Réinventer le logement

Michèle Guay, conseillère à la Ville de Prévost
Léa Charbonneau
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Un défi pour l’avenir de Prévost

Léa Charbonneau – Dans la quête pour résoudre les défis de logement au sein de la MRC de La Rivière-du-Nord (RDN), les données récentes ne laissent aucun doute : des mesures audacieuses et innovantes sont nécessaires. À travers des chiffres éloquents et des analyses perspicaces, nous plongeons dans les profondeurs complexes de la crise du logement qui touche notre communauté. Ces données, essentielles et parfois accablantes, révèlent les contours d’une réalité où l’accès au logement devient de plus en plus précaire pour de nombreux résidents. Ce préambule jette les bases d’une exploration nécessaire et urgente des solutions potentielles, à travers le prisme éclairant des perspectives et des propositions de Michèle Guay, conseillère de la ville de Prévost.

Les chiffres en vrac

Source : Institut de la statistique du Québec, perspectives démographiques des MRC du Québec, 2021,2041

On dit souvent que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il est indéniable qu’ils révèlent souvent une réalité difficile à affronter, mais nécessaire pour résoudre les problèmes sociétaux. Le logement est la clé pour une population en bonne santé. À ce sujet, l’Institut canadien de recherche avancée affirme que l’environnement physique, social et économique dans lequel nous vivons contribue à 60 % de la santé individuelle. Lors d’un colloque sur le logement de la MRC de La Rivière-du-Nord le mois dernier, plusieurs données ont été mises en avant pour illustrer les fractures au sein de celle-ci. « Il est important de noter que nous n’avions pas les ressources pour obtenir des données précises sur Prévost. C’est grâce aux données recueillies par l’équipe du CISSSL et des organismes locaux que nous avons pu y accéder », explique madame Guay. Trois axes de ces données seront déterminants à analyser pour comprendre les solutions possibles, selon elle : l’accroissement de la population, la précarité économique et le développement résidentiel.

L’accroissement de la population

Le tableau 1.1 montre qu’à l’horizon 2031, la population âgée de 80 ans et plus augmentera de moitié, les 65 ans et plus occupant la deuxième position, tandis que les 18-64 ans constitueront la tranche d’âge la moins croissante.

Qu’est-ce que cela implique ? Plusieurs enjeux se profilent. D’une part, les besoins en santé et en services de proximité pour les personnes âgées deviennent une priorité. D’autre part, il est nécessaire de développer des logements à proximité de ces services. En fait, la création de logements est une priorité non seulement en raison du vieillissement de la population à venir, mais aussi face à une augmentation croissante des personnes vivant seules. « Nous observons une hausse du nombre de personnes vivant seules dans la MRC, y compris des parents monoparentaux, des femmes et des étudiants », explique la conseillère de Prévost. Selon les données mises de l’avant par le CISSS, plus de 30 % des familles de la MRC sont monoparentales. En outre, il convient de prendre en compte les travailleurs et les immigrants. Étant donné que les personnes vivant seules sont plus susceptibles de dépendre d’une seule source de revenus, il est plus qu’urgent de construire des logements abordables.

La précarité économique 

Face à cet enjeu, il est essentiel de souligner l’importance de la capacité d’achat des citoyens. Selon les données du Profil du Recensement 2021 de Statistique Canada, plus de 25 % des Prévostois sont locataires et consacrent plus de 30 % de leur revenu à leur loyer. Il y a une immense disparité avec les propriétaires qui eux sont seulement 8 % à consacrer plus de 30 % de leur revenu dans le loyer. Ce constat est particulièrement préoccupant, car selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), cela dépasse le seuil de l’abordabilité. À noter que le prix médian d’un logement dans la municipalité de Prévost, selon les données de la SCHL, est de 1030 $. Par ailleurs, les données montrent que les 1024 logements subventionnés ne représentent qu’environ 1 % de l’ensemble des logements locatifs de la MRC, et que 95 % d’entre eux se retrouvent à Saint-Jérôme. Bien que la démographie de Saint-Jérôme soit beaucoup plus importante (56 %), les autres Municipalités de la région font également face à des besoins urgents qui ne peuvent être satisfaits. Cet écart est particulièrement significatif, comme le montre le tableau 1.2. 

Les parcs immobiliers  

Source : Statistique Canada, profil du Recensement 2021

Il va sans dire qu’avec ces données, il est presque inconcevable pour une personne seule d’acheter une maison. Le tableau 1.3 montre que plus de 82 % des nouveaux chantiers de construction résidentielle à Prévost sont des maisons. En outre, les prévisions de demande en logement dans la RDN augmenteront de +4,8 %, soit un besoin de 8562 logements supplémentaires. Cette augmentation est préoccupante étant donné la hausse du coût de la vie et du nombre croissant de personnes vivant seules. Les besoins impérieux en logement dans la région sont en expansion; le tableau 1.4 montre que Prévost présente des besoins aussi importants ou supérieurs à d’autres régions comme Saint-Colomban, Sainte-Sophie et Sainte-Hyppolite.

Parlons cash

Madame Guay nous rappelle que « les Laurentides sont souvent négligées ». Elle souligne les difficultés rencontrées par la région pour obtenir un soutien des banques et du gouvernement. « Il faut au moins 1000 portes pour obtenir un financement minimal auprès des institutions financières », précise-t-elle. Outre les leviers bancaires, le gouvernement a également un rôle crucial à jouer dans cette problématique. « Malheureusement, peu d’actions concrètes sont entreprises en matière de logement. Les mandats changent et les subventions sont souvent attribuées de manière aléatoire et incomplète », déplore Michèle Guay. Elle met également en lumière les effets contre-productifs des réglementations provinciales excessives, citant en exemple la loi no 65, qui limite le droit d’éviction des propriétaires et renforce la protection des locataires âgés. « Cette mesure a pour conséquence que les propriétaires refusent de louer à des personnes de cet âge », explique-t-elle. Cet exemple est particulièrement frappant, car il montre comment les politiques de logement peuvent souvent ne pas régler les problèmes à la source, mais seulement en surface. C’est un peu comme appliquer un pansement sans désinfecter la plaie. En termes de ressources financières, bien que les municipalités disposent d’un certain budget, mada-me Guay souligne que Prévost, par exemple, n’a pas les moyens financiers suffisants pour entreprendre d’importants projets de construction de logements à faible coût. Surtout dans une municipalité qui compte plusieurs zones à forte rentabilité. « La ville ne pourrait pas à elle seule supporter les coûts que de tels travaux pourraient engendrer. » Ainsi, des fusions avec d’autres municipalités et des solutions innovantes s’imposent.

La révolution éco-sociale

Alors, construisons des logements ! Mais pas si vite, car c’est bien plus complexe que cela. Nous devons repenser notre modèle d’habitation. Le point de vue à 360 degrés que Michèle Guay a acquis grâce à ses expériences et à son diplôme d’historienne nous offre des pistes de solutions très intéressantes. Madame Guay met l’accent sur l’impact écologique majeur du pétrole, non seulement en termes de pollution, mais aussi sur le plan de l’écologie sociale. La dépendance accrue au pétrole dans la région a conduit à la disparition du train et à l’essor massif de l’automobile. Cette augmentation du transport individuel a entraîné un élargissement considérable des routes. Ainsi, la ville a été développée de manière à être dispersée et individualisée : « Prévost a été conçu pour des familles et non pour des personnes seules. Nous devons réfléchir à l’urbanisme, à la question du  et du pourquoi nous construisons », souligne-t-elle. « C’est une série d’impacts », insiste-t-elle. Actuellement, les ménages se fragmentent et le pouvoir d’achat de la population ne suffit plus pour soutenir ce type d’aménagement. « Ma préoccupation principale est l’équité. Nous devons repenser notre approche de la construction pour la rendre durable et efficace. » Pour cela, un plancher réglementaire est nécessaire, suivi d’un marché exempt de spéculation : « Nous devons avoir une portion du marché hors spéculation, représentant seulement 20 % du marché total. » Il est essentiel de se rappeler que le logement ne peut être simplement une affaire de profits, mais qu’il s’agit d’un besoin essentiel. Selon Michèle Guay, une solution prometteuse pour gérer la crise et s’éloigner d’une vision capitaliste de l’habitation serait d’encourager les coopératives. Une coopérative offre un mode de vie différent, où les membres, qu’ils soient âgés, étudiants ou parents célibataires, sont collectivement propriétaires des espaces communs. En devenant membres, ils paient une somme pour devenir actionnaires et contribuent tous aux frais d’entretien et de rénovation. C’est une forme d’entraide démocratique qui apporterait un souffle nouveau à la région et qui permettrait d’éviter que l’accessibilité au logement ne soit basée que sur certains critères. « Il y a aussi une idée que j’ai eue il y a quelques années, celle des studios collectifs », partage madame Guay. Cette idée de studios permettrait d’aménager des chambres sur un même étage avec des installations communes telles qu’une cuisine, une salle de lavage, un atelier ou une salle commune. On cherche ici à trouver des mesures innovantes qui pourraient avoir un effet d’enchaînement sur le futur : « Ces arrangements pourraient éventuellement entraîner la mise en place d’une fiducie », ajoute-t-elle.

Restons optimistes

Il n’existe pas de solution magique, bien sûr. Cependant, dire qu’il n’y a rien à faire est aussi faux que de prétendre que la crise n’affecte pas nos municipalités. C’est en repensant notre manière de gérer notre collectivité que nous pourrons éventuellement mieux prévoir et nous en sortir. La rencontre avec Michèle Guay a été inspirante et donne de l’espoir pour l’avenir.

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