Tremblement de terre et châtiment

Daniel Machabée
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Le plus terrible tremblement de terre du Québec était-il un châtiment divin ?

Daniel Machabée – Il y a certains événements dans notre mémoire collective qui sont si profondément gravés dans notre imaginaire que lorsqu’on se laisse porter par la nostalgie des temps anciens, on y pense encore ardemment. Citons par exemple la crise du verglas de 1998 ou le déluge du Saguenay de 1997. Pour nos aînés, on peut citer le jour où Neil Armstrong a mis le pied sur la Lune en 1969 ou l’émeute au Forum de Montréal en 1955.

Bref, il y a de ces événements incontournables, qu’ils soient naturels ou humains. L’événement dont je vais vous parler a marqué l’imaginaire des colons de la Nouvelle-France par sa force et son ampleur. 

En effet, le 5 février 1663, un tremblement de terre estimé entre 7 et 7,3 sur l’échelle de Richter ébranle la vallée du Saint-Laurent. L’épicentre se trouvait dans la région de Charlevoix. À ce jour, c’est le plus puissant séisme connu de notre histoire. Il fut ressenti jusqu’en Acadie à l’est et à la Nouvelle-Amsterdam (New York) au sud. S’il n’a pas fait de victimes (en 1663 il y a à peine 3000 habitants en Nouvelle-France), le séisme fut si puissant qu’il défigura le paysage de Charlevoix et fit apparaître de nouvelles îles dans le fleuve Saint-Laurent. Laissons les témoins de l’époque témoigner de cette démonstration de force naturelle. 

Le contexte social en 1663

Pierre du Bois d’Avaugour fut gouverneur de Nouvelle-France de 1661 à 1663. Ce fut le dernier gouverneur de l’époque dite de la colonie-comptoir. En effet, l’année 1663 marqua la prise en charge de la Nouvelle-France directement par le roi Louis XIV. À cet effet, la colonie va devenir enfin une colonie de peuplement et va véritablement commencer à se peupler et à se développer comme une colonie normale.  Lors de son mandat, il y eut un véritable problème social; en effet, des colons donnaient volontiers de l’eau-de-vie aux Autochtones en échange de peaux d’animaux. Or, les Autochtones ne supportaient pas l’alcool et rapidement un conflit apparut entre le clergé et le gouverneur qui ne voulait pas interdire la vente de l’alcool. Ce problème fut si répandu que le clergé partit en guerre contre ce troc malveillant. Arrive alors ce fameux tremblement de terre le 5 février 1663 aux alentours de 17 h 30. Voici ce qu’en dit le gouverneur d’Avaugour : « Nous avons eu un tremblement de terre qui a duré près d’un demi-quart d’heure, assez fort pour nous engager à un bon acte de contrition. Il a continué de temps en temps durant neuf jours et a paru jusqu’au dernier du mois, mais toujours en diminuant. »

Le témoignage du père Lallemant

Un des récits les plus précis est sans nul doute celui du père jésuite Hiérosme Lallemant : « Quand Dieu parle, il se fait bien entendre, surtout quand il parle par la voix des Tonnerres ou des Terre-trembles.  (…) Ce fut le cinquième jour de février 1663, sur les cinq heures et demie du soir, qu’un grand bruissement s’entendit en même temps dans toute l’étendue du Canada. Ce grand bruissement qui paraissait comme si le feu eût été dans les maisons en fit sortir tout le monde, pour fuir un incendie si inopiné; mais au lieu de voir la fumée et la flamme, on fut bien surpris de voir les murailles se balancer et toutes les pierres se remuer, comme si elles se fussent détachées; les toits semblaient se courber en bas d’un côté, puis se renverser de l’autre; les cloches sonnaient d’elles-mêmes; les poutres, les soliveaux et les planchers craquaient; la terre bondissait, faisant danser les pieux des palissades d’une façon qui ne paraissait pas croyable, si nous ne l’eussions vu en divers endroits. Pendant ce débris général qui se faisait sur terre, des glaces épaisses de cinq et six pieds se fracassaient, sautant en morceaux et s’ouvrant en divers endroits d’où s’évaporaient ou de grosses fumées ou des jets de boue et de sable qui montaient fort haut dans l’air; nos fontaines ou ne coulaient plus ou n’avaient plus que des eaux ensoufrées; les rivières ou se sont perdues ou ont été toutes corrompues, les eaux devenant jaunes, les autres rouges; et notre grand fleuve de Saint-Laurent parut tout blanchâtre jusque vers Tadoussac, prodige bien étonnant et capable de surprendre ceux qui savent la quantité d’eau que ce gros fleuve roule au-dessous de l’Isle d’Orléans. (…) Estant frappée par les premiers rayons du Soleil, deuenoit transparente, de telle sorte néantmoins qu’elle auoit assez de corps pour soustenir les deux Images que cet Astre peignoit dessus; ces trois Soleils estoient presque en ligne droite, esloignez de quelques toises les vns des autres, selon l’apparence, le vray tenant le milieu, et ayant les deux autres à ses deux costez. Tous trois estoient couronnez d’vn Arc-en-Ciel, dont les couleurs n’estoient pas bien arrestees, tantost paroissant comme celles de l’Iris, puis après d’vn blanc lumineux, comme si au-dessous tout proche, il y eust vne lumière excessiuement forte.1  

Une prémonition de Marie de l’Incarnation

« J’eus pour lors un pressentiment assez considérable et comme une assurance infaillible, que Dieu était prêt de punir le pays pour les péchés qui s’y commettaient, surtout pour le mépris qu’on faisait de l’Église. Il me semble pour lors que Dieu était beaucoup irrité. Je ne pus m’empêcher de souhaiter ce châtiment quel qu’il fut; car je n’eus pour lors aucune idée de ce que ce pourrait être. Le soir, au même instant qu’un tremblement de terre commença, je vis en esprit quatre démons, qui occupaient les quatre côtés des terres voisines, et les secouaient fortement, comme voulant tout renverser; et sans doute ils l’auraient fait si une puissance supérieure, qui donnait comme le branle à tout, n’eût mis obstacle à leur volonté. Ensuite, les démons me dirent qu’ils feraient leur possible pour continuer ce renversement qu’il y avait bien de monde effrayé et que la peur les faisait recourir à Dieu et penser à leur conscience; mais qu’ils feraient bien en sorte que cela ne leur servirait de guerre. »2

Le père François-Xavier de Charlevoix fut envoyé en Amérique afin de reconnaître et décrire le territoire pour le roi de France. Il l’a fait dans un ouvrage intitulé Histoire et description générale de la Nouvelle-France. Basé sur le récit qu’en a fait Marie de l’Incarnation, il imputa le tremblement de terre à une vengeance divine bien méritée à cause de la dépravation de la colonie ! : « Enfin le même jour la Mère Marie de L’Incarnation, cette Illustre Fondatrice des Urfulines de la Nouvelle France, dont les Ouvrages, fi généralement eftimés, font foit qu’elle n’étoit rien moins qu’un efprit foible, après avoir reçu du Ciel plufieurs avis de ce qui devoit arriver, & dont elle avoit fait part au P. Lallemant, fon Directeur, étant fur les cinq heures & demie du Foir en Oraifon (a), crut foir le Seigneur irrité contre le Canada & fe fentit en même tems porté par une force fupérieure à lui demander juftice des crimes qui s’y commetoient. Les Campagnes n’offroient que des précipices, & l’on s’attendoit à tous momens à en voir ouvrir de nouveaux fous fes pieds. Des Montagnes enfieres fe déracinerent, & allerent fe placer ailleurs; quelques-unes fe trouverent au milieu des Rivieres, dont elles arrêterent le cour : d’autres s’abîmerent fi profondément, qu’on ne voyait pas même la cime des Arbres, dont elles étoient couvertes. »3

Un voyageur de marque

Pratiquement un siècle après le tremblement de terre, le botaniste suédois, Pehr Kalm, en voyage en Nouvelle-France, en parla dans ses écrits : « Le grand tremblement de terre qui a eu lieu en Canada, en février 1663, et dont Charlevoix fait mention, a causé un dommage considérable à cette place, renversant les collines les plus élevées sur les côteaux qu’elles dominaient et comblant les vallées en état de culture. On m’a montré plusieurs petites îles qui doivent leur existence à cette convulsion de la nature. »4

L’épicentre de la première secousse se trouvait à l’embouchure de la rivière Saguenay. Il y eut environ 34 répliques lors des mois suivants.  Bien que l’on sache avec certitude aujourd’hui que ce fut une cause naturelle, imaginez la réaction des gens de l’époque ! Très superstitieux, isolés six mois par année dans un immense territoire sauvage, affolés, les colons crurent que la fin du monde était arrivée et que le séisme était un signe de Dieu. Les prêtres ne connaissaient pas de répit, entendant les confessions jour et nuit. Les trafiquants de fourrures, que les scrupules n’étouffaient généralement pas, annulèrent les dettes de ceux qui leur devaient de l’argent. L’intendant Jean Talon signa à son arrivée un arrêt sur l’interdiction de la vente d’alcool sans aucune opposition. Comme quoi les cataclysmes naturels demeurent encore associés à la colère divine !

1. Relations des Jésuites, 1663.

2. Lettre de Marie de l’Incarnation dans les archives des Ursulines de Québec.

3. Histoire er description générale de la Nouvelle-France, Tome premier, Père Charlevoix.

4. Récits de voyages entre 1753 et 1761, Pehr Kalm.

Le tremblement de terre de 1663 à Charlexoix  – photo :  http://histoiresainteducanada.ca
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