L’éclipse et l’émotion

Gleason Théberge
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Comment ne pas s’être senti vibrer devant l’occultation même partielle de cette force agissante qui a donné naissance à tout ce que la Terre porte. On a beaucoup fait écho à l’éclipse récente, et cette chronique ajoute son propre commentaire quant à ce qu’elle a révélé de nos mœurs et à l’usage des mots qui l’ont accompagnée.

Astre aux deux équivalences humaines, Soleil-mère en allemand (die Sonne), Soleil-père chez les anciens Égyptiens (Amon, Aton), il était associé aux femmes dans l’Irlande préchrétienne et au Japon (Amateratsu); alors que les Grecs d’Homère y voyait les dieux pères (Saturne et Chronos); en Occident, la symbolique astrologique l’a lié aux signes du Bélier et du Taureau. 

Mais nous savons désormais que c’est à l’association entre le Soleil et la Lune que nous devons l’équilibre naturel de nos jours et de nos saisons, cycles de nos espoirs et rappels de la brièveté de nos vies.

C’est ainsi à plusieurs, même de chacun chez soi, que nous nous sommes mobilisé comme jamais en ce lundi 8 avril 2024, pour participer à cette fusion amoureuse du yin et du yang, à l’exemple de toute conjonction physique ayant produit toutes nos naissances individuelles. 

Nous aurons ressenti collectivement le plaisir d’avoir été pour une fois les humbles témoins de la grande harmonie du ciel, de l’offre anonyme d’une telle perfection, mais aussi du froid soudain de l’absence de la chaleur coutumière. 

Devant l’intensité de ce moment si court d’éternité, nos mœurs pacifiques nous auront au moins permis ces exclamations déclenchées sans recherche de victoire ni consignes de clan, sans chef d’orchestre. Elles incitent cependant le chroniqueur à commenter l’usage de certains mots qui en ont exprimé le caractère émotionnel. 

Toute émotion (du verbe mouvoir) est un mouvement, une action du cœur. Être ému se dit aussi être bouleversé, ébranlé, touché. Qui l’a été a démontré son émotivité (capacité d’être ému). Certains ont dit avoir trouvé le phénomène émotif, mais comme toute chose inanimée (drame, pensée, spectacle) un évènement ne peut être lui-même animé d’émotion. Les processus naturels ne sont pas émotifs. Ce sont les témoins du drame, la personne qui pense, l’artiste qui performe, qui peuvent être émus.

C’est magnifique, évidemment, qu’une réaction spontanément collective ait témoigné d’un phénomène d’autant plus émouvant qu’il nous est si rare. Mais quand nos écrans nous rappelleront les misères que notre négligence ou l’aveuglement de nos gestes quotidiens oublient, aurons-nous gardé la sensibilité d’avoir vécu l’extraordinaire marche du temps implacable, contre laquelle nous pouvons si peu ?

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