La guerre des Boers

1er mars 1900 – Échauffourées entre les étudiants de l’Université McGill (anglophone), et ceux de l’Université Laval (francophone) dans les rues de Montréal.
Daniel Machabée
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L’illusoire unité canadienne

Daniel Machabée – Le Canada, tel que nous le connaissons de nos jours, va fêter son 160e anniversaire en 2027. De tous les pays indépendants du monde, il est sans doute le moins uni même si la propagande fédérale tente de le faire croire depuis toujours.

Les exemples historiques sont nombreux et documentés. L’unité politique ne tient qu’à un fil depuis sa fondation en 1867. Dès les négociations entourant l’unification des colonies britanniques d’Amérique du Nord vers 1864 afin de barrer la route à l’expansion américaine et stimuler le marché économique intérieur, les « Pères de la Confédération » ont fait accroire aux francophones que la nouvelle entente serait basée sur le principe des deux peuples fondateurs et l’égalité juridique et politique de deux langues officielles, le français et l’anglais. À cette époque, le peuple n’a pas été consulté. Les divisions au sein même de la députation du Bas-Canada (alors uni au Haut-Canada) sont très fortes. Cependant, le vote passe de façon très serrée et le Québec deviendra une des provinces fondatrices du nouveau Canada avec l’Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. 

Rapidement, les francophones de ce pays constatèrent que les promesses faites par les « Pères de la Confédération » ne furent que des mots embellis pour justifier leurs intérêts politiques. Dans presque toutes les provinces extérieures au Québec, là où il existait de fortes minorités francophones, les législatures provinciales votèrent des lois soit pour restreindre, soit pour abolir l’usage et l’enseignement du français dans la sphère publique et également dans l’éducation. MacDonald a pendu Louis Riel malgré la légitimité de sa juste cause même « si tous les chiens du Québec aboient. » Voilà les premières années de cette confédération ! D’ailleurs, faut-il le rappeler, même le mot confédération est un leurre ! Une confédération est une association d’états souverains (comme l’Union européenne), ce qui n’est pas le cas au Canada. Le mot juste est une fédération où, conformément à la constitution, le pouvoir est réparti entre un pouvoir central et des assemblées législatives membres de cette fédération, ici provinces. 

La première guerre étrangère pour le Canada

Pendant que l’industrialisation fait sa place et développe de façon rapide le Canada de la fin du XIXe siècle, pendant que le ministère de la Colonisation occupe le sol québécois de la Gaspésie jusqu’aux portes de l’Abitibi, un lointain conflit va provoquer une onde de choc au Canada et creuser davantage le fossé entre les deux peuples fondateurs. Il s’agit de la guerre des Boers en Afrique australe entre les Britanniques et les colons d’origines néerlandaises, françaises et allemandes, déclenchée le 11 octobre 1899 et terminée le 31 mai 1902. Pour la première fois dans son histoire, le Canada, en tant que dominion de l’Empire britannique, va devoir envoyer des troupes pour soutenir l’impérialisme britannique. En fait, il s’agit de la seconde guerre des Boers; la première s’étalant du 16 décembre 1880 au 23 mars 1881. Elle a beaucoup moins d’écho au Canada, car il n’était pas impliqué. 

L’origine de la guerre des Boers (terme désignant les fermiers en néerlandais) est profonde, mais réside principalement dans le désir de l’Empire britannique de contrôler les ressources. La découverte de grands gisements d’or autour du Cap et de Johannesburg fait de ces endroits de véritables villes champignons, apportant ainsi une immigration massive de colons anglais, dépassant rapidement le nombre des Boers. Après de multiples tensions et assassinats, les Boers attaquèrent les colonies du Cap et du Natal à partir du 11 octobre 1899. Le parlement britannique réussit à attirer la sympathie des colons anglais (appelés Uitlanders) à travers l’Empire, notamment au Canada et adopte même une résolution pour le soutien de ceux-ci. Londres invite donc ses colonies (appelées dominions à l’époque) à participer à cette guerre patriotique. 

Deux visions différentes du Canada 

L’opinion publique est fort divisée quant à la participation du Canada à la guerre des Boers. Sans surprise, les anglophones, encore majoritairement britannique à l’époque (d’ailleurs ils venaient de célébrer avec faste le jubilé de la reine Victoria), désirent évidemment aider la mère patrie dans ce conflit. Des dizaines de journaux appellent la population à la mobilisation et adoptent l’esprit chauvin et patriotique britannique en exigeant que le Canada participe à la guerre. 

Chez les francophones, se défendant avec vaillance contre l’impérialisme britannique menaçant grandement leur survie, la cause des Boers leur est naturellement sympathique. Le 12 mars 1901, le député fédéral de Labelle, Henri Bourassa, fondateur du journal Le Devoir, se lève en chambre et prononce son fameux discours anti-impérialisme britannique : « Nous, Canadiens, avons payé l’impôt, les uns volontiers, les autres forcément, pour couvrir les frais de cette expédition [la guerre des Boers]. Nous avons donc le droit de nous prononcer sur le résultat et le règlement du conflit auquel on nous a rendus partie, et nous ne devons pas permettre au gouvernement britannique de présumer de notre opinion et d’en décider arbitrairement sans même la pressentir. […] Je crois que c’est notre droit et notre devoir, à nous députés d’un peuple britannique autonome, d’exprimer une opinion et d’offrir des suggestions sur tout ce qui peut atteindre les parties vitales de la puissance britannique pourvu que cette intervention n’affaiblisse en rien notre liberté d’action et notre autonomie absolue[…] Je ferai observer aux députés de cette Chambre que si le Canada ne veut pas être considéré par le gouvernement britannique comme un simple champ d’exploitation profitable, il est grand temps que nous sachions nous faire respecter non seulement sur les champs de bataille, mais aussi dans les conseils de Sa Majesté. Le moment est venu où nous devons dire à M. Chamberlain [ministre des Colonies] qu’ayant eu à loisir et sans réserve le sang de notre sang et la chair de notre chair, les larmes des mères canadiennes et la sueur des paysans et des ouvriers canadiens, pour s’enrichir, lui et son frère et toute sa tribu, dans le commerce d’armes et de munitions – il devrait au moins respecter la voix du peuple canadien…  »1

Une profonde division dans la population

Un an avant ce discours, il y eut dans les rues de Montréal des affrontements entre étudiants anglophones et francophones, un peu à l’image de ceux du Doric Club lors des Rébellions. En effet, le 1er mars 1900, à la suite de l’occupation anglaise de la ville de Ladysmith en Afrique du Sud, les étudiants de McGill célèbrent dans les rues de Montréal. Ils improvisent des drapeaux avec des bâtons et des mouchoirs et défilent sur McGill College. Ils se rendent ensuite sur la rue Saint-Jacques en chantant « Rule Britannia » et brisent au passage plusieurs fenêtres. Ils vont ensuite à l’Hôtel de Ville où ils exigent qu’on hisse le drapeau britannique, ce qui leur est refusé. Ils décident alors d’aller barber les étudiants francophones jusqu’au pavillon de l’Université Laval (la future UdM) sur la rue Saint-Denis. Pendant trois jours, il va y avoir des heurts, des lances d’incendie, des coups de bâtons, des coups de feu échangés.  

À Ottawa, le premier ministre Wilfrid Laurier est dans une position risquée. Lui qui avait dit que le XXe siècle serait le siècle du Canada, est récitent à engager le Canada dans ce conflit. D’abord, le Canada n’a pas d’armée régulière, encore moins une flotte. Devant les immenses pressions de ses ministres les plus orangistes, le gouvernement va autoriser le recrutement symbolique de 1000 fantassins volontaires.

L’impact de la guerre des Boers sur l’identité canadienne

Bien que les troupes engagées combattissent pour l’armée britannique, c’est la première fois de son histoire que des soldats arborant l’uniforme canadien furent envoyés combattre à l’étranger. 6000 autres volontaires, à cheval ceux-là, seront envoyés par la suite sans difficulté. Quelques soldats se distinguèrent lors de ce conflit qui vit le triomphe de l’Empire britannique. Pour la première fois de son histoire, le Canada se vit non plus comme un dominion, mais comme une entité souveraine reconnue à l’international. Le gouvernement fédéral créa alors réellement l’armée canadienne, lui donna ses armoiries, et créa également la marine canadienne. Ce conflit, le premier du XXe siècle, annonça alors toute la violence des conflits futurs qui allèrent bouleverser l’humanité. Ce conflit vit également l’apparition des premiers camps de concentration ou d’internement, fourbe invention anglaise2.

Pour le Québec, ce conflit a démontré qu’il a beau toujours s’opposer aux décisions du Canada anglais, il demeure une simple province qui tôt au tard sera assimilée comme le voulait Durham aux visions britanniques. Les exemples de division pullulent depuis la guerre des Boers. La crise de la Conscription de 1917 va même mener à la motion Francoeur à l’Assemblée législative pour sortir de la Confédération. Enfin, ce conflit a également démontré une chose concrète : ce n’est pas parce qu’un Premier ministre canadien est francophone qu’il va défendre les intérêts et la cause des francophones au pays. Aujourd’hui, un monument dédié aux héros de la guerre des Boers trône au carré Dorchester à Montréal. Unilingue anglais, évidemment.

1. Robert Rumilly, Henri Bourassa : La vie publique d’un grand Canadien, Montréal, Chantelerc, 1953.

2.  Faut-il s’en étonner ? Un peuple qui prône de nombreux génocides, donne des couvertures emplies de bactéries aux indigènes pour s’assurer l’hégémonie, est bien digne d’une telle fourberie.

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