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Plaidoyer pour un corpus musical québécois
Daniel Machabée – Dimanche dernier, 6 novembre, le Québec fêtait sa musique lors du 44e Gala de l’ADISQ. Tout le gratin musical était présent : les anciens, les légendes, nos immortels comme dirait feu Claude Léveillé, les nouveaux, tous bourrés de talent.
Ils étaient tous invités : les ministres, les pantins, les souffleurs, les pots-de-vin, les « grosses gommes » anonymes comme chante Richard Séguin. Ils étaient tous là pour fêter l’industrie musicale québécoise, cette fourmilière de talent indéniable. Ils étaient tous là pour entendre nos artistes s’exprimer parfois dans un français douteux, parfois dans une langue qui n’est sûrement pas enseignée sur les bancs d’école. Cette langue qui est censée nous dire qui nous sommes et qui nous définit. Et bien, j’ai mal à ma langue de la voir si maltraitée, si meurtrie, si massacrée, dans une indifférence quasi généralisée.
Ils étaient tous là, mais personne ne s’est indigné de l’appauvrissement généralisé de notre langue nationale qui est de plus en plus symptomatique de notre avilissement au monde anglo-saxon. Et ce langage utilisé sans vergogne par nombre de nos artistes se reflète au cœur même des chansons de notre époque où on retrouve de plus en plus de chansons bilingues, comme si les artistes peinaient à écrire une chanson totalement en français, où s’ils étaient incapables de trouver les mots justes dans la langue qui possède pourtant le plus vaste vocabulaire de toutes les langues mondiales – le français.
Une musique de plus en plus marginalisée
Ce constat est fort inquiétant pour la pérennité de la langue française. Si nos artistes, à qui beaucoup de générations s’identifient, sont incapables de transmettre les valeurs mêmes de notre héritage culturel qui nous distingue dans ce monde, le Québec entier se dirige tout droit vers la louisianisation. La semaine dernière, Richard Séguin a poussé un cri d’alarme dans le grand quotidien montréalais en affirmant qu’il est apeuré que la musique québécoise et francophone devienne marginalisée dans un avenir très rapproché. Et il n’a pas tort. Pour vous en convaincre, vous n’avez qu’à interroger un adolescent ou un jeune adulte pour constater leur très grande ignorance du patrimoine musical québécois. Mais attention : ils ne sont pas coupables. Les coupables sont les postes de radio qui ont un contenu musical pratiquement anglophone à l’heure de grande écoute; c’est aussi le ministère de la Culture qui ne légifère pas afin d’augmenter le contenu musical francophone substantiellement, pour ne pas écrire drastiquement, malgré qu’il soit au courant de toutes les statistiques alarmantes du milieu. Cette inertie ministérielle est totalement incompréhensible et inadmissible. Elle est même complice de ce génocide culturel qui se dessine ! La faute incombe également au système scolaire québécois qui n’enseigne pas cet héritage culturel. D’ailleurs, existe-t-il seulement un cours de littérature québécoise au secondaire ? La faute incombe aussi à la population en général qui ne s’insurge pas quand elle entre dans les commerces et que ceux-ci nous bombardent de musique anglophone. Enfin, la faute revient aux parents qui ne transmettent pas cet héritage à leurs enfants, comme si ce legs était un trop lourd fardeau à transmettre, comme si c’était quelque chose d’abject et d’empoisonné. On ne peut pas les accuser, car tout le monde a déjà entendu et écouter de la musique québécoise au moins une fois dans sa vie ! C’est une honte monumentale !
On nous rétorquera : mais à quoi bon nous sert de connaître l’impact de Félix Leclerc dans notre culture ? Pourquoi nous encombrer d’écouter du Gilles Vigneault, ce chêne plus solide qu’un rocher de sa Côte-Nord natale ? À quoi bon apprendre Beau Dommage, Corbeau, Harmonium, Paul Piché, Richard Desjardins, Daniel Bélanger, Luc de Larochelière, Claude Gauthier, Les Colocs, Raymond Lévesque, Pauline Julien, les Sultans, les Baronets, Octobre, Offenbach, Robert Charlebois, les Séguin, Fiori ? Pourquoi serait-ce important de connaître l’impact de Luc Plamondon, Stéphane Venne, Luc Cousineau, Roger Tabra, Jean-François Pauzé et autres paroliers de renom sur la culture francophone en général ? La liste est pourtant longue de nos chanteurs qui ont rayonné ici et ailleurs dans le monde !
Risquons une réponse : peut-être parce que ces gens portent en eux le pays qui les ont vu grandir; peut-être parce qu’ils sont fiers d’être des francophones et qu’ils chantent nos joies, nos peines, nos rêves et nos espoirs; peut-être parce qu’il y a en eux quelque chose de grandiose qui nous ressemble et qui nous rassemble. Voilà pourquoi !
L’abandon collectif d’une disparition programmée
Afin d’éviter notre disparition culturelle programmée, il suffit d’un grand coup de barre, d’un virage à 180 degrés. Il serait d’abord utile qu’on enseigne dans nos écoles l’histoire musicale du Québec. Il en est de la musique comme de la langue, comme de la littérature : elle fait partie de notre identité. Et si on arrive à faire connaître et à faire aimer la musique québécoise de toutes les époques aux jeunes générations, d’expliquer son évolution à travers notre évolution et nos changements sociaux, on aura peut-être renversé la lourde tendance qui semble se dessiner quant à notre avenir culturel. Également, il devient vital qu’une loi modernisée vienne encadrer le contenu musical. Cette loi devrait même forcer les stations anglophones à passer un pourcentage de musique francophone. Ne se prétendent-ils pas Québécois, nos anglos ? Pourquoi ne pas créer un Spotify exclusivement de contenu québécois ? Et qui sait si au 50e Gala de l’ADISQ nous n’aurions pas une mise à jour de la chanson Il était une fois des gens heureux avec Le P’tit Bonheur ? Est-ce une utopie ? Que les accusés se lèvent et prouvent par leur volonté de tenir à la pérennité de la culture québécoise dont les racines sont profondément ancrées dans cet endroit unique au monde depuis plus de quatre siècles.