Le rapport Durham

Histoire, journal des citoyens
Daniel Machabée
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Un tremblement de terre politique

Daniel Machabée – Il y a des tremblements de terre terribles qui bouleversent les paysages bucoliques (voir autre texte) et il y a des tremblements de terre politiques qui changent drastiquement un état de chose établi pour en créer un nouveau.

Le 11 février 1839, John George Lambton, vicomte puis comte de Durham, publiait son tristement célèbre Rapport sur les Affaires de l’Amérique du Nord britannique. Ce rapport, toujours d’actualité par sa nature brutale et controversée visant à la disparition de la race canadienne-française, est notamment considéré comme le document fondateur du Commonwealth britannique. Retour sur une époque essentielle de notre histoire.

Le contexte politique anglais avant son arrivée

En 1837, alors que les Canadas sont plongés dans les Rébellions, la tension est très vive au Parlement de Londres. Le gouvernement du parti whig, parti opposé à l’absolutisme royal, détient alors une mince majorité en chambre sur le parti très conservateur des torys, proche du roi. Le parti radical, classé sur l’extrême-gauche de l’échiquier politique, détient la balance du pouvoir et menace de renverser le gouvernement à tout moment. Le gouvernement n’a donc d’autre choix que de manœuvrer afin de calmer les radicaux. 

Le gouvernement choisit alors d’éloigner le chef des radicaux sous le prétexte d’une mission prestigieuse en Amérique. C’est ainsi que Lord Durham fut envoyé dans les Canadas. Les patriotes de Louis-Joseph Papineau avaient très bien saisi l’importance de l’appui des radicaux à leur envoyé à Londres. John Arthur Roebuck, un parlementaire britannique né aux Indes et élevé au Haut-Canada, qui s’est toute sa vie opposé au gouvernement britannique quel qu’il soit, a démontré toute sa vie que les patriotes et les radicaux partageaient les mêmes buts politiques. Ce rapprochement fait donc de la situation dans les Canadas et plus particulièrement au Bas-Canada un véritable enjeu pour le gouvernement whig qui risque d’être renversé à cause de cette petite colonie de descendants français. Le 10 février 1838, Londres suspend la constitution du Bas-Canada et envoie donc Lord Durham enquêter.

L’arrivée de Durham à Québec

Lord Durham arrive à Québec le 27 mai 1838 sur le Hastings dans une colonie encore en ébullition. Initialement, sa nomination fut très bien accueillie par les Canadiens-français de l’époque qui voyaient en lui un rempart contre la brutalité et la répression du gouverneur xénophobe et francophobe John Colborne. Étienne Parent dira même « qu’un nouveau messie est venu effacer un nouveau péché originel. » Ils vont très vite désenchanter. Lord Durham passe deux jours dans sa cabine du bateau avant de débarquer. Il en profite pour recevoir des marchands anglais, notamment Adam Thom, connu pour ses propos virulents et violents contre les Canadiens-français. Alors qu’à son arrivée on annonce dans les journaux de l’époque son intention d’agir avec la « plus grande impartialité », il ne reçoit que des adversaires connus des revendications des patriotes pendant tout son mandat qui dure cinq mois.

Le 1er juin il dissout le Conseil spécial qui, avec le Conseil exécutif, avait pour mandat de régler les choses urgentes de la colonie depuis la suspension de la constitution quelques mois plus tôt. Le 2 juin, il forme son propre Conseil exécutif, et le 28 juin, son propre Conseil spécial pour vaquer aux choses courantes. Il ne sort pratiquement pas de sa résidence officielle à Québec ne se déplace que quelques jours à Montréal et Toronto et fait une halte de quelques heures aux États-Unis afin d’éviter tout appui aux patriotes exilés. Une de ses grandes préoccupations était le sort des prisonniers patriotes qui s’entassaient dans les prisons. Ils sont 161 qui attendent leur procès. Sachant qu’en agissant comme le gouverneur du Haut-Canada, George Arthur qui avait fait exécuter sommairement des prisonniers, il ne ferait qu’envenimer la situation, il s’appliqua à faire reconnaître aux accusés leur culpabilité. Le 26 juin, huit d’entre eux, dont Wolfred Nelson, Siméon Marchesseault et Rodolphe des Rivières signent une déclaration en ce sens. Il ordonne également aux 16 chefs patriotes exilés aux États-Unis, dont Papineau, de revenir au pays sous peine de mort. Durham amnistie ensuite le 28 juin 1838, jour du couronnement de la reine Victoria, tous les rebelles canadiens-français à l’exception de 24 qui seront ou déportés ou pendus. Le premier ministre britannique Lord Melbourne est furieux et rappelle immédiatement lord Durham en Angleterre. 

Le dépôt du rapport : une bombe au Bas-Canada

Après quelques mois de travail, il dépose finalement son rapport le 11 février 1839. Reçu froidement par le gouvernement britannique, car il propose la responsabilité ministérielle, il provoque une grande émotion au Bas-Canada par l’ampleur de ses recommandations. Ainsi, l’extrait qui suit résume parfaitement l’esprit du rapport Durham : « J’ai été convaincu qu’il existait une cause beaucoup plus profonde et plus radicale des dissensions particulières et désastreuses dans la province, une cause qui surgissait des institutions politiques à la surface de l’ordre social, une cause que ne pourraient corriger ni des réformes constitutionnelles, ni des lois, qui ne changeraient en rien les éléments de la société. Cette cause, il faut la faire disparaître avant d’attendre le succès de toute autre tentative capable de porter remède aux maux de la malheureuse province. Je m’attendais à trouver un conflit entre un gouvernement et un peuple; je trouvai deux nations en guerre au sein d’un même État : je trouvai une lutte, non de principes, mais de races. Je m’en aperçus : il serait vain de vouloir améliorer les lois et les institutions avant que d’avoir réussi à exterminer la haine mortelle qui maintenant divise les habitants du Bas-Canada en deux groupes hostiles : Français et Anglais. » 

Progressiste, Durham ne veut pas employer la violence, mais faire lentement disparaître le caractère français du Bas-Canada en le noyant dans la majorité anglophone. C’est l’Acte d’Union de 1840 qui stipule que la mise en minorité des francophones et l’immigration anglophone sauront tôt ou tard garantir « que le Bas-Canada doit être maintenant, comme dans l’avenir, gouverné par une population anglaise. » Ainsi, lorsque le caractère anglophone de la province sera finalement acquis, elle pourra obtenir la responsabilité ministérielle.

Les réactions des contemporains au rapport

La Colonial Association de Londres s’oppose aux conclusions du rapport, les jugeant trop clémentes envers les francophones. Elle se met à réclamer le retrait total des droits politiques des francophones, idées reprises par la Clique du Château. Chez les patriotes, ils tirent à boulets rouges contre ce rapport odieux. Louis-Joseph Papineau s’opposera dans Histoire de la résistance du Canada au gouvernement anglais à l’idée d’une lutte de races, rappelant la participation active de son bras droit irlandais, Edmund B. O’Callaghan. Il rappelle également les rôles joués par Robert et Wolfred Nelson et Thomas Storrow Brown et l’origine ethnique des rebelles anglais du Haut-Canada. Plusieurs chefs politiques écriront leur version de l’histoire afin de répondre à Durham. Citons à ce propos le journaliste Étienne Parent qui venait tout juste de sortir de prison : «La cause principale des insurrections récentes ne se trouve pas écrite sur le papier, mais gravée dans le cœur d’un peuple exaspéré par ce qu’une caste dominatrice peut employer de plus provocant pour pousser un peuple au désespoir et avoir l’occasion de l’écraser. »

L’esprit du rapport Durham hante toujours le Québec

Plus de 180 ans après l’Acte d’Union, même si le fait français demeure vigoureux au Québec faisant mentir ce rapport qui disait que les Canadiens-français n’avaient ni culture ni histoire, il faut demeurer vigilant à tout moment et se battre pour repousser les tentatives assimilatrices de la majorité anglophone et imposer le français partout sur le territoire du Québec. Il n’y a pas de petites victoires. Nos ancêtres se sont battus pour conserver notre héritage culturel et linguistique; certains sont morts pour défendre le droit à la liberté, pour obtenir la responsabilité ministérielle. À nous de leur faire honneur désormais.

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