Mots et mœurs

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Gleason Théberge
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Nous tutoyons-nous?

Gleason-Théberge   – Dans un pays francophone comme le nôtre, nous avons encore la délicieuse occasion de distinguer à qui nous adresser en disant tu ou vous. Le tutoiement témoigne alors d’une connaissance mutuelle pouvant aller jusqu’à l’amitié complice; et mon rédacteur en chef m’a appris qu’on l’utilise aussi pour indiquer qu’en concours équestre un cheval a tutoyé un obstacle quand il touche une barre sans la faire tomber. Au contraire, le vouvoiement révèle une méconnaissance, un simple respect ou une impossibilité de se lier davantage. 

À ce simple vous d’une conversation échangée avec une ou plusieurs personnes s’ajoute celui qui s’adresse à de hautes autorités, tels Votre Majesté, pour les reines et les rois, ou Votre Honneur, pour les magistrats. Pour parler d’elles ou eux, il correspond de plus à un Sa MajestéSon Honneur ou au Sa Sainteté, destiné au pape. De tels signes de déférence, rares, se distinguent évidemment de la banalisation des rapports sociaux entre les « pauvres » humains de basse condition, où en anglais le seul you correspond aux deux principaux usages que nous préférons en français. 

Cette particularité de l’anglais se double d’ailleurs depuis peu dans nos médias écrits de l’utilisation des seules lettres initiales des personnes notables, à l’image des sigles des institutions. On a vu, par exemple, le PK de Pernell Karl Subban être suivi du PKP de Pierre Karl Péladeau, et plus récemment du PPSP de Paul Saint-Pierre Plamondon. Comme avec ce phénomène et surtout son ancêtre le seul you, les anglophones ont aussi tendance à passer assez rapidement à l’usage du simple prénom de leur interlocuteur, là où notre vous s’accompagne plutôt du nom de famille et des Madame ou Monsieur de notre politesse coutumière. 

Or, même au cours de rapports en principe de nature impersonnelle, lors de contact technique ou d’affaires, et sans doute là aussi sous l’influence anglaise de la facilité, il arrive chez nous que notre délicatesse sociale soit oubliée. De la part de commis de comptoir ou de serveurs de commerce, chez les jeunes, surtout, mais aussi chez des adultes, cette indifférence se répand, sous les influences économique et culturelle de nos voisins étasuniens. 

D’aucuns diront que le français est véritablement « trop » difficile et mériterait d’être simplifié, mais qu’ils se rassurent : nous ne sommes pas les seuls à préférer la riche nuance à la triste simplification. Au Japon et dans d’autres pays asiatiques, certaines variantes du langage vont jusqu’à témoigner d’une plus grande variété de niveaux de déférence. On y distingue, par exemple, la manière de s’adresser aux autres selon une hiérarchie d’âge, de parenté, d’autorité ou de circonstances qu’il faut savoir respecter pour ne déplaire à personne. 

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