Quand les canons carillonnent

La victoire des troupes de Montcalm à  Fort Carillon – Henry Alexander Ogden
Daniel Machabée
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La victoire des troupes de Montcalm à Fort Carillon

Daniel Machabée  

Pensez-vous quelquefois à ces temps glorieux
Où seuls, abandonnés par la France leur mère,
Nos aïeux défendaient son nom victorieux
Et voyaient devant eux fuir l’armée étrangère ?
Regrettez-vous encor ces jours de Carillon,
Où, sous le drapeau blanc enchaînant la victoire,
Nos pères se couvraient d’un immortel renom,
Et traçaient de leur glaive une héroïque histoire[1] ?

Il y a un endroit fort prisé chez nos voisins du sud à environ trois heures de Montréal où de nombreuses familles se rendent en vacances sans soupçonner toute la valeur historique de l’endroit. Il s’agit du lac George et de ses environs. L’endroit fut jadis un point de jonction entre les frontières de la Nouvelle-France et de la colonie anglaise de New York. En effet, les Anglais y construisirent le fort William Henry sur le lac et les Français celui de Carillon, un peu plus au nord, sur la pointe du lac Champlain. L’endroit était fort stratégique, car c’était l’accès au Richelieu, donc au cœur de la vallée du Saint-Laurent, et de l’Hudson vers le sud. Si le lecteur veut bien nous suivre, nous ferons un saut dans le temps, à cette journée du 8 juillet 1758, alors qu’une grande bataille eut lieu. 

La guerre pour l’extermination de la Nouvelle-France faisait rage depuis 1754. Un après l’autre, les forts tombaient, changeaient de main, étaient abandonnés ou brûlés. Les Français avaient détruit en août 1757 celui de William Henry et les Anglais redoublaient d’efforts afin de détruire les derniers remparts qui protégeaient le cœur de la Nouvelle-France. À 4 h 30 au matin du 6 juillet 1758, l’avant-garde anglaise fut aperçue sur la rivière la Chute, en amont du fort Carillon. Voyant cela, le marquis de Montcalm fit retrancher l’armée française sur un monticule à quelque distance du fort. Toute la journée du 7 fut employée à barricader l’endroit et quelques escarmouches furent reportées dans la forêt autour entre les milices des deux pays. Les Anglais arrivèrent avec une armée forte de 16 000 hommes; quant aux Français, ils y opposèrent 3 600 hommes. Ce fut donc avec quatre fois moins d’hommes que Montcalm défendit l’entrée du lac Champlain. 

La journée du 8 juillet 1758

À la pointe du jour, on battit la générale. L’armée française était composée de huit bataillons qui ont laissé un souvenir glorieux dans les annales de notre pays : ceux de la Reine, la Sarre, Royal-Roussillon, Languedoc, Guyenne, Béarn et les deux du Berry. S’ajoutèrent au nombre des combattants 450 Canadiens et une poignée d’Abénakis. Le chevalier de Lévis fut chargé de défendre la droite, le sieur de Bourlamaque la gauche et le marquis de Montcalm se réserva le centre. Au matin, le colonel Johnson arriva à l’armée anglaise avec 300 Sauvages Chactas, Loups et des Cinq-Nations; et le capitaine Jacob avec une centaine d’autres. Les Français les virent monter sur un escarpement d’une montagne située en face des retranchements et ils firent grande fusillade à laquelle les Français ne s’amusèrent même pas à répondre. À midi et demi, les Anglais débouchèrent sur le retranchement français. Bien que le général Abercrombie s’attendît à commencer la bataille vers 13 h, les régiments de New York commencèrent une demi-heure plus tôt à engager les défenses françaises. Le bruit des premières escarmouches fit croire au commandant Haviland que la ligne française était enfoncée et donna l’ordre à ses hommes d’avancer même si les soldats réguliers n’étaient pas en position et que le général Abercrombie n’eut pas donné l’ordre d’avancer. Ainsi, les troupes régulières, pourtant si habiles sur un terrain de conflit européen, avancèrent en total désordre.

La gauche fut la première attaquée par deux colonnes anglaises de l’infanterie légère. L’une cherchait à contourner le retranchement et se trouva sous le feu nourri du régiment de la Sarre; l’autre se dirigea sur un saillant entre les régiments de Berry et du Languedoc. Le centre, où se trouvait le Royal-Roussillon commandé par le courageux Poulhariès, fut attaqué aussitôt par une troisième colonne et une dernière colonne attaqua la droite. Au commencement de l’affaire, quelques berges et pontons partis de La Chute s’avancèrent en direction de Carillon. Mais la bonne contenance des volontaires et quelques coups de canon tirés du fort les forcèrent à se retirer après en avoir vu couler deux. Pendant trois heures, les Anglais chargèrent avec régularité et férocité, plusieurs d’entre eux se firent abattre à quinze pas de l’abatis français.  

Abercrombie ordonna à ses réserves des colonies du Connecticut et du New Jersey d’entrer dans la bataille vers 14 h, mais en vain. Jusqu’à 17 h, les Anglais firent des attaques désespérées et le 42e régiment réussit à atteindre les murs français. Mais ceux qui réussirent cet exploit furent accueillis à la baïonnette. À 19 h, voyant le désastre de l’attaque, Abercrombie ordonna la retraite et les Anglais abandonnèrent sur le terrain leurs morts et une partie de leurs blessés. 

Les lendemains de Carillon

Les Anglais se retirèrent vers un endroit dégagé sur le lac Saint-Sacrement (lac George). La retraite, cependant, fut effectuée dans la forêt sombre avec une grande panique puisque des rumeurs d’une attaque française circulaient. Le lendemain, l’armée anglaise, humiliée, retrouva sa base. Certains, comme le colonel Artemas Ward (qui deviendra général lors de la guerre d’Indépendance américaine) écrivit que l’armée « s’était retirée avec honte. » Chez les Français, comme l’écrivit le chevalier de Lévis dans ses Relations des différentes expéditions militaires, l’armée ne put poursuivre les Anglais à cause de l’obscurité de la forêt, de l’absence de guide amérindien, de la grande fatigue des troupes et des nombreux retranchements du lieu de bataille jusqu’à leur camp. Les Français comptaient même sur un retour des Anglais le lendemain et passèrent la nuit à perfectionner leurs défenses. 

Au matin du 9 juillet, les volontaires ayant averti le marquis de Montcalm que les postes de la Chute et du Portage paraissaient abandonnés, ce dernier ordonna au chevalier de Lévis d’aller reconnaître le terrain. Celui-ci y vit les traces d’une retraite précipitée : des blessés et des vivres abandonnés, des débris et des pontons brûlés. Cette bataille fit 520 morts et 1000 blessés côté anglais contre 104 tués et 273 blessés côté français. Ce fut une des plus éclatantes victoires françaises lors de cette guerre. « Cette victoire est due à la bonne manœuvre de nos généraux avant et pendant l’action, et à la valeur incroyable des troupes. Tous les officiers de l’armée s’y sont conduits de façon que chacun d’eux mériteroit un éloge particulier. Nous avons eu environ quatre cent cinquante hommes tués ou blessés, dont trente-huit officiers[2]. »

Les suites de Carillon

Les Français trouvèrent sur un officier ennemi blessé un acte publié dans les Treize colonies pour la levée et l’entretien d’une armée, annonçant l’invasion générale du Canada. Ainsi, quelques semaines après la bataille de Carillon, la forteresse de Louisbourg tomba aux mains du général Amherst. L’année suivante, le 27 juillet 1759, le fort Carillon fut abandonné et détruit et la petite garnison vint en renforts à Québec, envahie par les troupes de James Wolfe.  

La victoire française à Carillon retarda d’un an le siège de Québec. Mais inéluctable devant le manque de soutien de la France, elle ne put empêcher la fin de la Nouvelle-France. Cependant, cette bataille reste gravée dans notre mémoire collective et chaque jour nous pouvons y voir son souvenir. En effet, le drapeau du Québec, hissé par Duplessis en 1948, fut largement inspiré du drapeau qui flottait au fort Carillon.  

Ô radieux débris d’une grande épopée !
Héroïque bannière au naufrage échappée !
Tu restes sur nos bords comme un témoin vivant
Des glorieux exploits d’une race guerrière;
Et, sur les jours passés répandant ta lumière,
Tu viens rendre à son nom un hommage éclatant[3].


[1] Octave Crémazie, Le drapeau de Carillon, 1858

[2] Chevalier de Lévis, Guerre du Canada, Relations de l’expédition 1758.

[3] Octave Crémazie, Le drapeau de Carillon, 1858.

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