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Leur histoire, c’est aussi notre histoire
Carole Bouchard – Afin d’offrir une participation sociale et culturelle égale ou semblable à celles des hommes, les femmes ont protesté, manifesté et fait progresser la situation de la femme au Québec. Grâce à ces pionnières, le quotidien des femmes s’est amélioré. Les témoignages de Monique, Rosa et Lucille qui ont aujourd’hui 84, 87 et 97 ans sont révélateurs de ces changements dans notre société.
Que ce soient les règles cléricales ou politiques qui leur étaient imposées, petit à petit, des femmes ont pris la parole, elles ont mobilisé d’autres femmes afin d’obtenir le droit de vote, un salaire équitable, et ont permis bien d’autres avancées majeures. En 2024, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, une rencontre avec Monique, Rosa et Lucille, qui n’ont pas la prétention d’avoir transformé l’histoire des femmes, nous révèlent leur histoire qui est aussi notre histoire.
Le pouvoir clérical
« Autrefois, l’éducation était axée sur la religion », de dire Lucille qui est née en 1927, à Crabtree. L’éducation religieuse prédominait dans les collèges et les couvents. C’est au couvent de Sainte-Thérèse que Lucille a commencé son éducation, alors qu’elle avait cinq ans. Son père ne pouvant plus assurer le revenu familial, sa mère est devenue institutrice. La situation de sa mère ne lui permettant pas d’enseigner étant toujours une femme mariée, celle-ci est allée loin à la campagne dans les Laurentides afin de rester le plus anonyme possible.
Pour Lucille, la vie au couvent s’est poursuivie jusqu’à l’âge de 15 ans. Assister à la messe, réciter des prières et participer aux fêtes religieuses étaient les activités prédominantes au couvent. En 1943, à 16 ans, habitant maintenant Montréal avec sa mère et sa sœur, elle a commencé un travail de technicienne de laboratoire chez Ayerst, Mckenna & Harrison inc. Elle y a travaillé six jours par semaine jusqu’à son mariage à 21 ans.
Rosa est née en 1936, son parcours pourrait rappeler celui de la mère de Lucille. Rosa enseignait à des enfants de tous les degrés scolaires dans la même classe dans une école de rang. On était en 1951, elle habitait à Saint-Guy, près de Rimouski. Elle est devenue institutrice tout comme sa mère. « J’avais 15 ans quand j’ai commencé à enseigner. On m’avait dit de dire que j’avais 16 ans.»
Dans l’article de Marie-Andrée Chouinard dans Le Devoir du 25 septembre 2010, on rappelle que « Dans le vent de la Révolution tranquille qui a donné naissance aux structures scolaires telles qu’on les connaît, l’école est appelée à changer, en accord avec la société qui la fait vivre, tant élèves, que parents et institutrices. Condamnées au célibat si elles voulaient conserver leur travail, les enseignantes se marient désormais. Dans les cercles intimes, on cause contraception et laïcisation. »[…] « Les historiennes Andrée Dufour et Micheline Dumont rappellent la précarité dans laquelle travaillaient ces maîtresses d’école, des célibataires qu’on congédiait dès qu’elles se mariaient, et ce, jusque dans les années 1960 ! »
Née en 1940, à Montréal, au Faubourg à m’lasse, Monique vient d’une famille de dix enfants, dont neuf filles et un garçon. Elle raconte : « Le chapelet, à la radio avec le Cardinal Léger, on l’a dit tous les soirs à 7 h, et ça jusqu’à mon mariage. » Chaque soir, des familles complètes s’agenouillaient devant le transistor afin de réciter le chapelet. « L’émission quotidienne le Chapelet en familleconnaîtra un succès énorme et demeurera en ondes jusqu’en 1967. Le 9 décembre 1950, Le Devoir révèle que 154 487 familles, soit 65 % de la population totale du diocèse, se sont engagées à réciter quotidiennement le chapelet. »
À 14 ans, comme elle ne voulait plus aller à l’école, elle est allée travailler dans une usine de fabrication d’articles de sports. Monique se mariera en 1963. Après son mariage, elle travaillera de la maison pour la même compagnie pendant huit ou neuf ans. D’ailleurs, elle mettra en banque son salaire, soit 12 000 $ par année qui sera plus tard utilisé pour l’achat de leur maison à Duvernay, à Laval. « Mon mari voulait pas, il disait que c’était mon argent… Ben moi, je l’ai l’argent, je la mets sur la maison ! »
En 1965, la femme mariée pouvait désormais ouvrir sans restriction un compte bancaire, gérer ses biens personnels, signer un chèque et travailler sans l’autorisation de son mari. « Avant la Révolution tranquille, la religion est omniprésente, et ce, jusque dans les programmes scolaires : la moitié des 700 pages guidant les sept années du primaire est consacrée à l’enseignement religieux. Même en mathématiques, on calcule des chapelets… », lit-on dans la Brève histoire des institutrices au Québec de la Nouvelle-France à nos jours.
De l’autorité paternelle à l’autorité parentale
« L’homme était le maître pour ma mère, elle l’écoutait, mon père… elle l’écoutait, mais elle faisait à sa tête », raconte Monique. « Je dis comme lui, mais je fais à ma tête, disait ma mère. Elle nous l’a montré de même et on a toujours été de même. J’ai toujours trouvé que l’homme et la femme, on est égal, je l’ai toujours senti comme ça parce que mes parents étaient de même. Ce n’était pas mon père qui prenait en charge, c’était les deux. J’ai grandi avec ce modèle-là. », raconte Monique maintenant âgée de 84 ans. Ces propos témoignent de l’état d’esprit déjà présent dans la communauté québécoise qui a permis de changer légalement le statut de la femme mariée. Dans le Code civil québécois de 1866, on parle de l’autorité patrimoniale qui consacre les pouvoirs absolus du mari sur les biens communs et ses pouvoirs quasi-absolus sur les biens propres de sa femme. La loi 16, adopté en 1966, apporte enfin des changements majeurs sur la capacité juridique de la femme mariée. Cette loi permettait à la femme mariée d’acquérir la responsabilité civile et financière; et elle pouvait exercer une profession sans l’autorisation de son mari. Le projet de loi a été mené par la première femme députée et ministre de l’histoire du Québec, Marie-Claire Kirkland-Casgrain.
Le mariage
Lucille se marie en 1948, elle aura ses sept enfants dans les huit années suivantes. Son histoire d’amour avec son mari s’est transformée à partir de la naissance du premier : « Lui, il se couchait de bonne heure, il dormait. Moi j’avais toujours un petit bébé qui était là, puis un autre là… mais j’aurais bien aimé ça, vivre le grand amour bien longtemps », partage Lucille. Son mariage s’est terminé en 1972, elle a demandé le divorce pour cause de relations extra-conjugales. En 1992, elle se remariera et vivra une véritable histoire d’amour jusqu’en 2008, année où son deuxième mari décède.
On doit se rappeler qu’un mariage ne pouvait être célébré que devant l’Église. Il a fallu 1968 pour que des changements s’opèrent et que les mariages civils deviennent possibles. En 1980, l’union de fait devient de plus en plus populaire et ces couples seront considérés, en 2002, comme des couples.
Rosa se marie à l’âge de 20 ans, en 1956, et aura deux enfants. Son mari décède à l’âge de 61 ans de troubles respiratoires. Un deuxième mariage se terminera à la suite du décès de ce dernier, après à peine deux ans.
Monique se marie en 1963, à l’âge de 23 ans. Elle aura deux enfants et a dès lors annoncé à son mari que « Maintenant, c’est fini ! », et a pris l’initiative de prendre un rendez-vous avec le médecin pour se faire ligaturer les trompes de Fallope. Monique, malgré un héritage religieux important, se sentait libre de prendre de telles initiatives.
La Révolution tranquille (1960-1970) a été une période de transformation et de modernisation au Québec qui a profondément marqué les rapports des femmes à la société. Si c’est une période de grands changements législatifs en matière de droits des femmes, c’est que celles-ci, depuis la fin de la guerre, ont grandement changé leurs comportements. Plusieurs ont poussé leurs études ou continué de travailler, elles ont fait pression sur les gouvernements pour que le droit suive leur évolution. Ce que Lucille, Rose et Monique nous font découvrir, c’est qu’elles n’ont pas attendu la permission, ni de l’Église, ni des lois, ni des dirigeants politiques pour étudier, travailler et prendre en main leurs destinées.
Et l’avenir…
Elles sont toutes les trois très positives lorsqu’elles sont questionnées sur l’avenir de leurs enfants et petits-enfants. Elle considère que les femmes ont beaucoup évolué, ont beaucoup d’acquis et que ceux-ci devraient suivre l’exemple de leurs parents. « On veut le mieux pour eux… mais ça va faire des explorateurs. Ils vont vivre avec leur époque, comme nous on a vécu avec la nôtre ! », témoigne Lucille. Monique ajoute : « Et un jour, ils auront 84 ans, comme moi et ils auront atteint la sagesse, comme moi… je pense que ça vaut la peine de se rendre jusque-là ! »