsable des communications c’est la petite fille de mes hôtes Assill, huit ans. Elle m’a montré à compter jusqu’à dix, à dire merci et tous les mots essentiels pour cohabiter au quotidien.
Heureusement qu’il y a aussi Atta, le grand-père. Nous avons développé un dialecte Anglo-Russo-Mongol pas parfait, mais qui dépanne. Assill est aussi ma comptable. Ils n’ont pas de pièces de monnaie, les coupures se multiplient comme une peste et se ressemblent toutes. Ça prend de très bons yeux pour ne pas se tromper et c’est elle qui pige dans l’énorme liasse de billets fripés pour payer mes minutes de téléphone au dépanneur.
Ici, tout le monde a son petit lopin de terre cédé par l’état moyennant des frais symboliques. Tout le reste est libre et on peut s’installer où l’on veut, c’est la culture de la liberté. Lorsqu’on se retrouve à la ville, ils sont soit ridicules à essayer d’avoir l’air modernes ou misérables comme des enfants perdus dans un trop grand magasin de jouets.