La réponse des élites francophones à lord Durham

La réponse à Dunham- journal des citoyensFrançois-Xavier Garneau, poète, historien et patriote. – Crédit : Domaine public
Daniel Machabée
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«Les descendants des Français dans le Bas-Canada, c’est un peuple sans histoire et sans littérature.»

Daniel Machabée – Dans son célèbre rapport qui unissait politiquement les deux Canadas afin d’assimiler les francophones, lord Durham, ayant un préjugé fort défavorable envers les héritiers de la Nouvelle-France, écrivait ceci : « On ne peut guère concevoir de nationalité plus dépourvue de tout ce qui peut vivifier et élever un peuple que celle des descendants des Français dans le Bas-Canada, du fait qu’ils ont conservé leur langue et leurs coutumes particulières. C’est un peuple sans histoire et sans littérature ».

L’institut canadien

Quatre années après l’Acte d’Union de 1840, 200 jeunes libéraux canadiens-français fondèrent L’institut canadien de Montréal le 17 décembre 1844 qui devint la source des idées politiques défendues par les Rouges, successeurs idéologiques des Patriotes. Puis, comme la culture française menaçait de disparaître à Québec, majoritairement anglaise à cette époque, on fonda L’institut canadien de Québec le 17 janvier 1848 afin « d’entretenir chez nos compatriotes le culte de l’esprit français et de former une bibliothèque, une chambre de lecture, un musée, organiser un mode d’instruction publique au moyen de diverses séries de lectures sur des sujets propres à répandre parmi les sujets de Sa Majesté de la cité de Québec et de ses alentours le goût de l’instruction, des arts, des sciences, et étendre les connaissances utiles et pratiques pour l’avantage général de la société, et principalement pour l’utilité des membres de ladite association et de ceux qui en feront partie à l’avenir ».

À l’époque, la bibliothèque de l’institut était constituée d’œuvres d’auteurs des Lumières, comme Voltaire et Diderot, mais également d’auteurs plus contemporains tels Victor Hugo et Lamartine. Il va sans dire que tous ces livres étaient mis à l’index par l’Église catholique ! En 1880, L’institut canadien de Montréal dut fermer ses portes. Comme celui de Québec accepta de brûler ses livres séditieux, il demeura ouvert. Son deuxième président fut Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1820-1890) qui allait devenir Premier ministre du Québec. En 1897, il signa avec la Ville de Québec une entente qui en fit désormais une bibliothèque publique et gratuite pour tous. En 1948, M. Chauveau reçu à titre posthume le Prix de la langue française décerné par l’Académie française. Aujourd’hui, L’institut canadien de Québec gère encore le réseau des bibliothèques de la ville et joue un rôle fondamental dans la diffusion de la culture et de la littérature francophones.

La fondation de l’Université Laval

À l’initiative du Séminaire de Québec fondé en 1663 par Monseigneur Laval, premier évêque de Nouvelle-France, l’Université Laval est créée en 1852 et constitue donc le plus ancien établissement d’enseignement supérieur francophone en Amérique. Ainsi, l’abbé Louis-Jacques Casault reçut une charte royale de la reine Victoria datée du 8 décembre 1852 qui accorda au Séminaire de « conférer des degrés » et « tous les droits, pouvoirs et privilèges d’universités ». En outre, la distinction entre le Séminaire et l’Université resta floue pendant longtemps, car initiée par Monseigneur Bourget qui voulait une institution d’études supérieures de langue française afin de faire contrepoids aux cinq universités anglophones déjà existantes, la demande fut envoyée autant à Londres qu’à Rome. L’Université Laval fut donc créée avec une charte catholique. Ce n’est qu’en 1882 qu’elle devint véritablement une institution laïque. Le 19 décembre 1853, on y fonda la Faculté de médecine dont les cours se donnaient au deuxième étage de l’ancien Hôtel de Ville. 

En 1878, Le Séminaire ouvrit une succursale à Montréal sur la Montagne, qui devint en 1920 l’Université de Montréal. L’histoire de l’Université Laval est intrinsèquement liée à celle du Québec. Elle a longtemps formé l’élite intellectuelle francophone et son influence est très grande encore de nos jours. 

L’œuvre inestimable de François-Xavier Garneau

Très proche des Patriotes de Louis-Joseph Papineau, greffier de la Ville de Québec, François-Xavier Garneau fut le premier historien canadien-français. Publié en 1845, le premier volume de son Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours, fut la réponse directe à lord Durham que tout un peuple existait avant l’arrivée des Anglais. La parution de son immense ouvrage en quatre volumes entre 1845 et 1852 est considérée comme une épopée nationale et influença d’éminentes personnalités nationalistes telles Henri Bourassa et Lionel Groulx. Pour ce dernier, « toute son Histoire du Canada n’est pas seulement une réplique à la conception de l’histoire de Durham, elle est surtout une dénonciation de son horizon : l’Union et l’effacement de la nationalité française en Amérique du Nord ». 

Nos élites intellectuelles de l’époque ont donc mieux combattu l’hégémonie britannique avec leur plume que les armes des Patriotes. Cependant, presque deux siècles après son rapport, la vision de Durham est très présente encore et menace plus que jamais l’existence de l’esprit français dans ce coin du monde : « En vérité je serais étonné si, dans les circonstances, les plus réfléchis des Canadiens français entretenaient à présent l’espoir de continuer à préserver leur nationalité. Quels que soient leurs efforts, il est évident que le processus d’assimilation aux usages anglais est déjà commencé. La langue anglaise gagne du terrain comme le fera naturellement la langue des riches et des employeurs1 ». 

À nous de poursuivre le combat et de faire mentir ces buveurs de thé. 

  1. Rapport Durham.
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