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L'escarmouche de la rue Sault-au-Matelot - journal des citoyensL’escarmouche de la rue Sault-au-Matelot le 31 décembre 1775 : peinture de Charles William Jeffreys
Daniel Machabée
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La guerre pour l’Indépendance des Treize colonies

Daniel Machabée – À peine douze ans après le traité de Paris de 1763 qui changea la face de l’Amérique du Nord, alors que la France abandonnait la Nouvelle-France à l’Angleterre, la ville de Québec renaissait péniblement de ses ruines causées par le bombardement anglais de l’été 1759, et voilà qu’une autre armée s’amena devant la ville afin de la conquérir.

Ayant reçu une réponse plutôt vague que négative à leur demande de rejoindre leur mouvement de rébellion envers la Grande-Bretagne, les représentants du Congrès continental américain réunis à Philadelphie décidèrent d’envoyer une armée de miliciens patriotes dans la Province of Quebec afin de forcer sa population à former la 14e colonie. Dans une lettre datée du 26 octobre 1774, le premier Congrès continental invita les francophones (ils sont plus de 99 %) à participer à la réunion suivante du Congrès prévue en mai 1775. Leur objectif était clair : détacher les Canadiens français de l’Empire britannique. Malgré leurs tentatives, le clergé, qui venait de retrouver ses privilèges avec l’Acte de Québec de 1774, décida de donner son appui aux dirigeants britanniques. Nous sommes en 1775 et la guerre pour l’Indépendance des Treize colonies venait d’être déclenchée.

Objectif : Montréal

Une première expédition conduite par Richard Montgomery partit du Fort Ticonderoga (anciennement Fort Carillon) et s’empara du fort de Saint-Jean-sur-le-Richelieu en novembre 1775. L’expédition était composée de miliciens de New York, du Connecticut, du New Hampshire et des Green Mountains Boys. Vers le 22 septembre, les troupes d’Insurgents s’approchèrent de Montréal. Dans la nuit du 24 septembre, un détachement dirigé par Ethan Allen traversa le fleuve et débarqua à la Longue-Pointe, dans l’est de l’île. Lorsque le gouverneur Guy Carleton apprit qu’Allen était tout proche de Montréal, il sonna l’alarme. Pendant 90 minutes, l’attaque du détachement ne parvint pas à pénétrer dans les fortifications. Cette attaque infructueuse conduisit à la mobilisation de la milice de Montréal, soit près de 1000 hommes. Mais cette milice ne demeura pas longtemps sur place. Bien vite, les hommes retournèrent chez eux afin de moissonner leurs champs, laissant la ville presque sans défense. Le 13 novembre, la ville capitula (une deuxième capitulation en 15 ans, tout de même !) et le général Montgomery occupa Montréal sans avoir tiré un coup de feu.

La fuite du gouverneur Guy Carleton 

Estimant que la ville était indéfendable, le gouverneur Guy Carleton abandonna Montréal pour aller donner l’alarme à Québec. Tentant de rejoindre la capitale par le fleuve, la petite flotte anglaise fut rejointe par un bateau arborant un drapeau blanc à la hauteur de Sorel. Son capitaine présenta une demande de reddition dans laquelle il était écrit que des batteries en aval ouvriraient le feu sur les bateaux anglais. Ignorant si ces batteries existaient réellement, Guy Carleton décida de quitter son navire en ordonnant qu’on détruise la poudre et les munitions. Le 19 novembre, la petite flotte se rendit alors que, déguisé sous des vêtements de colons, Guy Carleton réussit à gagner Québec. 

Avant de quitter Montréal pour Québec, Richard Montgomery informa les habitants de la demande du Congrès continental de les rejoindre. Il entama des discussions avec des sympathisants américains dans le but de tenir un « congrès provincial » afin d’élire des délégués. Il écrivit également au Congrès continental afin que celui-ci envoie une délégation pour nouer des liens diplomatiques. Il n’envoya nul autre que Benjamin Franklin en 1776. Le 28 novembre, Montgo-mery laissa 200 hommes à Montréal et partit pour Québec afin de rejoindre une autre armée de miliciens commandée par Benedict Arnold. Ayant perdu des hommes qui furent retournés chez eux à cause de l’expiration de leur contrat, l’armée de Montgomery eut la main chanceuse en chemin puisque 200 hommes qui formèrent le 1er régiment canadien se joignirent à l’expédition.

L’armée de Benedict Arnold

George Washington, le général en chef des armées continentales américaines, approuva la création d’une seconde force armée pour les opérations du Nord et donna 1100 hommes à Benedict Arnold pour cette expédition. La faiblesse des armées continentales s’expliqua par leur analyse de la situation : la Province of Quebec était mal défendue et devait tomber facilement. L’armée de Arnold passa par le Massachusetts, la rivière Kennebec, le Maine ainsi que par la Chaudière. Après avoir parcouru 650 km dans des conditions difficiles, Arnold arriva en vue de Québec le 14 novembre avec une troupe réduite à 600 hommes affamés. De plus, les bateaux prenaient l’eau, ce qui abîma grandement la qualité de la poudre. Tout de même, Arnold envoya un émissaire demandant la reddition de la ville à la garnison. Celle-ci, forte de seulement 100 hommes, commandée par le lieutenant-colonel Allan Maclean, refusa de se rendre, bien à l’abri derrière les fortifications portant encore les stigmates de 1759. 

Le 19 novembre, Arnold décida de se retirer à la Pointe-aux-Trembles (Neuville) après avoir appris que Montgomery était en chemin en provenance de Montréal, alors que Guy Carleton parvint à atteindre la ville de Québec et préparer les défenses de la capitale. Faisant la jonction avec l’armée de Montgomery et ses 500 soldats, l’armée continentale prit pied le 5 décembre 1775 sur les Plaines d’Abraham. 

La bataille de Québec

Les continentaux tentèrent une première offensive, profitant de l’absence de lune. Mais comme il faisait trop froid, l’offensive fut reportée. Ce n’est qu’au 31 décembre pendant une tempête de neige que l’assaut fut finalement donné. L’attaque commença à 4 h du matin alors qu’Arnold avec 600 hommes tenta de pénétrer par la Haute-Ville alors que Montgomery et 300 hommes tentèrent une entrée par la Basse-Ville et devaient se rejoindre à la pointe Saint-Laurent. La colonne de Montgomery avança par le Cap-Blanc vers des barricades érigées à un endroit appelé Pré-de-Ville, tenues par 30 miliciens canadiens. Ceux-ci ouvrirent le feu et du premier coup de canon, tuèrent Montgomery. Incapables de riposter, les troupes battirent en retraite le long du fleuve. 

Ignorant ce qui se passait en bas du Cap Diamant, Arnold avança ses troupes par le nord. Arrivé à une barricade sur la rue Sault-au-Matelot, Arnold reçut une balle à la cheville et fut rapatrié en arrière. Attaqué par les miliciens et les Britanniques, le détachement de Arnold n’eut d’autres choix que de se rendre. Une trentaine de soldats furent tués pendant l’assaut alors qu’une vingtaine se noyèrent en essayant de traverser le fleuve à moitié gelé.

L’arrivée des renforts

Bien qu’Arnold fût en infériorité numérique, il refusa d’abandonner et mit le siège à la ville. Il reçut des renforts de 2000 hommes en mars 1776. Mais incapable de lancer un nouvel assaut sur la ville, Arnold fut envoyé à Montréal à sa demande et fut remplacé par un officier plus expérimenté, le major John Thomas. Ce dernier, n’ayant devant ses yeux qu’une armée affaiblie, malade et inférieure en nombre à la suite de l’arrivée de 8000 hommes britanniques en renfort le 6 mai 1776, décida de lever le siège. Guy Carleton, négligeant de poursuivre les vestiges de l’armée continentale alors qu’il aurait pu la détruire, fut sévèrement critiqué par les autorités et fut contraint de démissionner en 1778.

L’arrivée des troupes britanniques permit à ceux-ci de contre-attaquer et de harceler l’armée continentale qui retraita le long du Saint-Laurent. Le 22 mai 1776 eut lieu une bataille à Trois-Rivières où les Anglais eurent le dessus sur les Insurgents.

L’abandon de Montréal et la fin de la l’invasion américaine

Le 15 juin 1776, Arnold, qui se trouvait à Montréal, reçut le message que la flotte anglaise se trouvait à Sorel. En moins de quatre heures, les Américains abandonnèrent Montréal pour se replier au fort Crown Point, dans l’État de New York. Les troupes arrivèrent en juillet dans un profond désordre, mettant fin à cette campagne qualifiée par Isaac Senter, un médecin qui participa à l’expédition, de « concaténation hétérogène des rebuffades et des souffrances les plus singulières et sans précédent que l’on puisse trouver dans les annales de toute nation. » 

Le bilan pour les forces continentales est dur. L’inexpérience des troupes, comme l’expliqua Arnold lui-même, ne permit pas le succès de l’entreprise : « Négligés par le Congrès, aux prises avec la petite vérole, avec un manque de généraux et de discipline dans notre armée, qu’on pourrait plutôt appeler une grande cohue […] notre crédit et notre réputation perdus, de même qu’une grande partie du pays ; et un puissant ennemi étranger avançant contre nous – ce sont là de si nombreuses difficultés que nous ne pouvons les surmonter. »

Benedict Arnold  – Archives de la Ville de Montréal

Et c’est ainsi que la Province of Quebec faillit devenir un état américain. Si la cause des insurgés était noble et légitime, le manque d’enthousiasme des francophones et l’appui inconditionnel du clergé catholique aux Anglais furent des facteurs non négligeables à considérer, davantage sans doute des exactions commises à Montréal par les troupes d’occupation américaines. À la signature du traité de paix en 1783, Benjamin Franklin demanda l’annexion de la Province of Quebec au nouveau pays, mais ne réussit qu’à obtenir l’Ohio. Les conséquences pour la province sont désastreuses socialement : l’arrivée de 80 000 loyalistes anglais va complètement transformer le visage hétérogène de l’ancienne Nouvelle-France.

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