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Forêts en danger
Valérie Lépine – Vivre dans les Laurentides signifie, entre autres, vivre dans un milieu dont le cachet tient grandement aux arbres qui peuplent ses montagnes. On ne peut se tromper si on affirme que les habitants d’ici sont très attachés aux érables, chênes, pins et autres conifères qui ponctuent nos paysages. Alors, quand on lit que notre forêt se porte mal, on s’inquiète.
Plusieurs études démontrent que les changements climatiques sont en train de diminuer la résilience de nos forêts, surtout les forêts tempérées comme celles du sud du Québec1. Cette résilience tient à la capacité des forêts à « résister aux changements environnementaux ou [à] se régénérer après une perturbation, tout en retrouvant la même composition et structure qu’auparavant »2.
Il est vrai que les forêts évoluent dans le temps. Au sud du Québec, 20 % de la biodiversité des forêts est composée d’espèces installées ici depuis une centaine d’années3. Cependant, les changements actuels se produisent à un rythme accéléré. Par exemple, durant le dernier siècle, l’Amérique du Nord a perdu en moyenne une espèce d’arbres tous les 10 ans à cause d’insectes ou de champignons nuisibles venus d’Europe ou d’Asie. Ainsi, les châtaigniers, les ormes et les noyers ont disparu de nos paysages. Les frênes et les hêtres sont en train de succomber à leur tour aux ravages d’espèces exotiques (l’agrile du frêne et la cochenille du hêtre). Même l’érable à sucre, un de nos arbres emblématiques, risque de disparaître dans les prochaines années à cause du longicorne asiatique qui fait des ravages dans les érablières états-uniennes4.
Les ravages causés par les champignons et les insectes sont souvent favorisés ou augmentés par les changements climatiques. Ceux-ci induisent beaucoup de stress aux arbres et ils les rendent encore plus vulnérables aux maladies. En outre, les changements climatiques provoquent des perturbations tellement rapides que les forêts peinent à s’adapter et à se régénérer. Tempête de verglas ou de vent, sécheresses, moyenne de températures à la hausse, propagation rapide des ravageurs et des maladies : tous ces fléaux s’abattent maintenant régulièrement sur nos forêts. Ajoutons à cela le morcellement des peuplements forestiers dû au développement immobilier et nous avons ici un cocktail parfait pour une crise sans précédent des forêts.
La biologiste Sylvie De Blois déclarait, il y a déjà huit ans5 qu’à cause des changements climatiques, le Québec subirait une réorganisation massive de sa biodiversité, ce qui provoquerait des changements majeurs dans la forêt québécoise. Ses travaux prédisaient en 2015 que les niches écologiques se déplaceraient vers le nord de 45 à 70 km par année (soit entre 500 et 800 km pour le siècle), qu’il y aurait des changements importants dans nos forêts et que pour chaque degré Celsius d’élévation de la température moyenne, il faudrait s’attendre à un taux d’extinction de 10 à 20 % des espèces. D’autres chercheurs parlent aujourd’hui du risque d’un effondrement brutal de certaines forêts à cause de l’accumulation des stresseurs4. Si, par exemple, une forêt dominée par les érables à sucre voyait cette espèce disparaître, la forêt elle-même pourrait ne pas s’en remettre et pourrait disparaître pendant des centaines d’années.
Les changements climatiques n’ont pas le même effet sur toutes les espèces. Ainsi, le rapport de 2023 de Ressources naturelles Canada sur l’état des forêts estime que « certaines espèces, comme les pins, le bouleau blanc et le chêne rouge, pourraient bénéficier des nouvelles conditions engendrées par l’augmentation prévue de la fréquence et de la sévérité des feux, alors que d’autres, comme l’érable à sucre, le hêtre à grandes feuilles et la pruche du Canada, pourraient décliner. Le rythme des changements climatiques au Canada signifie également que certaines espèces d’arbres ne migreront pas assez rapidement pour maintenir des populations viables. » 2
Une des solutions à cette crise de la forêt est de favoriser au maximum la biodiversité. Une forêt qui possède une diversité d’espèces, une grande diversité génétique (plusieurs représentants d’une même espèce), une variété d’habitats et une diversité dans l’âge des peuplements risque d’être plus résiliente. De nouvelles approches en foresterie visent, quant à elles, à identifier les éléments qui renforcent l’écosystème d’une forêt. On se sert ensuite de ces éléments pour accroître la résilience de la forêt. On tente par exemple d’identifier les espèces de végétaux qui sont mieux adaptées au nouveau climat de la province ainsi qu’aux nouveaux pathogènes et on les intègre ensuite aux forêts naturelles. Si, malheureusement, les arbres indigènes venaient à dépérir, les habitats forestiers peuplés de ces espèces résistantes pourraient ainsi continuer à soutenir la biodiversité3.
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À propos du CRPF
Le Comité régional pour la protection des falaises œuvre depuis 2003 pour la protection et l’utilisation écoresponsable d’un territoire de 16 km² doté de caractéristiques écologiques exceptionnelles et s’étendant derrière les escarpements de Piedmont, de Prévost et de Saint-Hippolyte.
Cet article est publié simultanément dans le Journal des citoyens (Prévost, Piedmont et Sainte-Anne-des-Lacs) et le journal Le Sentier (Saint-Hippolyte).
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1 Emerging signals of declining forest resilience under climate change, Nature, July 2022
(https://www.nature.com/articles/s41586-022-04959-9)
2 Diversité : la clé de la résilience des écosystèmes forestiers, L’état des forêts au Canada : Rapport annuel, janvier 2023 (https://ressources-naturelles.canada.ca/nos-ressources-naturelles/forets/letat-forets-canada-rapport-annuel/diversite-la-cle-de-la-resilience-des-ecosystemes-forestiers/24149)
3 Comment accroître la résilience de nos forêts ?, Le Devoir, 8 décembre 2022
(https://www.ledevoir.com/societe/773786/environnement-comment-accroitre-la-resilience-de-nos-forets)
4 Le combat pour sauver nos forêts, L’Actualité, 10 juillet 2019
(https://lactualite.com/sante-et-science/le-combat-pour-sauver-nos-forets/)
5 Protéger la biodiversité des Laurentides, Journal des citoyens, mai 2015
(https://jdc.quebec/lejournal/2015/05/PDF/JDC-201505%2017.pdf)