Cohabitation marcheurs cyclistes

Les vélos devraient être munis d’une clochette à vélo pour signaler leur présence aux marcheurs
Anthony Côté
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La gestion du risque dans les sentiers de plein air polyvalent

Anthony Côté – Vous êtes en vélo de montagne, vous êtes en descente dans un sentier peu achalandé. À cause de la pente du sentier, vous prenez de la vitesse. Il y a une courbe devant, mais elle est aveugle (visibilité restreinte). En entrant dans la courbe, il y a des marcheurs devant vous. Vous freinez juste à temps pour les éviter… cette fois. Vous vous dites : « J’aurais dû être plus prévoyant… on aurait dû me prévenir ». La descente était facile, aucun obstacle, le sentier semblait libre. Question : s’il y avait eu collision, qui serait responsable ?

Le point de vue du cycliste : « Le vélo de montagne est autorisé dans le sentier; il n’y avait aucun avertissement d’une courbe aveugle; le sentier était en descente, alors j’ai pris de la vitesse; quand j’ai pris la courbe et quand j’ai vu les piétons, j’ai freiné en tentant de les éviter… ».

Le point vu des randonneurs : « La marche est autorisée dans le sentier; nous montions dans un sentier pentu avec une courbe devant nous, il n’y avait aucun avertissement d’un danger imminent, qu’un cycliste en descente pouvait surgir; quand nous l’avons vu, il était trop tard ».

Une analyse en gestion du risque démontrerait que le risque d’un accident avec la configuration d’un sentier, tel que décrit, est élevé et que la probabilité d’un évènement dans cette section de sentier serait de moyenne à élevée. Des facteurs aggravants sont ressortis de l’analyse en gestion de risque :

  •  Tel que décrit et malgré un code de conduite du réseau de sentiers qui stipule aux cyclistes « Déplacez-vous à une vitesse vous permettant de réagir promptement en toute situation », cette configuration de sentier (sans signalisation) pourrait être considérée comme un piège pour le cycliste qui s’y aventure.
  • La conversion des sentiers d’hiver en sentiers polyvalents bidirectionnels accessibles à l’année nécessite une analyse des nouveaux risques associés à l’ajout des usages.
  • Des petits groupes (cyclistes comme marcheurs) sont souvent en discussion tout en circulant, ils peuvent être distraits. Il pourrait y avoir des enfants dans le groupe de marcheurs. Le cycliste pourrait être un novice ou dans sa première excursion dans le sentier. 
  • L’arrivée des vélos à assistance électrique dans les sentiers permet aux cyclistes de rouler plus vite. Ces vélos sont plus lourds, avec des temps et des distances de freinage plus grands.

La cohabitation des marcheurs et des cyclistes dans un même sentier a toujours été problématique. En entrevue avec Marie Tison de La Presse en septembre 2021, Francis Tétrault, qui était alors chargé du programme de vélo de montagne à Vélo Québec, parle d’un mal nécessaire : « … Si tu veux offrir une expérience 100 % satisfaisante et positive à chacun, ça prend des sentiers réservés. » Voici ce qu’affirmait Antoine Migneault, alors coordonnateur des programmes techniques à Rando Québec : « Les sentiers multifonctionnels, est-ce que ça peut fonctionner ? Oui ! Est-ce l’idéal ? Non, vraiment pas. … Le premier enjeu, c’est la sécurité. Un vélo, c’est assez pesant. Se faire accrocher ou se faire rentrer dedans, ça peut faire des dommages importants… » 

Énoncer dans un code d’éthique aux marcheurs que « La majorité des sentiers est partagée avec les cyclistes. Soyez vigilants, un cycliste peut ne pas vous avoir vu » cherche à transférer la responsabilité, à rendre le randonneur responsable de sa sécurité et à dédouaner le cycliste téméraire. Si une cause devait se retrouver devant un juge, il est fort à parier qu’une bonne partie de la responsabilité retomberait sur les gestionnaires de sentiers. Avaient-ils mis en place un programme de gestion du risque ? Avaient-ils identifié le risque d’incident inacceptable à cet endroit ? 

Le bout de sentier décrit ci-haut existe en plusieurs exemplaires dans les sentiers de plein air de la région. En « bon père de famille », les gestionnaires ont la responsabilité de réduire au minimum les risques aux usagers, voir d’éliminer le risque lorsque possible. Voici quelques pistes de solution pour le cas qui nous concerne :

  • L’option à privilégier est de créer un sentier réservé pour les cyclistes en descente. Il y aurait une voie de contournement à sens unique en descente. Le sentier original étant à double sens, les vélos arrivant en sens inverse (en montée) roulent plutôt lentement et ils continueraient d’emprunter ce sentier. Pour s’assurer que les cyclistes l’empruntent, une signalisation claire est à prévoir. De plus, le sentier réservé devra être intéressant pour ces derniers, avoir quel-ques petits défis (features ). Mais attention les défis devront respecter la classification « Vélo de montagne » du sentier original. 
  • En dernier recours, s’il n’est pas envisageable d’aménager un sentier réservé au cycliste, de la signalisation appropriée est requise avant de s’engager dans la courbe aveugle et, ceci, dans les deux sens. Il faut avertir les cyclistes en descente et les marcheurs (ou cyclistes) en montée d’une courbe aveugle devant eux. Voir le dispositif de signalisation D-240-6-D du ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec. 
  • Pour circuler dans les sentiers polyvalents, tous les vélos devraient être munis d’une clochette à vélo pour signaler leur présence aux marcheurs le plus tôt possible. En tant que marcheur, se faire surprendre par derrière par un cycliste n’est pas agréable. Une consigne supplémentaire aux cyclistes serait d’annoncer leur présence avec la clochette avant de s’engager dans l’une descente avec courbe aveugle. Une affichette à cet effet au haut de la pente serait requise. 
  • Dans les sentiers polyvalents, ne pas aménager des sentiers en pente descendante vers une intersection où un cycliste devra freiner sa course avant l’intersection. Il risque de terminer son freinage dans l’intersection. Réduire au minimum les intersections de sentiers.
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