Chronique du CRPF

pollution lumineuse
Valérie Lépine
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Que la lumière… ne soit plus !

Valérie Lépine « La nuit, tous les chats sont gris ». Ce proverbe semble aujourd’hui bien anachronique pour les habitants des villes et des banlieues tant nos nuits sont maintenant illuminées. Commerces, stationnements commerciaux, tours à bureaux, édifices municipaux et résidences privées repoussent aujourd’hui à coup de lumens l’angoissante noirceur. Tant et si bien que les lumières de Noël font pâle figure face à cette débauche lumineuse.

Commençons par déboulonner un mythe : aucune étude scientifique n’a démontré que l’éclairage artificiel nocturne diminue la criminalité ou les risques de collisions automobiles1. Ce qui a été démontré par contre, ce sont les coûts énergétiques, monétaires et écologiques d’une mauvaise gestion de l’éclairage artificiel dans nos villes et près de nos résidences.

Coûts énergétiques et monétaires

Aux États-Unis, on estime que 13 % de l’électricité utilisée par les résidences privées sert à l’éclairage extérieur. Ce qui équivaut à 15 millions de tonnes de CO2 émis chaque année pour fournir l’énergie nécessaire à cet éclairage. Pour donner une idée de l’ampleur du gaspillage, il faut 3 millions d’automobiles pour dégager 15 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère et 600 millions d’arbres devraient être plantés pour compenser cette dépense énergétique2. Quand on sait qu’un Québécois consomme en moyenne de 4 à 5 fois plus de lumière qu’un Américain ou un Européen3, on constate l’ampleur du problème dans la province.

D’ailleurs, Montréal s’est livré à une véritable orgie lumineuse dans les dernières années. Un demi-million de lumières à DEL ont été installées sur les grandes artères de la ville en novembre dernier pour encourager la relance économique de la métropole. Le gouvernement du Québec a investi 3,5 millions de dollars dans ce projet. On a en outre installé 2 800 luminaires sur le pont Jacques-Cartier en 2017 pour souligner le 375e anniversaire de la ville. Coût de cette illumination : 40 millions de dollars pour une durée de vie d’environ quatre ans4. Le nouveau pont Samuel-de-Champlain a aussi été affublé de 7 500 luminaires multicolores sous sa structure.

Méfaits écologiques

L’utilisation excessive, intrusive et gênante de la lumière artificielle nocturne constitue ce que l’on appelle maintenant de la pollution lumineuse. Près des villes, le ciel est maintenant entre cent et mille fois plus clair qu’il y a 200 ans. Dans ce contexte, on a noté que l’éclairage artificiel nocturne débridé a des effets néfastes sur la faune et la flore. 

Les animaux et les plantes ont évolué en fonction du rythme naturel du jour et de la nuit. La pollution lumineuse perturbe ce rythme et dérange les cycles circadiens du monde naturel. Voici quelques exemples des conséquences néfastes de la pollution lumineuse sur la faune et la flore.

L’altération des cycles jour/nuit peut inhiber le stade de dormance des végétaux, stade qui leur permet de survivre à l’hiver. Des arbres poussant près de lampadaires peuvent même retarder la chute de leurs feuilles5. Les animaux nocturnes qui tablent sur la noirceur, soit pour surprendre leurs proies ou soit pour se cacher des prédateurs, sont grandement affectés par la pollution lumineuse. Certaines espèces désertent donc les régions qui sont trop éclairées la nuit.

Les œufs des tortues de mer, pondus sur la plage, éclosent la nuit et les petites tortues trouvent l’océan se dirigeant vers le halo lumineux émis par l’horizon au-dessus de l’eau. Une lumière artificielle située près d’un nid de tortue risque de désorienter les petites tortues. Chaque année, seulement en Floride, des millions de bébés tortues meurent à cause de la pollution lumineuse puisque les jeunes tortues marchent vers ces lampadaires au lieu de marcher vers l’océan. 

Les oiseaux sont par ailleurs grandement affectés par l’éclairage intense orienté vers le ciel (comme les faisceaux de la Place Ville-Marie à Montréal qui, soit dit en passant, sont décoratifs et ne servent nullement à la sécurité aérienne). On a démontré que cette pollution lumineuse affecte leur rythme biologique, les rend vulnérables face aux prédateurs, les épuise puisqu’ils tentent de fuir des halos lumineux, entraîne leur mort quand ils entrent en collision avec les édifices illuminés, décime leurs proies (insectes) qui s’abîment sur les lampadaires, dérange leur rythme reproducteur et affecte leur migration puisqu’elle diminue leur capacité à repérer les étoiles6

La pollution lumineuse jouerait aussi un rôle crucial dans le déclin mondial des insectes puisqu’elle les rend extrêmement vulnérables. Une étude conclut qu’un tiers des insectes meurent chaque nuit au pourtour des lampadaires. La pollution lumineuse affecterait également leur recherche de nourriture et de partenaires ou le développement des juvéniles7.

Encore une fois, les parcs nationaux et les réserves naturelles comme celle du CRPF jouent un rôle crucial dans un contexte de pollution lumineuse en offrant un milieu exempt de toute lumière artificielle. La faune et à la flore vivant dans ces refuges peuvent ainsi évoluer dans un environnement qui leur offre les conditions optimales à leur survie.

Nous en souffrons aussi…

La pollution lumineuse n’affecte pas seulement les plantes et les animaux non humains. On a découvert que les humains exposés à la lumière artificielle durant la nuit (particulièrement la lumière bleue des appareils électroniques) ont plus de risque de souffrir d’obésité, de diabète, de dépression et de certains cancers comme le cancer du sein et de la prostate. Elle trouble aussi leur sommeil en perturbant la production de mélatonine, une hormone qui est sécrétée en l’absence de lumière. Cette hormone aide non seulement à passer une bonne nuit, mais elle a également des propriétés antioxydantes, est liée au bon fonctionnement du système immunitaire, diminue le cholestérol et aide à la fonction thyroïdienne8

Les solutions : couleur, durée, intensité et direction

Les solutions à la pollution lumineuses sont faciles à mettre en place. Elles englobent quatre facteurs.

Couleur de la lumière : Généralement, pour les mammifères, c’est la lumière bleue ou froide (au sens de la composition spectrale) qui est problématique. Ce type de lumière a un plus fort potentiel de dérangement écologique. Les ampoules DEL, bien qu’économiques, émettent une lumière composée de 30 à 40 % de lumière bleue (par comparaison, une ampoule au sodium est composée de 8 % de lumière bleue). On conseille d’utiliser à l’extérieur des DEL ambrées ou des ampoules dont le spectre est plus près du rouge (2000 à 3000 K) pour mitiger les effets de la pollution lumineuse. 

Intensité et direction : L’éclairage doit être situé le plus près du sol possible et ne doit pas être dirigé vers le ciel ou vers les arbres. Et il doit être de faible intensité. 

Durée : On prône l’utilisation de l’éclairage extérieur seulement dans les lieux où c’est nécessaire et durant les périodes où c’est nécessaire. Éteindre les lumières lorsqu’on n’en a plus besoin, utiliser une minuterie ou installer des détecteurs de mouvements sont des gestes simples qui peuvent faire une grande différence. 

À propos du CRPF

Le Comité régional pour la protection des falaises œuvre depuis 2003 pour la protection et l’utilisation écoresponsable d’un territoire de 16 km² doté de caractéristiques écologiques exceptionnelles et s’étendant derrière les escarpements de Piedmont, de Prévost et de Saint-Hippolyte.

Cet article est publié simultanément dans le Journal des citoyens (Prévost, Piedmont et Sainte-Anne-des-Lacs) et le journal Le Sentier (Saint-Hippolyte).

1- Lighting, Crime and Safety, International Dark-Sky Association (https://www.darksky.org/light-pollution/lighting-crime-and-safety/)

2- Light Pollution Wastes Energy and Money, International Dark-Sky Association (https://www.darksky.org/light-pollution/energy-waste/)

3- Éclairage nocturne et pollution lumineuse, Fédération des astronomes amateurs du Québec (https://www.faaq.org/cielnoir/memoire_ville_montreal.pdf)

4- Les illuminés, Jean-François Nadeau, Le Devoir, 28 novembre 2022 (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/772459/chronique-les-illumines)

5- Pollution lumineuse, Audio fil, août 2019 (https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/le-15-18/segments/entrevue/128521/biodiversite-faune-flore-eclairage)

6- La pollution lumineuse, Québec Oiseaux (https://www.quebecoiseaux.org/fr/pollution-lumineuse)

7- La pollution lumineuse jouerait un rôle crucial dans le déclin des insectes, GEO, novembre 2019 (https://www.geo.fr/environnement/la-pollution-lumineuse-jouerait-un-role-crucial-dans-le-declin-des-insectes-198791)

8- Human health, International Dark-Sky Association (https://www.darksky.org/light-pollution/human-health/)

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