Le monument Wolfe 

Sources des photos : Monument de Wolfe : L’Opinion publique, 10 juin 1880.
Daniel Machabée
Les derniers articles par Daniel Machabée (tout voir)

Ou quand les vainqueurs écrivent l’histoire

Daniel Machabée – Il y a à Québec de nombreux monuments historiques. Un des plus douloureux à contempler est celui dédié à James Wolfe, général des armées anglaises lors de la campagne de 1759 qui a scellé le sort de la Nouvelle-France.

James Wolfe n’avait que 32 ans quand il entra dans l’Histoire comme le conquérant de Québec. Pendant la bataille des Plaines d’Abraham le 13 septembre 1759, il reçut deux balles et mourut sur le champ de bataille, alors que les armées françaises se déroutèrent. Ainsi, le monument érigé à sa mémoire est traditionnellement l’endroit où Wolfe rendit l’âme. 

La première commémoration de ce lieu daterait de l’époque du régime militaire anglais où des soldats dévoués, témoins de la mort du général, auraient indiqué l’endroit avec des pierres. Puis, en 1790, le major Samuel Holland, arpenteur principal de la Province of Quebec, marqua le lieu par un repère géodésique. La sobriété des commémorations anglaises s’explique du fait qu’à cette époque, les francophones, encore majoritaires, gardaient le souvenir vivace de la bataille et les dirigeants anglais ne voulaient pas s’aliéner la population. 

Évidemment, la loi du vainqueur s’imposa rapidement, surtout après l’arrivée des Loyalistes. Plusieurs anglophones déplorèrent l’absence de commémoration de ce grand homme qui a offert de sa vie l’Amérique à l’Angleterre. Avant 1827, une petite statue érigée aux coins des rues Saint-Jean et du Palais dans la haute-ville témoignait du souvenir de Wolfe. Puis, tout de suite après, dans un souci d’apaisement, le gouverneur du Bas-Canada, lord Dalhousie, fit ériger le monument à la mémoire conjointe de Wolfe et de Montcalm dans le jardin des Gouverneurs, monument qui s’y trouve encore aujourd’hui, à l’arrière du château Frontenac. 

Les récriminations des conquérants

Ces gestes ne furent pas suffisants pour satisfaire les plus impérialistes des Anglais. Dans le contexte social et politique qui précéda les Rébellions, lord Aylmer, gouverneur général de l’Amérique du Nord britannique, tenta de satisfaire les récriminations des Anglais en mettant sur le lieu-dit du décès du général Wolfe un véritable monument où il fut inscrit ces mots : « Here died Wolfe victorious – September XIII – MDCCLIX. » En pleine montée des revendications des Patriotes, le monument se voulait être une provocation du conquérant sur les nationalistes et un rappel de leur statut de perdants. Ainsi, le monument représenta un puissant symbole. Ce symbole, ressemblant à un lieu de pèlerinage pour les Anglais, va être la cause de sa profonde détérioration au fil des années subséquentes. En effet, à cette époque, il était fréquent que les visiteurs repartissent avec un morceau du monument en souvenir. Alors, dès 1849, le monument, devenu plus troué qu’un fromage de Gruyère, dut être remplacé.

Un don de l’armée britannique 

On remplaça donc le monument par une colonne dorique surmontée d’un casque et d’une épée, don de l’armée britannique alors toujours en cantonnement dans la capitale[1]. On conserva la plaque commémorative de 1832 et on lui en mit une seconde. On entoura également le monument d’une clôture hérissée de pointes pour le protéger des visiteurs empressés de repartir avec un morceau de la relique. Grandement détériorée par les intempéries, la statue fut remplacée en 1913. La Commission des champs de bataille nationaux, propriétaire des Plaines d’Abraham, commanda une reproduction en granite de la colonne tout en conservant les plaques commémoratives et les pièces de tête. On ajouta une troisième plaque racontant l’historique des monuments précédents. 

La statue de Wolfe, un symbole d’oppression

Dans l’effervescence du nationalisme québécois des années 60, cette statue représenta davantage qu’un symbole. Ce fut une cible à abattre. Pour plusieurs nationalistes québécois, cette statue fut érigée pour nous rappeler notre défaite, « comme une insulte à notre dignité. » Dans la nuit du 29 mars 1963, la statue fut renversée et détruite, les plaques commémoratives volées par le Front de libération du Québec qui, par ce geste d’éclat, entra dans l’Histoire. Ils récidivèrent le 24 mai 1965, jour de la fête de la Reine Victoria. Au moment où des milliers de gens manifestèrent au Parc Lafontaine à Montréal, le socle de la statue de Wolfe fut vandalisé avec de la peinture par le FLQ. 

Le remplacement de la statue détruite par une nouvelle fut différé en 1965. Cependant, le contexte politique va forcer la Commission des champs de bataille nationaux à plonger dans la tourmente linguistique de l’époque, car les plaques commémoratives étaient jusque-là écrites en anglais seulement. Alors que la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme publiait son rapport préliminaire, la nouvelle colonne en hommage à Wolfe fut érigée en juillet 1965. Cette fois, les plaques furent bilingues et la Commission des champs de bataille nationaux changea même les plaques en biffant le mot victorious parce que « ce mot pouvait sembler chatouilleux à certains groupes de citoyens. » Ce changement, évidemment, alla provoquer l’ire de certains anglophones qui déplorèrent qu’on veuille enlever à Wolfe sa victoire! Il y eut des échos jusqu’à la Chambre des Communes où les plus enragés accusèrent le gouvernement fédéral de mollesse et de compassion envers les nationalistes francophones. 

Aujourd’hui, cette colonne fait 11,5 mètres de hauteur et est toujours ornée d’un casque et d’une épée. Elle se trouve devant l’édifice abritant le Musée national des beaux-arts du Québec à l’entrée des Plaines d’Abraham, bâtisse qui fut jadis la prison de Québec. Sur les quatre faces du socle du piédestal, on retrouve les plaques commémoratives qui expliquent l’événement et le lieu de mémoire.

Pour en finir avec Wolfe

Contrairement à Montcalm dont les os reposent dans un mausolée à l’Hôpital-général de Québec puisqu’il fut inhumé le 14 septembre 1759 dans un trou laissé par un boulet de canon au monastère des Ursulines, le corps de Wolfe fut d’abord transporté à Saint-Joseph-de-la-Pointe-Lévy dans l’église Saint-Joseph où il fut embaumé. Le lendemain, il fut déposé dans un baril de rhum pour y être conservé afin d’être expédié à Londres où il repose encore dans une église de Greenwich. Tranquillement, à travers les années, on a tendance à redonner la toponymie d’origine qui avait été dépouillée de ses vieux noms français par les conquérants anglais. Ainsi, « Wolfe’s cove » est redevenu l’Anse-au-Foulon. Certes, on ne peut nier l’importance historique de la victoire de Wolfe ce 13 septembre 1759. Il est même important de rappeler les événements et les personnages qui ont façonné le Québec. Mais il est dangereux et pernicieux de continuer à valoriser un personnage qui voulait notre anéantissement et qui a commis de nombreuses exactions lors de son passage sur les rives du Saint-Laurent, un peu à l’image du général Amherst qui donna des couvertures pleines de bactéries aux Amérindiens. Après tout, faut-il le rappeler, la bataille des Plaines d’Abraham ne fut qu’une escarmouche de 15 minutes! Sans l’erreur stratégique monumentale de Montcalm qui n’a pas attendu la cavalerie de Bougainville et le gros de l’armée de Vaudreuil, l’armée anglaise aurait été refoulée par la falaise bien plus rapidement qu’elle la monta!


[1] L’armée britannique quittera Québec en 1871. 

print