- L’élection étonnante de 1976 - 22 novembre 2024
- 30 octobre 1940 - 18 octobre 2024
- Le samedi de la matraque - 18 octobre 2024
À propos d’instruction publique
Daniel Machabée – Le grand empereur franc, Carolus Magnus dit Charlemagne, qui posa les germes de la France et de l’Allemagne, fut avant-gardiste bien avant son temps. Son règne coïncida avec la renaissance dite carolingienne, à une époque bien imprégnée de superstitions toutes médiévales. Pendant son règne, l’art, la culture, l’économie et l’éducation se développèrent rapidement. Mais il y a de ces mythes tenaces; non, Charlemagne n’a pas inventé l’école ! D’ailleurs, un système d’éducation existait déjà au temps des Grecs et des Romains, réservé aux mâles. Alors pourquoi ce mythe tenace attribué à Charlemagne comme inventeur de l’école moderne ?
À cette époque, au tournant du IXe siècle, 99 % de la population était analphabète et 95 % de celle-ci demeurait à la campagne. L’éducation était une exclusivité de l’élite et était dispensée par le clergé. Charlemagne favorisa le développement des écoles dans les abbayes et les évêchés. Pour construire des écoles, il fit appel à des savants, dont Paul Diacre et Alcuin. Ainsi, il ordonna la création d’écoles élémentaires qui furent accessibles à tous les garçons, riches ou pauvres, ce qui était très innovant à cette époque. Ce furent ainsi des moines qui enseignèrent dans ces écoles les matières de base, soient la lecture, le calcul, la géométrie, l’astronomie et la musique. À cette époque où les langues d’aujourd’hui étaient encore fortement vernaculaires, l’enseignement se fit inévitablement en latin, langue de l’élite et de l’Église. Pour la petite anecdote, sachez que Charlema-gne lui-même ne savait pas lire; ce qui ne l’empêcha pas de poser les bases d’un système éducatif universel.
La Révolution française et les lois de Jules Ferry
Pendant des siècles, l’éducation était réservée à l’élite de la société. Au XIIe siècle, les écoles monastiques tombèrent en déclin et laissèrent l’enseignement aux universités. Les plus anciennes de celles-ci sont créées dès le IXe siècle dans le monde arabe. L’Université Al Quaraouiyine au Maroc, fondée en 877, demeure la plus ancienne encore en activité. La première université européenne fut celle de l’école de médecine de Salerne en Italie, fondée à la fin du IXe siècle. Puis vinrent celles de Parme (962), Bologne (1088), Oxford (1096) et Paris (1200). À partir du XIIIe siècle, toutes les grandes villes européennes auront leur université.
Tout au long de la Renaissance, le pouvoir royal encouragea l’éducation, mais sans jamais en assumer le financement ou l’organisation. En France, il faut attendre que les Lumières viennent remplacer l’obscurantisme de l’Ancien-Régime pour voir enfin apparaître l’idée d’une éducation gratuite et laïque. Dans son profond désir de structurer la société sur le principe que chacun naît égal, le Directoire va poser les bases du système d’éducation moderne.
En 1790, l’abbé Grégoire pond un rapport intitulé : Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française. Ainsi, pour la première fois, on va enseigner le français à l’école, langue nationale qui a été épurée par les travaux de l’Académie française et l’Encyclo-pédie de Diderot. Ainsi, l’abbé Grégoire dira : « on peut uniformer le langage d’une grande nation, de manière que tous les citoyens qui la composent puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées. Cette entreprise, qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale, & qui doit être jaloux de consacrer au plutôt, dans une Répu-blique une & indivisible, l’usage unique & invariable de la langue de la liberté. »
En France, l’enseignement fut encore transmis par le clergé pendant un siècle. Ce n’est qu’en mars 1882 que Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique sous la IIIe République, promulgua la loi qui rendra l’école primaire obligatoire de 6 à 13 ans, gratuite et laïque. Avec cette loi, Jules Ferry fut considéré comme l’un des pères de l’identité républicaine. Cependant, ne doutant point de l’égalité des aptitudes intellectuelles entre les deux sexes, il refusa la mixité scolaire, car l’éducation doit être spécifique à leur rôle social. En France, il faudra attendre 1976 pour que la mixité, dans les écoles, puisse être approuvée par le gouvernement.
Qu’en est-il du Québec ?
Le système d’éducation québécois n’est pas très différent en soit de celui de ses ancêtres français, dans le sens qu’il est somme toute récent. Dès le début de la colonisation, l’éducation était l’œuvre des principales congrégations religieuses. Certaines de celles-ci, notamment les Ursulines et les Augustines, fondèrent les plus vieilles écoles d’enseignement pour filles en Amérique. Le Petit-Séminaire de Québec, fondé par monseigneur Laval, premier évêque de Nouvelle-France, dispute quant à lui la paternité d’une des plus vieilles institutions d’enseignement masculin. Le système scolaire au temps de la Nouvelle-France comptait quatre types d’institutions : les petites écoles, les écoles d’arts et de métiers, le Collège de Québec et une ébauche de formation supérieure. En 1763, seules 28 paroisses possédaient une petite école et une seule école dite secondaire, celle du Collège des Jésuites.
Après 1763, le système devint hybride, basé sur la langue et la confession religieuse. La première loi en éducation fut promulguée en 1801 à cause de la pression des anglophones qui voulaient que les écoles soient contrôlées par l’État. La Loi de l’instruction royale pour l’avancement des sciences rendait l’État responsable de l’instruction publique au détriment de l’Église, ce qui amena un long conflit entre l’Église catholique, les anglophones et les représentants de l’Assemblée législative. Jaloux de conserver le monopole sur l’éducation des catholiques, l’Église fera adopter en 1824 la Loi sur les écoles de fabriques et en 1829 la Loi sur les écoles de Syndics qui donna une grande impulsion à l’enseignement primaire. De 1828 à 1831, on passa de 325 écoles primaires au Bas-Canada à 1282 !
C’est entre 1841 et 1875 qu’on constate une abondante législation scolaire. En 1841, on créa le poste de Surintendant de l’Éducation. Des lois de 1845, 1846 permirent la création de commissions scolaires et également un système de financement de l’éducation à parts égales entre le gouvernement et la population. En 1867, on créa au Québec le premier ministère de l’Instruction publique de la fédération canadienne. Le clergé garda ainsi la main mise sur l’éducation des francophones jusqu’à tard au XXe siècle.
Jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, le Québec était la seule province à ne pas avoir de loi sur l’instruction obligatoire, à une époque où tous les États américains l’exigeaient. Ce n’est qu’en 1943, sous Adélard Godbout, qu’elle fut adoptée. À l’image de la France, l’école primaire sera gratuite et obligatoire de 6 à 14 ans. En 1961, on haussera l’âge obli-gatoire à 15 ans et, en 1964, à 16 ans.
Le Rapport Parent et ses suites
Au début des années 1960, le gouvernement de Jean Lesage, conscient de l’énorme retard des francophones au niveau scolaire, demanda un rapport sur l’éducation nationale qui apparaissaît fortement sous-financé. Trois années plus tard, le Rapport Parent fut publié en trois tomes et celui-ci préconisa la création d’un ministère de l’Éducation, la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, la création des collèges d’enseignement général et professionnel (Cégeps), la formation poussée des enseignements et un réseau universitaire public. C’est donc en 1964 que furent créées les structures de notre système d’éducation actuel. Le 14 juin 2000, pour s’adapter aux changements sociaux, l’Assemblée nationale adopta la loi 118 qui abrogea le statut confessionnel des écoles publiques.
Ce n’est donc qu’assez récemment dans notre histoire que chacun doive aller à l’école. Il n’y a pas de mauvais système d’éducation, à moins que celui-ci prône les idéologies radicales des extrémistes religieux. Aucun n’est parfait, mais tous tendent à faire de l’éducation un moyen d’intégration sociale et un moyen de réussite. Le système québécois est unique en son genre et permit à la population francophone de rattraper spectaculairement le niveau des anglophones. Alors cessez de lancer des cailloux à ce pauvre Charlemagne, car l’idée est plus vieille que lui et son implantation bien plus récente ! Enfin, rappelons que France Gall n’aimait pas du tout cette chanson et qu’elle la chanta à contre-cœur…