Colonisés?

Gleason Théberge
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Gleason Théberge En matière de langue, le signe le plus certain de la soumission d’une nation à une autre n’est pas tellement l’emprunt occasionnel de certains mots de la langue du colonisateur. Adopter marketing au lieu de mise en marché est un signe de faiblesse, sans doute. Et c’est manifestement un signe d’aveuglement, de parler de sponsoring, même apparemment plus chic, de shopping ou de drugstore, comme on le fait en France; alors qu’au Québec nous utilisons depuis longtemps commanditemagasinage et pharmacie

Sans même penser à combattre l’autre langue, nous avons ainsi adapté ou inventé des mots pour nos réalités, comme couraillage pour des amourettes sans constance, dépanneur pour les magasins de première nécessité, jasettepour des propos sans gravité, poudrerie pour la danse de la neige en rafale, jongler pour se perdre en rêverie, quêterpour demander des dons en argent (au lieu de faire la quête). 

Et cette fois conscients qu’il s’agit d’une vraie bataille, nous persistons à implanter des mots comme courriel au lieu du email (simplement adopté en France); clavardage, au lieu de tchate (dont la graphie chat double celle du félin chat). 

Mais on s’approche davantage de la négligence crasse quand on accepte chez nous des déformations profondes qui nous font ignorer l’usage de mots-clefs comme le dont, dans l’outil dont j’ai besoin. Car, sans le savoir, en disant l’outil que j’ai besoin, nous acceptons le pronom que, bête traduction du that tout usage en anglais. Et nous copions, de même, aveuglément la manière dont l’anglais manie les prépositions, dans dîner avec une soupe au lieu de dïner d’une soupe (on mange plutôt avec quelqu’un), un cadeau donné de sa tante (par une tante) ou pour votre information (quand pour information suffit).            

Mais ce genre de méprise n’est, à mon avis, pas encore au sommet des preuves d’une acceptation d’une dominance économique de l’anglais sur notre langue. On l’atteint quand on se met à utiliser une expression française selon le sens anglais des mots. Adresser un problème en est l’exemple le plus récent, où le verbe prend le sens de se préoccuper de quelque chose au lieu d’envoyer quelque chose à quelqu’un, comme un message, des hommages ou des reproches. Adresser un problème ? Une catastrophe!

Quand l’usage légal oblige à l’anglicisation, c’est aussi sur le plan politique que la noblesse de notre langue est humiliée. Un exemple subtil en est le serment que les parlementaires doivent prêter en disant « Je (nom) jure… » : un affreux calque de l’anglais «  I (name) swear… », qu’en français nous devrions formuler  « Moi, (nom), je jure… », accolant le sujet au verbe, avec élégance. Autrement, c’est notre richesse et notre élégance qui est bafouée, mais nous ne le voyons même pas. Et c’est cela être colonisés : l’être sans s’en rendre compte. 

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