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Le jour où la lumière revint dans la Ville-lumière
Daniel Machabée – Sauvez Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde! – Victor Hugo
Paris n’est pas seulement une ville ou la capitale de la France ; c’est un drame à ciel ouvert où chaque coin de rue nous ramène à l’Histoire. Surnommée la Ville-lumière en référence aux idées du siècle des Lumières qui émanaient de ses salons que les philosophes en ont écrits les prémices dans des livres souvent mis à l’index par le pouvoir royal. Ville phare aux multiples bâtiments emblématiques, siège de plusieurs expositions universelles et hôtesse à deux reprises des Jeux olympiques, Paris a de nombreuses fois été assiégée ou occupée : d’abord par les Romains alors qu’elle se nommait Lutetia (ils sont fous ces Romains !), assiégée par les Normands et les Vikings puis occupée par les Anglais au Moyen-Âge, assiégée par les armées protestantes lors des guerres de Religion au XVIe siècle (Henri IV pût entrer dans sa capitale en se convertissant au catholicisme, ce qui lui fit dire : « Paris vaut bien une messe ! », assiégée et occupée par les armées prussiennes et russes en 1814, assiégée de nouveau par les Prussiens en 1870 et enfin occupée par les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale. Faisons un retour sur cette dernière occupation qui est bien plus tragique que les magouilles insipides d’Occupation double…
La débâcle de la France et l’occupation allemande
Bien que la guerre à l’Allemagne fût déclarée le 3 septembre 1939 en réponse à l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht, il fallut attendre le printemps suivant pour voir de l’action à l’ouest de la ligne Maginot. En effet, les soldats cantonnés dans les bunkers de cette formidable ligne de défense restaient bien cois devant les soldats allemands cantonnés eux dans les abris de la ligne Siegfried. C’est l’époque de la « drôle de guerre. » Mais le
10 mai 1940, tout bascule. L’Allemagne nazie, en faisant accroire aux Alliés que l’offensive passerait par la Belgique comme lors de la Grande Guerre, a réussi un tour de force extraordinaire. Se frayant un chemin par la forêt des Ardennes pour prendre les Alliés de revers, la stratégie de la Blitzkrieg, la guerre éclair, bouscule les troupes alliées qui ne doivent leur salut qu’au miracle de l’évacuation de Dunkerque où Hitler a arrêté ses troupes trop longtemps.
Malgré la résistance des armées françaises qui se sont étonnamment bien battues, la brèche vers Paris est ouverte. C’est la débandade de la plus puissante armée du monde à cette époque. Le 8 juin, la nouvelle de la dislocation du front français arrive à Paris. La panique s’empare alors du gouvernement qui fuit précipitamment la capitale pour Bordeaux le 10 juin et déclare celle-ci ville ouverte le 13 juin, provoquant une évacuation massive de sa population. Les rues se vident d’une crainte imminente de bombardements. Le 14 juin, les troupes allemandes défilent sur l’avenue Foch. À 7 h 30, les autorités de la ville signent un cessez-le-feu. Paris n’est plus la capitale de la France et devient le centre du commandement militaire allemand en France. C’est le début d’une occupation qui va durer quatre années.
Les mesures d’occupation
Dès leur arrivée, les Nazis marquent leur empreinte fétide dans une ville qui n’est plus défendue dont les deux tiers de sa population ont fui. Comme le raconte l’historienne Christine Levisse-Touzé à propos de ces occupants, « ils marquent leur territoire symboliquement en remplaçant les drapeaux tricolores par l’oriflamme nazie sur les édifices publics, les sièges de la République, comme l’Assemblée nationale et le Sénat, qu’ils investissent. La Wehrmacht défile sur les Champs-Élysées. D’entrée de jeu, il y a cette force affichée de puissance occupante, bien qu’un des soucis de l’occupant allemand soit de maintenir la paix civile. Les habitants sont interdits de sortir. Les soldats allemands ont de leur côté ordre de bien se comporter sous peine de sanctions ; des affiches vantent, pour la population, les mérites de ces derniers (« Faites confiance au soldat allemand.1 »
Puis, de nouveaux panneaux voient le jour en langue allemande ; les horloges sont réglées sur l’heure de Berlin ; un nouveau cours monétaire entre le franc et le mark est instauré ; 400 millions de francs sont demandés quotidiennement à titre de frais d’occupation ; les principaux bâtiments sont réquisitionnés, dont l’hôtel Majestic qui servira au Haut commandement allemand. L’occu-pation allemande n’est pas improvisée ; les Allemands s’y préparaient depuis au moins trois ans en s’appuyant sur les plans du cadastre.
Le 18 juin, Adolf Hitler fait une visite éclair à Paris. Il passe en revue les troupes de la Wehrmacht. Le soir, il rentre à Munich pour rencontrer Mussolini et étudier la demande d’armistice du maréchal Pétain. Il reviendra quelques jours plus tard et visitera les principaux attraits de la ville. La propagande allemande s’est largement servie de cette visite afin de démontrer la victoire aux yeux du monde.
Pour la population, l’occupation allemande n’est pas facile, on s’en doute. La nourriture est rationnée, le charbon également. L’essence se fait rare et est réservée aux forces militaires nazies. Les queues s’allongent devant les boulangeries, rappelant ainsi les journées précédant la Révolution française. Puis, le 11 mai 1941, le calvaire des Juifs de France commence par l’inauguration de l’Institut d’étude des questions juives par la propagande nazie qui va mener aux persécutions et aux rafles quelques mois plus tard.
Paris brûle-t-elle ?
Les forces alliées débarquées en Normandie en juin 1944, on s’attendait à ce que les Américains foncent vers Paris, objectif politique important. Mais les généraux Eisenhower et Bradley prévoyaient plutôt contourner Paris pour ne pas ralentir leur progression vers l’Allemagne comme l’affirme Bradley dans ses Mémoires : « La ville n’avait plus aucune signification tactique. En dépit de sa gloire historique, Paris ne représentait qu’une tache d’encre sur nos cartes ; il fallait l’éviter dans notre marche vers le Rhin2. » D’ailleurs, la libération de la capitale de quatre millions d’habitants nécessitait alors 4000 tonnes de vivres par jour, ce que l’armée américaine n’avait pas.
Devant l’avancée rapide des Alliés et alors que la 2e division blindée du général Leclerc est aux portes de Paris, Hitler donne l’ordre impitoyable de détruire les ponts et les monuments de la capitale et de résister jusqu’au dernier homme pour créer un « Stalingrad » sur le front de l’Ouest. Le général von Choltitz n’a pas les moyens de résister, car il ne possède que 16 000 hommes. Il n’a pas l’intention non plus d’obéir à l’ordre d’Hitler. Quand ce dernier appelle à Paris pour demander en éructant « Brennt Paris? », il devient fou de rage quand la réponse fuse : « Nein ! Nein ! »
La libération de Paris
À l’approche de la division du général Patton et celle de Leclerc, des grèves éclatent dès le 10 août. Le 18 août, des pancartes sont affichées demandant la mobilisation des Parisiens. En représailles, 35 membres de la Résistance seront fusillés au Bois-de-Boulogne. Le 19 août, la Résistance française (Forces françaises de l’intérieur) sort de l’ombre et combat l’occupant allemand. Des barricades poussent un peu partout dans la ville, des escarmouches ont lieu contre les nazis et les FFI s’emparent de la Préfecture de police ainsi que de l’hôtel de Ville.
Le 24 août 1944, les Français entrent dans Paris par la porte d’Italie et la porte d’Orléans, pendant que les policiers parisiens sonnent le bourdon de Notre-Dame de Paris. Le 25 août, les Allemands signent la capitulation à la gare Montparnasse. Simultanément, Yvon Morandat prend possession de l’hôtel Matignon au nom du gouvernement français provisoire. Alors, le général De Gaulle fait son entrée triomphante dans sa capitale qu’il a quittée amèrement en juin 1940. Après avoir signé la reddition à Montparnasse, il se rend à ses anciens bureaux au ministère de la Guerre sur la rue Saint-Dominique puis à la préfecture de police, avant de se diriger vers l’Hôtel de Ville où il dira ces mots passés à la postérité : « Paris outragée ! Paris brisée ! Paris martyrisée ! Mais Paris libérée ! »
Ainsi, Paris libérée, retrouve ses lumières perdues. Cependant, elles ne brilleront jamais plus de la même intensité. La France ne sera jamais plus la même et Paris le nombril du monde, le miroir de l’humanité. On s’en ennuie comme chantait l’éternelle Édith Piaf :
Paris, c’était la gaieté, Paris,
C’était la douceur aussi.
C’était notre tendresse.
Paris, tes gamins, tes artisans,
Tes camelots et tes agents
Et tes matins de printemps,
Paris, l’odeur de ton pavé d’oies,
De tes marronniers, du bois,
Je pense à toi sans cesse.
Paris, je m’ennuie de toi, mon vieux.
1. Citée dans L’Express.
2. Omar Nelson Bradley, Histoire d’un soldat (A soldier’s history), Paris : Gallimard, 1952.