Les libéraux de 1886

Daniel Machabée
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Quand les libéraux défendaient nos droits

Daniel Machabée – Ce jeudi 14 octobre de l’an 1886 est un jour d’élections dans la province de Québec. Le premier ministre sortant, le conservateur John Jones Ross, est confiant. Pourquoi ne le serait-il pas ? Depuis l’Acte de l’Amérique britannique de 1867, seules les élections de 1878 ont échappé au Parti conservateur. Trois ans plus tôt, le chef des libéraux, Henri-Gustave Joly de Lotbinière, a laissé son poste à Honoré Mercier.  

Mais un vent lourd de mécontentement souffle sur le Québec. Les extravagances des conservateurs et les différents scandales ont nettement fait baisser les appuis aux torys. Surtout, la pendaison de Louis Riel le 16 novembre 1885, que de nombreux Canadiens-français appellent « le crime de Régina », est encore très présente dans les esprits. D’ailleurs, il y a encore certains affrontements entre francophones et anglophones dans les rues de Montréal. Affrontements récurrents dirons-nous depuis l’époque du Doric Club et des Fils de la Liberté.

Dans cette courte échéance, Honoré Mercier « a fait quelque chose de plus grand que sauver son parti : il a su identifier ce parti avec l’âme même de la province. C’est un enfant du pays dans toute la force du terme. Tous les sentiments généreux qui remuent l’âme de notre peuple ont un écho puissant dans la sienne.1 » Ainsi, les élections du 14 octobre 1886 se soldent par une victoire du Parti libéral en termes de sièges (33 contre 26 pour les conservateurs, 3 pour le Parti national et 3 conservateurs indépendants). Cependant, les conservateurs obtiennent 46,2 % des voix contre 39,6 % pour les libéraux et s’accrochent donc au pouvoir ! Ce n’est qu’à l’ouverture de la session parlementaire le 27 janvier 1887 que le gouvernement minoritaire conservateur est renversé en Chambre. Cela sera la dernière fois qu’un tel précédent arriva au Québec.

Honoré Mercier, fils de patriote

Honoré Mercier est né à Iberville d’une famille de cultivateurs établis depuis les débuts de la Nouvelle-France dans la région de Montmagny. Son père, Jean-Baptiste Mercier, fut un patriote convaincu et actif, grand admirateur de Louis-Joseph Papineau. À l’âge de 12 ans, le jeune Honoré fut grandement impressionné par un discours tenu à Saint-Jean-sur-le-Richelieu lors de la Saint-Jean-Baptiste par l’homme politique Charles Laberge qui fit l’éloge des Fils de la Liberté

Il fit ses études à Montréal chez les Jésuites et entra en droit à Saint-Hyacinthe en 1862 auprès du neveu de Papineau et fut admis au barreau en 1865. S’intéressant activement à la politique, il s’oppose dès 1864 au projet de Confédération qui, selon lui, irait contre les intérêts des Canadiens-français tout en accentuant leur mise en infériorité numérique. 

Une courte carrière à Ottawa

Au début des années 1870, s’étant éloigné de ses amis conservateurs tels Georges-Étienne Cartier, il participe à la fondation du Parti national, ayant pour objectifs de réunir les conservateurs et les libéraux pour défendre les intérêts des Canadiens-français (l’ancêtre du Bloc québécois en somme !). En 1872, il est élu à la Chambre des Communes comme député libéral-national de la circonscription de Rouville. Son premier discours en Chambre concerne la question des écoles francophones du Nouveau-Brunswick. Bien qu’il crût fortement à l’autonomie des provinces vis-à-vis le gouvernement fédéral, la décision du gouvernement néo-brunswickois d’abolir les écoles séparées l’incite à demander l’intervention d’Ottawa afin de protéger et de maintenir les droits de la minorité francophone. Le refus de Macdonald d’intervenir et la décision du Conseil privé de Londres qui donna raison au Nouveau-Brunswick le confortèrent dans ce qu’il appela la démonstration de l’hostilité du fédéral envers les minorités francophones. 

Aux élections de 1874, à la suite du scandale du Pacifique relatif aux chemins de fer, les libéraux remportent les élections. Cependant, Alexander Mackenzie, le nouveau Premier ministre fédéral, trouvant Mercier trop autonomiste, décida de l’écarter et il retourna à la pratique du droit. Mais la piqûre politique est vivace. Ainsi, il tenta encore sa chance au fédéral en 1878, mais ses adversaires conservateurs firent une grande campagne contre lui et il perdit l’élection par 6 voix.

Premier ministre du Québec

Quelques mois plus tard, le député et trésorier provincial de Saint-Hyacinthe, Pierre Bachand, meurt subitement. Le premier ministre d’alors, Henri-Gustave Joly de Lotbinière, fait appel à Honoré Mercier et lui offre le poste de solliciteur général du Québec. À peine élu, le voilà de retour dans l’opposition quand le Parti conservateur renverse le gouvernement libéral à l’automne 1879. Remplaçant le chef libéral en 1883, Mercier se démarque rapidement par sa rigueur au travail. Très vite, le Parti libéral devient une opposition agressive, talonnant constamment le gouvernement conservateur.

 Les événements du Manitoba vont apporter beaucoup d’eau au moulin de ce nationaliste convaincu. Le 22 novembre 1885, six jours après la pendaison de Louis Riel, Mercier prononce son fameux discours du champ de Mars devant 50 000 personnes en fustigeant ses adversaires politiques pour la mort de Louis Riel : « Riel, notre frère est mort, victime de son dévouement à la cause des Métis dont il était le chef, victime du fanatisme et de la trahison, du fanatisme de sir John et de quelques-uns de ses amis; de la trahison de trois des nôtres qui, pour garder leur portefeuille, ont vendu leur frère. Riel est mort sur l’échafaud comme sont morts les patriotes de 1837. » D’un bout à l’autre du Québec, la pendaison de Riel créa une explosion spontanée de colère : « Chacun sentit que la race canadienne-française avait reçu une blessure et une insulte; et il sembla, un instant, que tous les partis dussent abdiquer et se confondre dans la douleur commune. Hélas ! La servilité de quelques politiciens en a décidé autrement; et pendant plus d’un an, il nous a fallu assister à ce douloureux contraste d’un peuple unanime dans sa réprobation, pendant que ses mandataires élus et la plus grande partie des organes de la presse continuaient à vendre leur complicité à l’ennemi de notre race et à conspirer avec lui contre leur pays.2»

En janvier 1887, à la suite du renversement des conservateurs, il devient Premier Ministre. En octobre 1887, il organisa la toute première rencontre interprovinciale de l’histoire du Canada à Québec, où 20 ministres et 5 premiers ministres provinciaux se rencontrent pour jaser de l’avenir du pacte fédératif. John A. Macdonald refusa d’y assister, lui qui, quelques mois auparavant, avait déclaré que « Riel sera pendu même si tous les chiens du Québec aboient. » 

Le premier défenseur de l’autonomie provinciale

Honoré Mercier voulait redéfinir l’AANB de 1867, car il y voyait, déjà à cette époque, une constante incursion du fédéral dans les champs de compétences provinciales. Il milita pour l’autonomie provinciale du Québec au sein de la fédération canadienne, une esquisse d’une réelle confédération. Il fut même le premier Premier ministre à proposer la sortie du pacte fédératif : « C’est une des plus grandes questions que nous serons jamais appelés à juger; et nous devons tous chercher à bien la comprendre afin de la décider avec intelligence et sans parti pris.3 »

Honoré Mercier fut le premier à revendiquer les territoires de l’Ungava au Nord et se préoccupa de la colonisation du territoire en créant le ministère de la Colonisation en 1888 où il nomma le curé Labelle au poste de sous-ministre. Avant-gardiste, Mercier favorisa l’essor du chemin de fer, s’intéressa au potentiel hydroélectrique et offrit du soutien aux agriculteurs. Il mit également en place des lois sur les conditions de travail et investit dans l’éducation publique en favorisant l’alphabétisation des ouvriers. Réélu en 1890 avec une majorité accrue, il dut démissionner à la fin de 1891 à cause du scandale de la Baie des Chaleurs. 

Diabétique, Honoré Mercier meurt le 30 octobre 1894, à 54 ans. Il est inhumé au cimetière de Notre-Dame-des-Neiges à Montréal. Une foule estimée à 25 000 personnes assista à son cortège funèbre. Son fils fut député et ministre des gouvernements Taschereau et Gouin, dont ce dernier fut le gendre. Son arrière-arrière-petit-fils, Thomas Mulcair, fut député libéral et chef du NPD de 2012 à 2017. En s’opposant à la loi 101, celui-ci fit certainement défriser la moustache de son célèbre aïeul…  

1. J.O. Pelland : biographie de l’honorable Honoré Mercier, 1890.

2. Ibid.

3. Discours à l’Assemblée législative, 7 avril 1884.

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