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L’autre pandémie
Gleason Théberge – En français, le mot définitivement concerne ce qui est définitif, un synonyme de pour toujours. Par exemple, c’est définitivement que l’ancienne civilisation des empereurs romains est disparue. Depuis, elle ne revient qu’en évocation ressemblant plus ou moins à ce que les monuments ou témoignages crédibles affirment de ce qu’elle a été.
Or, notre culture occidentale pourrait aussi disparaître, et plus particulièrement celle du Québec francophone. Mais les nécessités quotidiennes nous empêchent d’envisager sérieusement cette éventualité. Or, une sournoise gangrène affecte pourtant la langue que nous parlons. Cette maladie atteint différemment la France, mais déchire chez nous la courtepointe de nos usages. L’anglais, puisqu’il faut l’appeler par son nom, à la manière d’une peste, nous fait chaque jour la guerre.
Dans nos journaux, un impact n’évoque plus un projectile ou un choc, mais s’anémise en simple conséquence.
En gestion, l’emploi d’item parasite article, élément ou point d’un ordre du jour. Dans nos commerces, change gangrène monnaie, qu’on n’utilise pas. Et récemment, c’est l’adresser un problème du premier ministre canadien qui empoisonne le fait d’affronter une difficulté, s’en préoccuper.
Plusieurs de nos présumées personnes cultivées ulcèrent déjà certains accords (les promesses que nous avons faits/faites), amputent des prépositions (ce qu’on a besoin / ce dont on a besoin).
Les organismes de charité ont depuis longtemps défiguré leurs campagnes en proposant aux donateurs de poser un geste significatif, contribuer à leur cause en leur demandant de faire la différence (make the difference), une expression qui en français suggère plutôt de distinguer en comparant deux choses (identifier le vrai et le faux).
Dans nos téléromans, sous prétexte de conformité aux termes des milieux criminels, les armes sont contaminées en gun; le normal « c’est toi qui décides », en « c’est ton call »; les consignes en briefing, et les rapports en debriefing.
Quant au post mortem, qui se répand et peut correspondre à l’autopsie d’un cadavre, fidèle à la coutume étasunienne de corrompre les expressions latines, il risque de tuer le plus simple bilan.
Même indiqués comme incorrects, dans nos dictionnaires pullulent les anglicismes et dans les témoignages des spécialistes comme des passants questionnés, définitivement ne veut plus dire que vraiment.
Nous laissons ainsi les anglophones profiter sans gêne de la dominance économique leur offrant une suprématie culturelle pandémique. Avons-nous donc renoncé à souligner poliment ces erreurs aux autres francophones, pour les en vacciner ?