Le poids du passé 

Ciné-fille et ciné-gars en compagnie des artisans de La femme cachée. De gauche à droite : Serge Noël (producteur), Lyne Gariépy (ciné-fille), Bachir Bensaddek (Réalisateur) et Joanis Sylvain (ciné-gars). Devant : Athéna Henri (Léa) – photo : Perry Fermanian
Lyne Gariépy
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La femme caché 

Lyne Gariepy  – Le 11 août avait lieu au Cinéma Pine une représentation spéciale du film La femme cachée, en présence du producteur Serge Noël, de la jeune actrice Athéna Henri, et du réalisateur Bachir Bensaddek.

Avant la présentation, Bachir s’est présenté à la salle comme étant Antoine Bertrand, l’acteur du film. Après les rires des spectateurs, le réalisateur a averti le public que c’était la dernière fois qu’il riait pour les prochaines heures. Blague à part, et malgré quelques rires créés par des répliques dites par le personnage d’Antoine Bertrand, il est vrai que le film La femme cachée est un film lourd, à l’atmosphère claustrophobe, prenant parfois des airs d’un lent thriller

Le sujet, à lui seul, est sérieux. Bachir Bensaddek, nous présente, après son film Montréal la blanche, d’après sa pièce documentaire sur la diaspora algérienne créée en 2004, un nouveau portrait de femme immigrante ayant fui son passé. Inspiré de l’histoire vécue par une dame ayant approché le producteur Serge Noël à la fin de la présentation d’un film, le synopsis du film est tout sauf léger. Depuis qu’elle s’est installée au Québec, Halima (Naïlia Harzoune, parfaite), née en France de parents algériens, s’est forgé une identité bien à elle en occultant son passé traumatique. Lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte de son deuxième enfant et qu’elle apprend qu’elle aura, cette fois, un garçon, des souvenirs traumatiques refont surface. Elle doit alors avouer à son mari québécois, Sylvain (Antoine Bertrand, juste et touchant), qu’elle lui a menti sur sa famille pendant toutes ces années. Elle n’est pas orpheline comme elle l’a toujours soutenu : son père, sa mère, ses sœurs et ses frères sont bien vivants. Halima annonce du même coup à Sylvain qu’elle a besoin de retourner en France. Comme celui-ci refuse de la laisser partir seule, ils s’envolent ensemble vers l’Europe, avec leur jeune fille Léa (Athéna Henri, surprenante de naturel). Sur place, Sylvain suivra sa femme dans ce pèlerinage pour se réparer, découvrant progressivement les blessures profondes de celle-ci. Jamais il ne s’entendait à de telles révélations. 

Bachir Bensaddek a confié au public que le rôle d’Halima est un personnage féminin teinté de mystère au travers duquel se devine une force tranquille, un courage hors norme et une envie de vivre et surtout d’être heureuse, à toute épreuve. Certains spectateurs ont suggéré l’adjectif résiliente, mais Bachir lui préfère vraiment l’expression envie d’être heureuse, trouvant résilient trop lié à l’ingénierie. Le scénario, que Bensaddek a co-écrit avec Maria Camila Arias (Les oiseaux de passage, de Cristina Gallego et Ciro Guerra) raconte avec pudeur et respect le lourd passé d’Halima. Seules quelques images fortes et des silences éloquents suffisent à exposer les faits.

Pour le personnage du mari, qui n’était pas très défini dans le récit de base, l’équipe s’est fortement inspirée de la personnalité d’Antoine Bertrand, pour ensuite l’étoffer afin de lui créer une personnalité distincte de celle de l’acteur. « Je voulais un personnage pour lequel on aurait une adhésion immédiate, parce que dans les moments où les décisions d’Halima sont difficiles à comprendre, c’est à Sylvain qu’on s’accroche, c’est en lui qu’on se projette. Je voulais aussi explorer une forme d’inversion des rôles dans laquelle c’est l’homme qui est à l’écoute et pousse à la discussion. Sylvain est un peu la métaphore de l’immigration d’Halima au Québec. Elle est accueillie dans une société où elle peut se réinventer, trouver sa propre identité. Antoine a cette carrure, cette présence enveloppante qui chuchote : viens auprès de moi, je vais guérir l’enfant qui est en toi, nous raconte Bachir Bensaddek.

Tourné en France et au Québec, pour les besoins du film, l’intérieur de l’appartement des parents de Halima a été entièrement recréé en studio au Québec. Le réalisateur nous a raconté avoir fait appel au chef décorateur français Samuel Teisseire, pour sa connaissance des intérieurs de France, ajoutant même : « nous avons dû construire la maison de Montpellier entièrement en décors artificiels, faire venir des portes et fenêtres, et une baignoire, trouvées dans les déchetteries en France, et du papier peint entreposé depuis les années 1970 en Espagne. » Le résultat est suranné et très réussi. 

Mais la véritable vedette de la représentation au Cinéma Pine fut Athéna Henri, la jeune interprète de Léa. Résidente de Sainte-Adèle, la jeune fille de 10 ans (8 ans lors du tournage du film) a ébloui la salle, par son talent, son travail et son naturel impressionnant. Son jeu est juste et touchant. Et son désir de jouer, sincère. Ses réponses spontanées aux questions du public ont conquis la salle. 

Et, sachez que La femme cachée en cache une autre, car Halima n’est pas la seule dans ce récit.

2024; drame; Québec, Canada; 101 minutes; de Bachir Bensaddek; scénario de Bachir Bensaddek et Maria Camila Arias, avec Nailia Harzoune, Antoine Bertrand et Athéna Henry.

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