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Un impact colossal dans l’histoire de France… et la nôtre
Daniel Machabée – « La politique consiste à rendre possible ce qui est nécessaire. En matière d’État, il faut tirer profit de toutes choses, et ce qui peut être utile ne doit jamais être méprisé. »
Il y a 400 ans, le cardinal Richelieu devenait le principal ministre du roi Louis XIII. Surnommé « l’homme rouge » ou « Éminence », l’influence de cet homme sur les destinés de la France est indélébile. Beaucoup d’hommes ont joué un rôle dans la longue histoire de la France, tant pour son agrandissement que pour sa gloire; très peu ont joué un rôle fondamental dans la notion même « d’État français » comme celui que joua pendant 18 années, le cardinal de Richelieu. Premier ministre, il a adroitement adapté la raison d’État afin de renforcer le pouvoir royal et de poser les bases de l’empire colonial français, alors naissant. Souvent dépeint dans les romans et dans les films comme un être malfaisant, avide de pouvoir et ennemi de la royauté, il fut tout le contraire de cette épithète accolé par ses détracteurs les plus farouches en demeurant un fidèle dévot du pouvoir royal dont il était la puissante incarnation. Retour sur un personnage hors du commun qui a laissé sa trace en France, mais également sur nos frontières.
Le cardinal qui ne devait pas l’être
Armand Jean du Plessis de Richelieu naît le 9 septembre 1585 à Paris sous le règne du roi de France Henri III. Destiné comme son père au métier des armes, il doit changer ses plans de carrière en 1605 quand son frère aîné refuse l’évêché de Luçon. Nommé évêque le 18 décembre 1606 par le roi Henri IV, il termine son doctorat en théologie à la Sorbonne, commencé un an auparavant en 1607. Se rendant à Rome le 17 avril 1607 afin de recevoir l’investiture canonique, la rumeur prétend qu’il aurait menti sur son âge; en apprenant cela, le pape de l’époque, Paul V, se serait exclamé : « S’il vit longtemps, ce garçon sera un grand fourbe ! »
Prenant ses fonctions, Richelieu montre ses habiletés de réformateur catholique en étant le premier évêque de France à mettre en œuvre les réformes institutionnelles prescrites quelques années plus tôt par le Concile de Trente, en réponse à la Réforme de Luther qui créa le protestantisme. Le 24 août 1614, il est élu député du clergé aux états généraux de Paris, puis en devient son porte-parole. La mère de Louis XIII, Marie de Médicis, régente pendant la minorité de son fils, le nomme grand aumônier auprès de la très jeune reine de France, Anne d’Autriche, en 1615. Puis, un an plus tard, il est nommé secrétaire d’État aux Affaires étrangères, ayant désormais accès au très restreint Conseil royal.
Le 24 avril 1617, la reine mère tombe en disgrâce, et Richelieu doit fuir. Croisant le roi dans un couloir du Louvre, celui-ci lui dit : « Eh bien Luçon, me voici hors de votre tyrannie ! » Se réfugiant dans son château de Richelieu, affligé, il écrit son testament politique, croyant sa carrière terminée. Le roi le bannit même à Avignon le 7 avril 1618 où il s’évertue à écrire. Il n’a que 33 ans. Or, coup de théâtre : Marie de Médicis réussit à s’évader et prend la tête d’une rébellion contre son fils. Richelieu est alors demandé pour négocier entre la mère et le fils. C’est ainsi qu’il acquiert ses talents de négociateur avec comme promesse royale le galero, le chapeau de cardinal, qu’il obtient le 5 septembre 1622. Alors commence sa fulgurante ascension politique.
La politique du cardinal Richelieu
Prenant rapidement l’ascendant sur le jeune roi Louis XIII, ayant désormais non seulement son oreille, mais également sa confiance, Richelieu va définir les bases de l’absolutisme royal autour de trois grands principes : éradiquer le protestantisme en France en favorisant la soumission politique et militaire de ses chefs, abaisser la maison d’Autriche et abattre le pouvoir et les prétentions de la noblesse. En 1625, il le dit d’emblée au Conseil royal : « C’est chose certaine que tant que le parti des huguenots subsiste en France, le Roy ne serait absolu en son royaume. » La guerre est déclarée à ces protestants qui forment des États au sein de l’État. Avec une volonté inflexible, Richelieu donne l’ordre à l’armée de faire le siège de la ville de La Rochelle, place forte des protestants. C’est l’histoire relatée dans le roman des Trois Mousque-taires, mais en bien plus sanglant : une digue de 1500 mètres est construite autour de la ville qui l’isole complètement des renforts potentiels anglais, commanditaires des protestants. Le siège dure plus d’une année et se soldera par la mort de 80 % de la population de la ville. Le pouvoir royal en sort renforcé et Richelieu auréolé de gloire.
Face à la noblesse turbulente qui défie le pouvoir royal, Richelieu supprime les hautes charges occupées par les nobles et fait raser plus de 2000 (!) châteaux et places fortes, jugées inutiles pour la défense du royaume. Il donne également davantage de pouvoir aux intendants, chargés d’appliquer les ordonnances royales en province; il supprime les assemblées provinciales; il institutionnalise la police, la justice et les finances; il fait décapiter certains nobles qui se montraient hostiles à ses politiques; enfin, il rend illégaux les duels, fort prisés par la noblesse du temps.
Devant l’hégémonie de la maison de Habsbourg, Richelieu entreprend de la rabaisser. Ainsi, il aide la Hollande et la Suède en guerre contre les Habsbourg; la France déclare la guerre à l’Espagne en 1635 alors que Richelieu s’attribue le titre de « Grand maître et surintendant de la navigation », développant ainsi une armée de terre et une marine de guerre permanente. La guerre se soldera par l’indépendance du Portugal, l’annexion de l’Alsace, du Roussillon et de l’Artois par la France.
Ses grandes réalisations
Un des grands legs de Richelieu est sans conteste la création de l’Académie française en 1635, dont il devient le chef et le protecteur. Sa mission : purifier la langue française afin d’unifier le royaume en une langue commune. Dans un siècle où la France devient le centre du monde, la langue française est une véritable institution politique et s’impose désormais partout dans les cours d’Europe, en Russie et dans l’Empire ottoman. Il fait également reconstruire la Sorbonne et accorde aux artistes son soutien. C’est alors le siècle de La Fontaine, de Descartes, de Corneille, de Bossuet, de Malherbes, de Blaise Pascal, de Jean Guez de Balzac et de Molière, panoplie d’auteurs et d’intellectuels à qui la littérature et la grammaire françaises sont grandement redevables.
Soutenant les manufactures royales, il favorise la création des compagnies à monopole qui poseront les bases du Premier Empire colonial français. En 1627, il crée la Compagnie des Cent-Associés, dont il est membre, pour développer l’empire français en Amérique du Nord. Sensible aux demandes de Champlain, Richelieu comprend toute l’importance de s’intéresser aux territoires nouvellement découverts par les explorateurs français. Il signe le traité de Saint-Gernain-en-Laye en 1632 qui restitue la colonie après la prise de Québec par les frères Kirk en 1629. Malgré d’énormes difficultés, Richelieu a tenté d’encourager le peuplement de la Nouvelle-France et des Antilles en favorisant une politique d’immigration financée par les compagnies. En 1637, il favorise la fondation de l’Hôtel-Dieu de Québec, premier hôpital en Amérique du Nord. Comprenant l’importance de contrôler le territoire, il intensifie l’engagement militaire dans la colonie en menant des actions contre les colonies anglaises et en soutenant les alliances avec les Amérindiens pour contrer l’influence anglaise. Enfin, ombre au tableau : il interdit l’entrée des protestants en Nouvelle-France, ce qui aura une profonde incidence sur son développement démographique et économique. Quand on connaît le nombre de protestants français qui se sont installés dans les Treize colonies britanniques, on imagine aisément que l’histoire du Québec, et de l’Amérique, aurait été fort différentes s’ils s’étaient installés chez nous.
Richelieu avait une certaine idée de la France. Il n’hésitait pas à utiliser tout son pouvoir pour permettre à la France de surpasser l’Angleterre et l’Espagne. Il envoyait des missions en Perse, en Arabie, en Russie, en Guinée et en Abyssinie afin d’établir des ententes commerciales. Richelieu décède le 4 décembre 1642 à 57 ans. Son héritage culturel et politique est immense et fait partie des personnages incontournables de l’Histoire. Ses restes, profanés par les révolutionnaires de 1789, reposent à la Sorbonne, faisant office d’un socle pour une institution séculaire qu’il a rénovée et modernisée.