Gens et bêtes (suite)

Gleason Théberge
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Gleason Théberge – Chacune dans leurs mots, les sociétés organisent à leur manière le réel qui les entoure. Et puisque les humains sont les seuls à nommer les choses et les êtres, dans la nôtre, les éléments immobiles, ceux qui croissent et les animaux non humains sont perçus comme différents de nous. Cette tendance à nous situer au centre du monde nous place ainsi au-dessus des autres éléments du réel et, grâce à notre imaginaire, seuls nos dieux, déesses et super-héros modernes créés à notre image parviennent à nous surpasser.

Or, nous savons désormais que c’est aussi dans les effets par nous créés sur tout ce qui nous entoure que se trouve la véritable gouverne de nos vies. Et pour notre propre survie, nous continuons d’apprivoiser les mystères du cycle de l’eau, du vent et des saisons. Même dans des univers lointains, nous cherchons encore à trouver les traces d’autres intelligences semblables à la nôtre, comme si l’univers n’avait pas d’intérêt sans nous et d’éventuels cousins, attendus impatiemment par des passionnés.

Certaines sociétés ont pourtant depuis longtemps choisi comme maître de notre destin le soleil égyptien (Aton), la déesse soleil japonaise (Amaterasu), le serpent africain du Congo (Chinamezi), l’oiseau-serpent nahuatl (Quetzalcoatl) ou la Grande Tortue continentale de nos Premières Nations. 

Or, nos compagnons non humains, même encore nommés comme étant nos inférieurs, nous servent déjà de miroirs et nous nous habillons de leurs forces et de leurs faiblesses. L’imbécile est un âne, et le courageux un lion. Le Roman de Renart et les fables de La Fontaine, qui en a repris un bon nombre des Grecs, les contes de Perrault, d’Andersen et des frères Grimm, et les écrits de la littérature jeunesse contemporaine les mettent en scène sous diverses fonctions symboliques imitant parfois nos propres hiérarchies.  

Tout au long de l’histoire des peuples, des noms d’animaux ont aussi été utilisés en guise de surnoms (et le sont encore) pour des rois (Richard Cœur de lion), et comme prénoms chez les anglophones et germanophones surtout : Tiger (tigre) Woods, William Lyon (lion) Mackenzie King; mais aussi pour des noms de famille, comme pour Virginia Woolf (loup), Wolfgang Amadeus Mozart, Eagle (aigle), Snake (serpent) Woodpecker (pic-bois), voire Fly (mouche) ou Raven (corbeau, aussi trouvé dans l’espagnol cuervo); sans oublier chez Einstein (une pierre), la finale en stein, évocation retrouvée en français dans l’incontournable Pierre.

Nous nous accaparons d’ailleurs chez nous des traits de nos amis autres animaux dans des expressions populaires comme ruer dans les brancards (résister), montrer patte blanche (prouver sa bonne foi), avoir une tête de linotte (cervelle d’oiseau), pleurer comme un crocodile (feindre le chagrin), lever les pattes d’un endroit (s’en aller), ronronner de plaisir (afficher sa satisfaction) ou comme le chroniqueur, qui coûte que coûte a pondu (produit) ce texte.

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