De la nature humaine avide du pouvoir

Daniel Machabée
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Quand les hommes refusent de céder le pouvoir

Daniel Machabée – Nous sommes à six mois de l’élection américaine. Déjà, le candidat républicain, Donald Trump, s’est engagé à ne pas reconnaître les résultats démocratiques si le scrutin ne lui est pas favorable.

Selon l’Agence France presse à Washington, Trump aurait déclaré « Si tout est conduit de manière honnête, j’accepterai volontiers les résultats », quand interrogé sur la présidentielle dans le Wisconsin par le Milwaukee Journal Sentinel. « Mais si ce n’est pas le cas, alors il faudra se battre pour le bien du pays. » En 2020, souvenez-vous, il a contesté les résultats et un nombre important de ses supporteurs ont assailli le Congrès américain pour tenter un coup d’État devant le monde entier médusé. Hé quoi ! La plus grande démocratie au monde, le pays qui se targue d’être le gendarme planétaire, le pays de la liberté, oui, oui, les États-Unis d’Amérique, glissent lentement mais sûrement vers une forme diluée de démocratie dictatoriale. Est-il normal que dans un pays comptant 350 millions d’habitants les principaux partis politiques n’arrivent pas à dénicher de meilleurs candidats ? 

Pourtant, Donald Trump n’est pas le seul à s’accrocher au pouvoir, à ne pas reconnaître la défaite, à être mauvais perdant. Voici quelques exemples dans l’Histoire. 

La poudrière africaine

Berceau de l’humanité, l’Afrique a longtemps perdu son âme lors de l’époque de la colonisation européenne qui s’est terminée par le mouvement de la décolonisation. Or, la démocratie n’est pas un système politique propre aux nations africaines qui ont vu surtout des régimes militaires autoritaires prendre le pouvoir à partir des années 1960. Avec l’influence de l’ONU et des pays occidentaux, de nombreux pays africains ont basculé vers le système démocratique. Certains avec succès. D’autres, comme Madagas-car, le Kenya, le Nigeria, le Togo, le Gabon ou la République démocratique du Congo, ont eu des épisodes violents après des élections. Ainsi, aux élections malgaches en 2001, le président sortant, Didier Ratsiraka, qui brigue un cinquième mandat, est battu aux élections par Marc Ravalomanana, le maire de la capitale. Le 29 avril 2002, la Haute Cour constitutionnelle confirme sa victoire avec 51,46 % des voix contre 35,90 % pour le président sortant. Le 6 mai, le gagnant est investi à la présidence, mais Didier Ratsiraka récuse la légitimité des résultats. Jusqu’en juillet, il y aura des affrontements entre les deux camps faisant des centaines de morts. Il y aura même un blocus de la capitale qui forcera Marc Ravalomanana à s’exiler en France. 

Quelques années plus tard, en 2010, après avoir été reportée six fois depuis 2005, il y a une élection présidentielle en Côte d’Ivoire qui oppose le président sortant Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara. Le 3 décembre, le pays se retrouve avec deux vainqueurs : le Conseil constitutionnel proclame la victoire de Gbagbo et la Commission électorale celle de Ouattara avec 54,10 % des voix. L’ONU, l’Union européenne, les États-Unis reconnaissent ce dernier et demandent au président sortant de reconnaître sa défaite. Celui-ci refuse et s’accroche au pouvoir. Le 7 décembre, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest demande à Gbagdo de « rendre le pouvoir sans délai. » Le pays sera même suspendu de cette organisation et l’Union africaine en fera autant tant que le président sortant ne cédera pas le pouvoir. Le 11 avril 2011, Laurent Gbagdo est arrêté par les Forces républicaines après dix jours de luttes intenses et de bombardements par les forces françaises et l’ONU. Le combat fit 3000 morts. 

Entre 1960 et 2010, de nombreux chefs d’État à travers le monde ont modifié la constitution de leur pays ou l’ont interprété à leur avantage afin de conserver le pouvoir. S’ils s’accrochent au pouvoir, c’est notamment à cause de la corruption. En laissant le pouvoir, les dirigeants craignent bien davantage les poursuites que perdre de l’argent ou le pouvoir. En fait, 43 % des dirigeants qui ont démissionné ou abandonné le pouvoir de façon pacifique ou violente ont été poursuivis, emprisonnés, envoyés en exil ou tout simplement tués1.   

Le contre-exemple : deux empereurs qui abandonnent le pouvoir

Il y a ceux qui s’accrochent au pouvoir et il y a ceux qui l’abandonnent de façon volontaire. Napoléon Bonaparte a été obligé d’abdiquer deux fois à cause de ses défaites militaires. D’autres rois ou empereurs ont été forcés de quitter le pouvoir pour les mêmes raisons. Mais prenons le cas de l’empereur romain Dioclétien. Sacré empereur le 20 novembre 284, il entreprend de vastes réformes administratives, renforce les frontières de l’Empire et obtient de grands succès militaires. Après 20 ans de règne, affaibli par la maladie, il abdique le 1er mai 305 et se retire dans son palais dalmate aux environs de la ville de Split. C’est le seul empereur romain à abdiquer de façon volontaire. 

L’autre exemple est celui de Charles de Habsbourg, communément appelé Charles Quint. Élu en 1520 empereur du Saint-Empire romain germanique, il a été le dernier empereur à vouloir réaliser le rêve carolingien d’un empire chrétien uni. Il voulait contrer la poussée de l’Empire ottoman dans les Balkans, mais il a été systématiquement combattu par les rois de France François 1er et Henri II qui voulaient plutôt une alliance avec les Ottomans. Il a aussi dû combattre les ravages de la Réforme protestante qui minait grandement l’unité chrétienne en Europe. Au terme d’une vie désabusée de combats, diminué physiquement, il abdique le 24 février 1558 et se retire au monastère de Yuste en Espagne où il meurt le 21 septembre suivant, foudroyé par la malaria. À noter qu’il est le seul empereur à avoir assisté à ses propres funérailles, ayant demandé une messe préventive pour ses obsèques. 

Un exemple québécois

Il y a au Québec un cas où un homme qui fut élu refusa de reconnaître sa défaite et de quitter le pouvoir. Cet homme est Adolphe Guillet, dit Tourangeau, maire de Québec entre 1862 et 1866, puis en 1870. Sous son administration, il a mis en place un service régulier de traversier entre Québec et Lévis et séparé les services de police et de pompiers pour les rendre indépendants. Également, il a proposé un projet d’agrandissement des portes de la ville et obtient, malgré les critiques, la démolition de la porte Saint-Jean et son élargissement afin de faire passer les véhicules de l’époque. 

Le 10 janvier 1870, il revient à la tête de l’administration municipale. Cependant, la toute nouvelle Assemblée législative du Québec (qui ne siège pas encore à l’Hôtel du Parlement, car elle n’est pas construite) change la loi électorale municipale. Dorénavant, le poste de maire sera octroyé par les conseillers élus et non par la population. Tourangeau doit donc briguer les suffrages de nouveau. Le 2 mai, Tourangeau empêche les conseillers de tenir le vote à l’hôtel de ville qui était, à cette époque, située dans l’ancienne maison du brasseur Dunn à l’angle des rues Saint-Louis et Sainte-Ursule. 

Voyant cela, les conseillers votent au palais de justice et élisent Pierre Garneau comme nouveau maire de la ville de Québec. Refusant de quitter ses bureaux, Tourangeau se barricade à l’intérieur de l’hôtel de ville. Le nouveau maire fait encercler l’édifice par la police et les soldats britanniques (la garnison britannique quittera définitivement la capitale en 1871). Croyant que la population l’appuierait, Tourangeau est foncièrement désillusionné. Après deux jours de siège, l’armée et la police enfoncent les portes et Tourangeau se rend. Il retournera en politique fédérale ou il terminera sa carrière en se faisant battre en 1877 par nul autre que Wilfrid Laurier. 

Le pouvoir est quelque chose de séduisant et d’addictif. Très peu se lassent de son pouvoir d’attractivité et quittent volontairement leurs fonctions de façon lucide et volontaire. On ne parle pas ici de défaite électorale. Jacques Parizeau a démissionné le lendemain de la défaite référendaire de 1995, car il ne voulait pas gouverner une province. Il aurait pu s’accrocher comme tant d’autres l’ont fait. Lucien Bouchard a fait de même en 2001, car il ne voyait pas une autre occasion pour le mouvement souverainiste de tenir un troisième référendum à ce moment-là. René Léves-que et Robert Bourassa ont dû démissionner à cause des pressions de leur propre parti politique. Mais combien sont-ils à démissionner pour le bien du pays quand ils le peuvent, mais préfèrent s’accrocher au pouvoir jusqu’au dernier moment ? Ils sont trop nombreux malheureusement. Ailleurs. Comme ici.

1.  How to Rig An Election de Nic Cheeseman et Brian Klaas, Presses de l’Université Yale, 2018.

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