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Le Tinder des prêteurs et des emprunteurs
Nicolas Michaud – Avez-vous déjà eu besoin d’acheter un objet tout en sachant très bien qu’il ne serait pas régulièrement utilisé ? Il aurait sans doute été préférable de l’emprunter plutôt que de l’acheter. Voilà la sage philosophie qui se cache derrière la nouvelle application mobile Partage Club qui aide ses utilisateurs à dépenser moins tout en facilitant le partage d’articles entre voisins de manière « illimitée, sécuritaire et positive », la devise de sa conceptrice.
« On a un pouvoir extraordinaire, les gens en communication, de pouvoir faire des changements de comportements, de pouvoir influencer humainement les gens : je savais que j’avais ce pouvoir-là », déclare Fauve Doucet. Celle qui a quitté son emploi de vice-présidente et responsable nationale de la conception des médias au sein de la firme Cossette, l’épicentre de la création en mercatique et en communication au Canada, a vécu une épiphanie alors qu’elle suivait un cours à l’École des hautes études commerciales (HEC) de Montréal en tant qu’auditrice libre. Confrontée au concept de la décroissance économique soutenable qui prône la réduction de la consommation, cette future entrepreneure en innovation sociale et environnementale a pris conscience que la croissance économique perpétuelle, sur une planète aux ressources limitées, ne survient qu’à la suite de sacrifices sociaux et environnementaux considérables, voire cataclysmiques. Préconisant plutôt une économie axée sur l’amélioration des conditions de vie humaines et la durabilité du développement économique, cette idéaliste croit à la mutualisation des ressources et à l’économie collaborative. C’est à partir de cette idée qu’elle a lancé une campagne de sociofinancement afin de mettre en œuvre son projet : le Partage Club.
Pourquoi une application mobile ?
« Je me suis rendu compte en fait que, dans le partage, les gens sont vraiment réceptifs à prêter leurs choses; souvent, c’est la mise en contact qui manque », affirme cette Québécoise. Si beaucoup de citoyens sont prêts à prêter, voire à emprunter, ces derniers ne le font qu’avec leurs proches et ne sont pas portés à se tourner vers leur voisinage : « Aujourd’hui, on ne connaît plus nos voisins; 40 % des Canadiens connaissent entre zéro et deux de leurs voisins [d’après] une étude qui a été faite par Nextdoor ».
À partir de ce constat, cette femme consacre toute sa réflexion à l’aspect fonctionnel de son projet dans l’objectif de créer un espace de rencontres accessibles où l’action d’emprunter serait détabouisée puis valorisée. En souhaitant encadrer l’expérience du prêt et supprimer les étiquettes de quêteur ou de cheap, l’idée de concevoir une plateforme virtuelle a frayé son chemin jusqu’à la concrétisation de l’application mobile. Dans les villes, la densification urbaine favorise l’atteinte de cet idéal du partage, puisqu’un plus grand nombre de personnes sur une plus petite surface habitable permet de répondre à un plus grand nombre de besoins.
Pourquoi un abonnement payant ?
Après avoir examiné attentivement plusieurs formes juridiques d’entreprise, telles que l’organisme sans but lucratif (OSBL), Fauve Doucet a plutôt choisi de jeter son dévolu sur un type d’entreprise proposant un abonnement payant. « C’est sûr que moi, je crois beaucoup à la pérennité des projets [et] c’est pour ça que j’ai décidé d’opter pour un modèle qu’on allait trouver un moyen de s’autofinancer », explique la jeune entrepreneure.
Alors que bon nombre d’applications sont financées par la publicité et offertes gratuitement sur le marché, certaines personnes pourraient penser que l’abonnement annuel de 60 $ pourrait dissuader les consommateurs de se procurer cette application. Face à ces détracteurs, la fondatrice réplique : « dans mon étude, les citoyens étaient prêts à payer jusqu’à 90 $ annuellement pour avoir une application comme ça : les citoyens voient rapidement qu’ils peuvent économiser en empruntant au lieu d’acheter, donc le modèle tenait la route, puis on se rend compte que, souvent, après un seul prêt, le 60 $ est remboursé ». Par cette logique digne de l’économie collaborative, plusieurs utilisateurs se sont distingués du lot en réussissant, en moins d’une année, à économiser plus de 1000 $ en articles qui auraient autrement été loués, achetés neufs ou usagés. Ce sont des « super-emprunteur ! », se réjouit cette femme d’affaires.
Conjonctures propices : l’alignement des planètes
Selon sa fondatrice, l’actuel contexte macroéconomique et social est hyperfavorable pour le Partage Club et s’explique essentiellement par trois volets. Le premier, le volet environnemental, est l’augmentation du nombre de personnes sensibilisées et préoccupées par les enjeux touchant la pollution, les changements climatiques, les catastrophes naturelles, l’appauvrissement ou l’épuisement des ressources essentielles, la dégradation, voire la destruction des écosystèmes. Le deuxième, le volet social, consiste en une prise de conscience individuelle et sociétale, durant cette ère pandémique de la COVID-19 marquée par l’isolement, concernant l’importance des connexions humaines sur la solidarité sociale, le bien-être et la santé mentale. Le troisième, le volet économique, réside dans cette nouvelle dynamique où la famille moyenne va devoir revoir sa façon de s’approvisionner parce que tout coûte cher : le Partage Club arrive comme une solution économique. De son propre aveu, avec l’aggravation de la situation inflationniste et l’augmentation de la pauvreté au Québec, Fauve Doucet trouve qu’il est triste que ce volet soit trop souvent le plus déterminant des trois.
Nouvelles fonctionnalités en primeurs
Pour augmenter la visibilité de l’application et renforcer le sentiment de confiance des utilisateurs pour ultimement faciliter le partage des articles, son entreprise s’appuie surtout sur les commentaires émis dans un groupe Facebook privé qui rassemble tous les utilisateurs du Partage Club. Avec ces idées, son entreprise se penche notamment sur la possibilité de prolonger un prêt déjà effectué, de développer des assurances pour les objets plutôt dispendieux qui sont empruntés, de proposer des clubs de partage privé pour les utilisateurs qui souhaiteraient partager un bien (par exemple, une voiture) avec seulement quelques personnes et non pas l’ensemble des utilisateurs sur la plateforme, d’envoyer une notification poussée sur le téléphone mobile à la place d’un courriel pour assurer un service plus instantané, de créer des offres rapides en suggérant une liste d’articles qui sont souvent sollicités dans les quartiers et pour lesquels aucune photo ni description ne seraient nécessaires, etc.
Avenir à défricher
Après son entente avec la Ville de Prévost, la conceptrice du Partage Club lancera prochainement son application auprès d’une autre ville et est présentement en discussion avec 25 autres municipalités au Québec. Cet engouement serait si notable que son entreprise se fait également courtiser par des festivals, des chaires de recherche, des universités et des fermes qui souhaiteraient profiter de cette plateforme de mutualisation pour s’échanger du matériel ou de l’équipement.
Fière de son succès, cette mère de famille a réellement constaté le caractère révolutionnaire de son application mobile lorsque son fils de huit ans lui a dit : « Hey, maman, ça veut-tu dire qu’un jour il y aura plus de magasins ? » Certes, Fauve Doucet convient qu’il sera toujours nécessaire de produire de nouveaux biens pour combler les besoins humains, mais que le simple fait d’envisager une telle perspective est déjà un premier pas vers une « une nouvelle façon de vivre ».