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« J’pense que c’est la bande dessinée qui m’a choisi »
Nicolas Michaud – Invité récurrent au Festival de la BD de Prévost; au cours duquel, en cette 11e édition, une exposition lui était consacrée pour l’ensemble de son œuvre; Tristan Demers a partagé quelques traits de crayons et de réflexions auprès du Journal des citoyens.
C’est en 1983 que Tristan Demers monte sur les planches de la scène culturelle québécoise en devenant le papa de chair du mémorable et sympathique Gargouille : « J’avais déjà un sens de l’entrepreneuriat, ce qui fait que j’ai créé mon magazine à 10 ans, mais… à 11 ans, [avec] mon système d’abonnements, ça m’a permis de me retrouver, à 15 ans, avec des milliers d’abonnés, un magazine, deux employés alors que j’étais en secondaire 3… puis, ça ne s’est jamais arrêté ». Né à Montréal en 1972, celui qui est tombé dans la marmite des BD quand il était petit a réussi un tour de force : de ses premiers fascicules photocopiés distribués à ses camarades de classe, son bonhomme dessiné a voyagé à travers les publications de Vidéo-Presse, du 7 Jours, de TV8 (en Suisse), du Journal de Montréal, les tablettes des librairies ainsi qu’une série de produits dérivés aussi surprenants que saugrenus.
L’univers littéraire
Après Gargouille, Tristan Demers se lance dans de nouvelles aventures en proposant à son jeune lectorat des séries illustrées parmi lesquelles figurent Cosmos Café et Les Minimaniacs. Pour les plus vieux, le bédéiste produit également des livres documentaires, tels que Tintin et le Québec : Hergé au cœur de la Révolution tranquille, et d’autres essais illustrés populaires comme Sale Canal !, un ouvrage qu’il a coécrit avec Patrick Sénécal et qui s’attaque aux clichés du petit écran. Au-delà des frontières du Québec, ce bédéiste parcourt les salons du livre de toute la francophonie depuis 35 ans en ayant participé à près de 380 événements littéraires présentés dans 11 pays.
Du neuvième au huitième art
Sans délaisser sa palette de crayons, Tristan Demers entame les apparitions régulières à la télévision au jeu des rébus au Club des 100 watts sur Radio-Québec (l’ancien nom de Télé-Québec). Depuis, il a travaillé sur une trentaine d’émissions jeunesse, à titre de chroniqueur ou d’illustrateur, en plus d’agir en tant qu’animateur de séries reliées à la création ou aux voyages : BD Cités, Transformatruc, Brico-blagues, Dessinatruc, etc.
À la tête de son propre studio de dessin, ce Québécois sillonne le monde afin d’allumer la flamme imaginative dans la tête des jeunes : « Y’a 20, 30 ans, je montrais aux enfants, ce que je faisais; maintenant, je leur donne les outils nécessaires pour qu’ils puissent développer leur créativité ». Doté d’une personnalité exubérante et communicative, il fait la joie des écoles avec ses conférences et animations insolites. D’ailleurs, son spectacle ON DESSINE !, destiné aux enfants âgés de 7 à 12 ans, a connu un vif succès au Canada francophone avec ses 180 représentations.
La BD, son porte-voix pour tous les âges
En ce qui concerne Tristan Demers, « la BD, c’est un outil de communication, c’est un outil à part entière, donc on peut parler de réalités sociales, d’enjeux économiques, politiques, on peut parler de relations de couple, on peut parler de la vieillesse, de notre apport avec l’environnement, on peut parler de tout ça à travers la BD : c’est un outil de communication au même titre que le théâtre, la musique ».
Initialement considérée comme une forme d’art mineur ou un sous-genre de la littérature, ce n’est qu’à partir des années 1960 que la bande dessinée déconstruit peu à peu cette étiquette d’une littérature exclusivement infantile avant d’amorcer son ascension en tant qu’art légitime. Si ce discours parfois condescendant déclarant que la BD s’arrête aux portes de l’âge adulte, après ses 40 ans de carrière, Tristan Demers a constaté que la tendance s’est renversée au point où la BD s’adresse désormais à un public majeur et vacciné : « Tsé, y’a des endroits dans le monde où si je dis que je fais de la BD – et que je ne précise pas que c’est de la BD jeunesse – on va croire que c’est de la BD adulte parce qu’on le considère comme un médium de communication scénaristique qui s’adresse à tout le monde alors qu’ici [au Québec], c’est l’inverse ».
L’art presque perdu de s’ennuyer
En cette ère où les cerveaux, surtout ceux des jeunes, doivent être constamment (sur)stimulés, notamment par l’omniprésence des écrans, Tristan Demers livre un remarquable dithyrambe promouvant les vertus méconnues de l’ennui afin que l’être humain se réapproprie son pouvoir créatif. « Laissons aussi les enfants le plaisir, le privilège de s’ennuyer. On a tendance à dénier l’ennui. L’ennui, c’est de l’ennui que jaillit… c’est de là que vont jaillir les idées », soutient-il. Cette réflexion l’a d’ailleurs incité à écrire un livre intitulé L’imaginaire en déroute : quand nos enfants ne savent plus inventer.
« Dessiner, c’est être libre parce que, dans l’abandon – pas dans un souci de contrôle –, c’est la seule façon d’innover, d’être créatif, d’être original, sinon on est dans la retenue et, quand on est dans la retenue, c’est un peu le contraire de l’audace », exprime le bédéiste. Celui-ci ajoute que « l’art, c’est un endroit de liberté totale, c’est ça, c’est cette vision-là, ce discours-là que j’avais pas il y a 20 ans parce qu’on vieillit, puis on mature, puis on prend conscience de l’importance de la créativité dans un monde si balisé, si restrictif ». Finalement, lorsqu’il contemple sa carrière professionnelle, Tristan Demers se sent chanceux d’avoir trouvé son feu sacré aussi jeune : « je me suis inventé un jouet, un jeu quand j’avais 10 ans qui est devenu mon métier, qui me permet de gagner ma vie… encore… pis de m’amuser ».