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Remisez votre tondeuse
Valérie Lépine – Le mois de mai arrive. La neige fond et le gazon se remet à pousser. Il faut s’atteler à entretenir la pelouse, enlever les feuilles mortes qui ont survécu au souffleur à feuilles, râteler les herbes jaunies et couper ces fleurs sauvages qui poussent intempestivement au milieu de ce que l’on veut être un magnifique tapis de verdure uniforme.
Eh oui ! Dès le printemps, on renoue avec cette vieille tradition : faire le ménage non seulement de sa maison, mais aussi de son terrain. Il faut que la pelouse soit « propre » et libre de « mauvaises herbes » faute de quoi on pourrait passer pour des voisins négligents.
Mais est-ce vraiment être négligent que de laisser pousser les fleurs sur sa pelouse ou de laisser les feuilles mortes sur son terrain ? Les environnementalistes nous disent que non, et qu’au contraire, « négliger la pelouse » est un geste vert accessible à tous qui favorise la biodiversité et diminue l’empreinte carbone
La pelouse, lieu de biodiversité
Oui, de petits gestes peuvent faire une grande différence pour l’environnement. Les organismes environnementaux plaident pour une pelouse moins « parfaite », moins uniforme et abritant des espèces végétales variées. Ils rappellent que les pelouses du style green de golf, qui ne sont ni plus ni moins que des monocultures, deviennent très vite des déserts écologiques et attirent très peu la faune. Ils recommandent aussi de ne pas tondre le gazon en mai.
Aider les insectes pollinisateurs
Au printemps, les fleurs prisées par les insectes sont rares. Raison de plus pour leur donner un coup de pouce en laissant pousser les fleurs au sein de sa pelouse au printemps. Rappelons-le, les insectes sont essentiels à la pollinisation et à la reproduction des plantes qui nous nourrissent. De plus, fait inquiétant, leur nombre est en déclin au Québec1, particulièrement les insectes pollinisateurs dont le taux d’extinction est de 100 à 1000 fois plus élevé que la normale.
Les campagnes se multiplient au pays pour sensibiliser la population au déclin des abeilles et des autres insectes pollinisateurs. Conservation de la Nature Canada utilise le slogan « En mai laissez pousser »2 (ou « No Mow May » en anglais) pour attirer l’attention sur l’importance de laisser fleurir les plantes printanières, comme le pissenlit, le trèfle ou le tussilage, pour donner un coup de pouce aux insectes qui émergent de leur sommeil hivernal. Le Défi pissenlits est quant à lui une initiative québécoise qui chaque printemps invite les villes, organisations et citoyens du Québec à retarder la tonte de leur gazon afin d’offrir nectar et pollen aux abeilles grâce aux pissenlits3.
Longue vie à la longue pelouse !
Pour ceux qui tiennent à leur gazon, rappelons que le gazon coupé trop court est plus susceptible de jaunir. Une pelouse plus longue et plus diversifiée conserve davantage l’humidité et est moins vulnérable aux sécheresses. Le gazon long développe d’ailleurs un système racinaire plus élaboré, ce qui lui permet de capter plus de carbone et ainsi lutter contre les changements climatiques4. Tondre son gazon moins souvent diminue en outre la pollution générée par les tondeuses qui fonctionnent souvent à l’essence. Et que dire du temps économisé en espaçant les tontes ou en les supprimant carrément. Si on calcule 1 h 30 passée en moyenne à tondre le gazon à chacune des quelques 20 semaines d’été (mi-mai à mi-octobre), on réalise qu’on peut passer au moins 30 heures derrière un engin bruyant et polluant. Laissez tomber la tondeuse et gagnez une semaine de vacances !
Une autre bonne pratique à adopter si on tient à tondre la pelouse est celle de laisser le gazon coupé sur le terrain. Cette herbe coupée est remplie d’eau et de nutriments et contribue à nourrir la pelouse. Même chose pour les feuilles mortes à l’automne : en se décomposant, elles nourrissent le sol et offrent des abris aux invertébrés. Et tant qu’à changer ses habitudes, pourquoi ne pas aussi laisser quelques tas de branches mortes sur son terrain, diminuer les zones gazonnées et tolérer les arbres morts (s’ils ne sont pas dangereux) ? Un arbre mort contiendrait plus de vie qu’un arbre vivant, dit-on.
Bref, adopter de nouvelles pratiques sur son terrain ne peut qu’être bénéfique à la faune, à la flore, à notre santé mentale (bye bye, stress associé à la tondeuse) et à notre santé physique (bye bye, mal de dos lié à l’entretien effréné du terrain).
Notre terrain est une partie intégrante de l’écosystème; il n’est pas une extension de l’intérieur de la maison. Les règles d’esthétique qui s’appliquent à un salon ne devraient pas être les mêmes que celles qui régissent une cour arrière. Un terrain sauvage peut être un beau terrain. On estime qu’il y a six millions de pelouses au Canada5. Imaginez le boost de biodiversité que provoquerait l’abandon de la tondeuse au profit de terrains sauvages, remplis de plantes indigènes, d’arbustes fruitiers et de fleurs pleines de nectar !
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À propos du CRPF – Le Comité régional pour la protection des falaises œuvre depuis 2003 pour la protection et l’utilisation écoresponsables d’un territoire de 16 km² doté de caractéristiques écologiques exceptionnelles et s’étendant derrière les escarpements de Piedmont, de Prévost et de Saint-Hippolyte.
Cet article est publié simultanément dans le Journal des citoyens (Prévost, Piedmont et Sainte-Anne-des-Lacs) et le journal Le Sentier (Saint-Hippolyte).
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1. Les signes d’un déclin des insectes s’accumulent au Québec, Le Devoir, juillet 2022 (https://www.ledevoir.com/environnement/738435/environnement-les-signes-d-un-declin-des-insectes-s-accumulent-au-quebec)
2. Ce printemps, Conservation de la nature Canada vous propose des façons d’aider la nature, Conservation de la Nature Canada, mai 2022 (https://www.natureconservancy.ca/fr/nous-trouver/quebec/communiques/coup-de-pouce-vert.html)
3. Défi pissenlits : https://mieletco.com/pages/defipissenlits
4. Pour un terrain en harmonie avec la nature, in Nature sauvage, été 2022, p. 44-45.
5. Pourquoi des environnementalistes ne veulent-ils pas tondre leurs gazons en mai ? Radio-Canada, mai 2021, (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1792278/gazon-insectes-abeilles-environnement-jardinage)