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Les hauts et les bas d’un docteur en musicologie
Sylvie Prévost – Ce pianiste nous convainc-t-il ? Les hauts et les bas d’un docteur en musicologie. Sous-titré « Les plus belles œuvres pour piano du XVIIIe au XXIe siècle », le concert de Viktor Lazarov nous a donné à entendre, grosso modo en ordre chronologique, un large éventail de styles musicaux dont on sent bien qu’il a soupesé tous les paramètres.
Commençant par Jean-Sébastien Bach, il nous a imposé une interprétation fouillée, mais très étrange à mes yeux. Si le jeu est bien détaché et les voix de la fugue très évidentes, des inflexions dans le rythme, de hoquets silencieux en fin de phrases musicales m’ont laissée extrêmement perplexe. Ce que j’aime dans Bach, c’est justement la fluidité de son discours, les échanges toujours bienveillants entre les voix malgré les dissonances, la limpidité et la cohérence de son propos. Tout ça est absent dans l’interprétation de Lazarov. Bach n’a pas besoin qu’on lui surajoute de l’information rythmique. Ce qu’on a entendu est peut-être « musicalement informé » (et, par ailleurs, comment peut-on être si certain de la façon dont Bach voulait que ses œuvres soient jouées ?), mais sont oubliés l’équilibre et l’intelligibilité, composantes essentielles de la musique baroque. Les sonates de Scarlatti qui ont suivi ont présenté les mêmes variations rythmiques. De semblables coupures dans le son, subites et inattendues, donnent l’impression que le compositeur passe du coq à l’âne. Chez Bach et Scarlatti, l’interprète me paraît s’imposer à la musique plutôt que la laisser se dérouler et respirer normalement.
La sonate de Mozart, surnommée Sonata semplice (Sonate facile), qui terminait la section baroque/classique du concert, est une pièce de saveur enfantine qu’il a jouée de façon enfantine. Pourquoi ne pas en extraire la subtilité, la dentelle, la fantaisie que d’autres savent en tirer ? Est-ce nécessaire de la réduire à son plus simple élément sans en faire ressortir la finesse ? Était-ce un regard en arrière dû aux difficultés personnelles dont le pianiste nous a brièvement parlé ? Un retour sur son enfance ?
La seconde partie a commencé par un Schubert dont, encore une fois, le rythme m’a paru incompréhensible. Par contre, les pièces de Rachmaninov et de Chopin ont semblé bien d’aplomb. Les voix senties, la musique pleine, compacte, du premier ont témoigné de beaucoup de talent et de travail abouti. Lazarov m’a aussi paru dans son élément en jouant les Nocturnes de Chopin, tous les deux fort apaisants. Pourtant, si les rubatos et les degrés d’intensité sont ici absolument à leur place, il est un peu tiède.
Nous avons eu droit, pour finir, à une pièce contemporaine « non choquante », comme il nous l’a présentée. En effet ! Il s’agit d’une sonate de Leo Purich composée en 2020. J’ai eu l’impression d’un compositeur très virtuose dans son métier. Ses thèmes se développent suivant une longue enfilade d’époques : on passe en quelques mesures du baroque au romantisme, jusqu’à la musique de film. De la même façon, le rythme varie sans cesse (décidément…). C’est un feu d’artifice très habile, mais dont l’effet est éphémère. L’intention du compositeur n’est pas claire, tout est en surface et virevolte. Je sais bien que c’est une caractéristique de notre époque, mais qu’en reste-t-il une fois le concert terminé ? Tant de travail qui s’évapore…
Je suis peut-être sévère dans mon appréciation. Peut-être vieillissante aussi, si vous le voulez. Je n’ai pas étudié la musicologie. Mais je pense que c’est une erreur de jouer de la musique en fonction d’une théorie ou de son humeur du moment, plutôt que de s’attacher à faire comprendre le discours du compositeur et à le faire chatoyer pour le public qui l’écoute. Chaque pièce de chaque période qui nous soit parvenue mérite de voir l’émotion qui lui est intrinsèque rendue de façon compréhensible par l’auditeur qui, de son fauteuil, tente de l’appréhender. La vision du monde de ces pièces doit résonner dans le présent, car c’est par les correspondances dans les émotions que notre histoire humaine reste cohérente et que la musique du passé continue à nous parler.
Le samedi 9 novembre 2024 : Le Grand Piano avec au piano Viktor Lazarov
Viktor Lazarov, piano ; J.S. Bach : Prélude et fugue en fa dièse mineur, BWV 883; D. Scarlatti : Sonate en ré mineur, K. 9, Sonate en si mineur, K. 27, Sonate en fa mineur, K. 466; W. A. Mozart : Sonate en do mineur, KV 545; F. Schubert : Impromptu, op. 90 no 3, andante; Serguëi Rachmaninov : Étude-tableau en mi bémol mineur, op. 39 no 5, appassionato; F. Chopin : Nocturne en ré bémol majeur, op. 27 no 2 : lento sostenuto, Nocturne en si bémol mineur, op. 9 no 1 : larghetto; L. Purich : Sonate pour piano no 2 op. 136 (2020) : 1) moderato con moto, adagio tranquillo, 2) andante, vivace, adagio cantabile, vivace.