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Ou l’extraordinaire victoire de la diplomatie française
Daniel Machabée – Les débuts de la Nouvelle-France étaient précaires et parsemés de dangers et d’exploits. Sans l’aide des Amérindiens qui vinrent au secours des premiers colons lors des rigoureux et longs hivers du XVIIe siècle, la colonie n’aurait pas survécu très longtemps.
Mais alors que les Français s’implantaient de façon permanente le long du Saint-Laurent et commençaient à pénétrer de plus en plus profondément à l’intérieur du continent, les rivalités entre les empires et les différentes nations autochtones mettaient en danger l’existence même de la Nouvelle-France. Par le jeu des alliances, les Français s’aliénèrent rapidement les nations iroquoises. Jalouses des Algonquiens qui contrôlaient alors le lucratif commerce des fourrures, ces dernières, excitées et armées par les marchands, d’abord hollandais puis anglais, faisaient la guerre aux Français de façon périodique pendant toute la durée du XVIIe siècle.
Outre le danger iroquois, les Français craignaient que leurs alliés des Pays-d’en-Haut leur fassent faux bond et se mettent à commercer avec les marchands d’Albany. Les échanges commerciaux et la paix étaient nécessairement cruciaux au projet de colonie française, car tout reposait sur cela. Ainsi, l’arrivée du régiment Carignan-Salière en 1663 permit de signer une paix relative pour une vingtaine d’années.
Le massacre de Lachine
En 1688, le gouverneur de Montréal, Louis-Hector de Callière, exposa à la Cour de France son plan afin d’envahir la Nouvelle-York et d’éradiquer la menace d’invasion, car il savait la petite cité vulnérable. Le 25 juin 1689, la France déclara la guerre (encore !) à l’Angleterre, un événement qui fut connu sous le nom de guerre de la Ligue d’Augsbourg. Ainsi, Callière réussit à convaincre le nouveau gouverneur de la Nouvelle-France, le comte de Frontenac, d’envahir la Nouvelle-York alors que de son côté, la colonie de New-York choisit de pousser les Iroquois sur le sentier de la guerre : « Je couvrirai cette entreprise qu’il est nécessaire de tenir secrette en disant que le Roy m’a commandé d’aller dans le pays des Iroquois pour leur imposer la paix aux conditions qu’il plaît à sa Majesté, […] sans laisser apercevoir à qui que ce soit de leur nation que le dessein d’attaquer les Anglais jusqu’à ce que nous soyons arrivés au passage d’où j’enverrai déclarer aux Iroquois par quelques-uns de leur nation que je ne suis point venu leur faire la guerre, mais seulement pour réduire les Anglais qui ont été la cause de notre division…1 »
Ainsi, alors que les Français étaient en pleins préparatifs de leur projet d’invasion, les Iroquois leur tombèrent dessus. Le 12 novembre 1685, le gouverneur Denonville envoya un mémoire au roi dans lequel il écrivit qu’il fallait exterminer les Iroquois, car il était impossible de se fier à leur parole. Le roi d’Angleterre, Jacques II, déclara de son côté que les Iroquois étaient des sujets du roi anglais et qu’ils s’étaient reconnus comme tels en juillet 1684.
En l’absence de Frontenac et de Callière, Philippe Rigaud de Vaudreuil fut nommé par le roi com-mandant des forces françaises au Canada. Ne voyant aucun signe d’hostilité de la part des Iroquois depuis le printemps, Vaudreuil permit aux habitants de Montréal de vaquer à leurs occupations sur leurs domaines à l’extérieur des fortifications du fort Rémy (Lachine), le long des cours d’eau.
Le 5 août 1689, très tôt le matin, alors qu’une tempête de grêle tombait sur Lachine, plus de 1500 guerriers iroquois traversèrent le lac Saint-Louis sans être vus. Sans avertissement, ils attaquèrent la petite colonie. Ils tuèrent 24 colons et en capturèrent entre 70 et 90. La férocité et la cruauté de l’attaque marquèrent profondément les esprits du temps. Selon les sources de l’époque, les Iroquois firent cuire et manger cinq enfants. Frontenac et Callière revinrent en Nouvelle-France le 12 octobre. Et le 15 novembre 1689, Frontenac écrivit au ministre de la Marine, Jean-Baptiste-Antoine Colbert, un compte-rendu du massacre : « Il seroit difficile de vous représenter, Monseigneur, la consternation généralle que je trouvay parmy tous les peuples et l’abbattemens qui estois dans les troupes, les premiers n’éstaient pas encore revenus de la frayeur qu’ils avaient eue, de voir à leurs portes brusler touttes les granges et maisons qui étaient en plus de trois Lieue de pais dans le Canton qu’on appelle La Chine y enlever plus de six vingt personnes, tant hommes, femmes qu’enfants, après en avoir massacré plus de 200 dont ils avaient cassé la tête aux Uns, Bruslé, rosty et mangé Les autres, ouvert Le Ventre des femmes grosses pour en arracher Les Enfants et fait des Cruautez inouis et sans Exemple.2 »
Prélude de pourparlers sous la menace iroquoise constante
En dix ans, les Iroquois continuèrent de faire des raids périodiques au cœur de la Nouvelle-France. Cependant, les maladies et la guerre décimèrent ces peuples. En 1698, ils ne furent plus que 1230 guerriers, et leur commerce pratiquement ruiné. Louis Buade de Frontenac, alors gouverneur général de la Nouvelle-France pour un second mandat, commença les préliminaires de paix le 11 janvier 1697 alors qu’une délégation de Onneiouts, une tribu des Cinq-Nations iroquoises, s’installa sur l’île de Montréal. Le 16 février 1698, deux Mohawks furent amenés à Québec afin de rencontrer le gouverneur. Cependant, ayant amené deux prisonnières et réclamant le retour du commerce avec la Nouvelle-York, ceux-ci attisèrent la colère de Frontenac qui les garda prisonniers l’hiver durant.
Le contexte international fut également défavorable aux Iro-quois. En effet, le traité de paix de Ryswick signé entre la France et l’Angleterre en septembre 1697 leur enlevait la garantie d’une assistance et protection anglaises en cas de conflit avec la France. Entre-temps, Frontenac mourut en novembre 1698 et Callière le remplaça à titre de gouverneur général de la Nouvelle-France. Les négociations reprirent en 1699 et le gouverneur, par l’entremise de Paul Le Moyne de Maricourt, informa les ambassadeurs iroquois que la paix ne pouvait être signée qu’à Montréal en présence des alliés autochtones des Français.
La conférence d’Onondaga
En mars 1700, affaiblis par les conflits dans l’Ouest et les maladies, les Iroquois comprirent qu’il fallait s’éloigner de l’influence des Anglais s’ils voulaient signer une paix durable. Ils organisèrent donc une première conférence à Onondaga qui fut décisive dans la Grande Paix de Montréal. Ce fut là que les Iroquois et les Français trouvèrent un consensus quant à la signature d’un traité de paix. L’envoi par la colonie de New York d’un émissaire anglais afin de faire avorter les négociations n’y fit rien : les Cinq-Nations décidèrent de se rendre à Montréal afin de signer la paix. Cette conférence, bien moins connue, fut cependant la prémice de la fin de la domination économique anglaise sur les nations iroquoises.
Du 3 au 9 septembre 1700, une paix préparatoire était signée à Montréal en présence des Cinq-Nations. À la suite de cette ébauche où 13 représentants autochtones furent présents, une invitation fut envoyée à toutes les nations des Grands Lacs afin qu’ils vinssent à Montréal à l’été 1701.
Le grand pow-wow du 4 août 1701
La conférence de Montréal commença au Sault Saint-Louis, sur la Rive Sud de Montréal, où les délégations autochtones arrivèrent à partir du 21 juillet. Le lendemain, 200 canots amérindiens des Grands Lacs arrivèrent et accostèrent à Montréal, accueillis par des salves de canon afin de les impressionner. Qu’on s’imagine la scène : il y avait davantage de délégués que d’habitants à Montréal !
Malgré l’ambiance festive, la conférence se passa dans des conditions difficiles alors qu’une épidémie tua de nombreux délégués amérindiens. Même le grand chef huron Kondiaronk, qui prononça le discours le plus important de la conférence, mourut de cette épidémie. La grandiosité de ses funérailles provoqua un grand émoi parmi les autochtones et contribua à l’aboutissement du processus de paix.
Le 4 août, sur une plaine au sud de la Pointe-à-Callière où une grande arène de 40 mètres de long par 24 mètres de large fut construite, trois mille personnes assistèrent à la signature du traité de paix le plus significatif de l’histoire de la Nouvelle-France. Un grand banquet suivit les discours et le calumet de la paix fut partagé entre tous les représentants.
La Grande Paix de Montréal s’inscrit dans un fait unique en Amérique, instaurant une paix durable et permettant une grande période de prospérité et d’expansion de la Nouvelle-France qui dura jusqu’à la Conquête de 1760. Aujourd’hui, l’accord est toujours valide et reconnu comme tel par les communautés amérindiennes et les tribunaux.