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Un patrimoine familial, un trésor national
Michel Fortier – Le 31 janvier dernier, Marc-André Gosselin annonçait sur les réseaux sociaux qu’un grave incendie avait frappé un des plus anciens commerces de Prévost, les Canots Nor-West établis à Prévost depuis plus de 75 ans. Cette entreprise artisanale appartient à la famille Gariepy depuis trois générations, elle est devenue au cours des ans un Trésor national ou véritable patrimoine immatériel.
D’après Roger Gariepy, le feu a détruit les deux ateliers, celui de la mise en forme et celui de la finition, les quatre formes des canots de 20, 22, 24 et 26 pieds ont été détruites, il ne reste que les formes des canots de 14, 16 et 18 pieds. Et il semble bien que seul son frère François ait collaboré à la construction d’une forme avec le fondateur, Augustin Gariepy. Mais il ne pourra construire une forme que s’il a un toit pour le couvrir et ça, ce n’est pas pour bientôt. Alors, qu’adviendra-t-il de Canots Nor-West, ces canots prisés par toutes les communautés amérindiennes du nord, les Cris, et les Inuit, les chasseurs et pêcheurs de l’Abitibi et jusqu’aux Territoires du Nord-Ouest.
Lors d’une entrevue en 2017 avec Jordan Dupuis du Journal des citoyens, Carles Gariepy, aux commandes depuis 2012 avec ses cousins Dominique et Mélanie, déclarait que Canots Nor-West produit environ 120 canots par année de 14 pieds à 26 pieds. Ils construisent principalement des canots de « 18, 20, 22 et 24 pieds », nous dit Carle, et ce, à hauteur de trois par semaine. Canots Nor-West jouit également d’une très grande visibilité en Amérique du Nord : « On vend aux États-Unis, dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavik et à la baie James du côté de l’Ontario », nous dit-il. Ils ont trois gros distributeurs et totalisent plus de 200 points de vente au Canada.
Pourquoi pas en fibre de verre ?
Malgré que plusieurs compagnies construisent à présent des canots en fibre de verre qui ont l’avantage d’être plus légers et qui requièrent moins d’entretien, les Gariepy ne veulent pas changer la formule gagnante. En effet, le canot de cèdre possède « une capacité de flottaison très élevée, il est capable de couper les vagues et plus il est chargé́, mieux il va sur l’eau », nous dit Carle Gariepy. Il rajoute que c’est grâce à une combinaison de trois types de bois différents, soit « du cèdre, du chêne blanc et de l’acajou » que le canot est si fiable. À titre d’exemple, lors d’une compétition à Québec où l’on chargeait les canots de 3 200 livres de sable, puis les remplissait d’eau, celui de Canots Nor-West est resté en surface. À l’inverse, le canot de fibre de verre a visité le fond.
Témoignages
Corinne Gariepy de L’Aviron Chasse et Pêche, espère qu’on trouvera les moyens de continuer. Le principal cheval de bataille n’est pas de refaire la bâtisse, mais de refaire les moules et les formes qui d’ailleurs avait été inspiré d’un petit modèle et réalisé par son grand-père Augustin.
C’est plus qu’une perte matérielle, c’est le risque de perdre tout un héritage, c’est l’histoire de notre famille. Elle déclara sur les réseaux sociaux « Mes oncles, mon père, cousins, cousines, et maintenant aussi la 4e génération de Gariepy qui poussait et avait commencé à y travailler… Toute la famille est vraiment dévastée. Je ne le réalise pas encore moi-même… Ok pour le matériel et la bâtisse, ça se rebâtit, mais c’est tellement plus que ça pour nous qui s’est envolé en fumée ! ».
Paul Germain, maire de Prévost, est vraiment triste pour la famille Gariepy. Il s’agit d’une des plus vieilles entreprises de Prévost. C’est aussi une tradition unique dans la fabrication de canots en Amérique du Nord qui est affectée par cet incendie. Il peut déjà assurer la famille Gariepy de l’entière collaboration de la Ville pour la reconstruction de l’immeuble. – Bon courage à tous.
Trésor national vivant
Simon Gariepy, fils de François, faisait partie en 2021 des 10 lauréats dans un concours Capture ton patrimoine afin de représenter le Québec dans une exposition internationale qui classait Canots Nor-West dans le club sélect du patrimoine immatériel. Il rend ainsi hommage à son grand-père, Auguste Gariepy, fondateur des Canots Nor-West.
L’appellation patrimoine immatériel est au Québec un ensemble de pratiques culturelles transmises de génération en génération. Au Japon on parle de « Trésor national vivant ». Il désigne des personnes détentrices d’un savoir-faire, aussi bien dans le domaine des arts de la scène que dans celui de l’artisanat. Un gage d’excellence, de singularité et de techniques ancestrales nullement vouées à disparaître, vu la résonance avec les métiers d’art d’aujourd’hui…
On comprendra que Canots Nor-West devrait faire partie officiellement du patrimoine immatériel du Québec, sa disparition laisserait une grave blessure audit patrimoine et laisserait la principale clientèle, Cris et Inuit, dans une situation dramatique. Rappelons que ces canots sont aussi appelés des freighters, c’est-à-dire des canots cargo afin de désigner leur habilité à porter de lourdes charges.
L’avenir attendra encore un peu
Pour Dominique Gariepy, qui dirige l’entreprise avec ses cousins Carles et Mélanie, l’heure est à l’analyse et aux urgences administratives. « C’est déjà assez dur de se départir d’employés qualifiés et expérimentés qui au cours des ans deviennent des amis. Nous évaluerons au cours des prochaines semaines les alternatives qui s’offrent à nous. »