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La chronique du CRPF
Valérie Lépine – Pour cette chronique, j’avais deux objectifs : montrer concrètement comment les changements climatiques ont des effets dévastateurs sur la faune et montrer comment les réserves naturelles, comme celle du CRPF, aident grandement à mitiger ces effets. Mais vu le nombre élevé d’études et d’articles, je n’ai eu d’autres choix que de scinder cette chronique en deux. Cette première partie s’attarde donc à donner quelques exemples du lien qui existe entre changements climatiques et détresse faunique. La deuxième partie portera sur le rôle des réserves naturelles et paraîtra en octobre.
Les changements climatiques, tel que nous les vivons présentement, sont principalement liés aux activités humaines. Notre utilisation débridée de combustibles fossiles (pétrole, charbon et gaz) génère des gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone et le méthane. L’accumulation de ces gaz dans l’atmosphère entraîne une hausse des températures parce qu’ils créent une enveloppe autour de la Terre qui emprisonne la chaleur. Actuellement, la température à la surface du globe est de 1,1 0 C supérieur à celle enregistrée dans les années 1800 et la dernière décennie (2011-2020) a été la plus chaude jamais enregistrée.
Les changements climatiques n’entraînent pas seulement des hausses de la température ambiante. Ils provoquent aussi une hausse du mercure marin, une hausse du niveau de la mer, des perturbations migratoires et l’arrivée de nouvelles espèces. Voici quelques exemples qui montrent comment ces phénomènes nuisent à la faune.
Hausse des températures
Bouleversements des écosystèmes, migration vers le nord, arrivée de nouvelles espèces, perte d’habitat, augmentation de la compétition entre espèces : la hausse des températures a des conséquences multiples sur la faune.
Par exemple, dans l’Arctique, qui subit une hausse des températures plus prononcée que le reste du monde, le cycle de formation de la banquise est perturbé. Ceci a des conséquences graves sur les ours polaires qui ont moins de temps pour chasser le phoque et ont ainsi de la difficulté à stocker suffisamment de graisse pour survivre1.
La fonte des glaces dans l’Arctique permet par ailleurs à plus de bateaux de circuler, ce qui peut nuire à la faune marine, dont la population de bélugas de l’Arctique. Ceux-ci risquent davantage d’être blessés par les navires. Ils peuvent aussi être dérangés par le bruit généré par les moteurs, puisque leur sonar, qui leur permet de s’orienter, est très sensible au bruit ambiant.
Autre victime des hausses de températures des eaux : le fou de Bassan de l’île Bonaventure en Gaspésie. Le déclin marqué de leur taux de reproduction a été lié à la hausse de la température du golfe du Saint-Laurent (de l’ordre de 2 à 4 0 C). Cette augmentation a entraîné le maquereau bleu, principale proie des fous de Bassan, à migrer vers le nord. Ces magnifiques oiseaux doivent donc voyager plus loin (jusqu’à 500 km de plus) pour trouver de la nourriture. Lors de la période de reproduction, ils délaissent donc plus longtemps leurs poussins qui deviennent vulnérables aux conditions climatiques extrêmes et à la prédation2.
Dernier exemple parmi de multiples autres des conséquences du réchauffement climatique : les cétacés, comme le béluga, le narval et la baleine boréale, pourraient être poussés à migrer vers le nord3. Non seulement les eaux chaudes nuisent à la physiologie de ces mammifères, mais le réchauffement des eaux provoque une modification de toute la chaîne alimentaire marine. Les proies de prédilection de ces cétacés ont tendance à fuir les eaux chaudes qui sont défavorables à leur reproduction et à leur développement. Les cétacés n’ont donc d’autres choix que de suivre leur garde-manger comme le font les fous de Bassan.
Hausse du niveau de la mer
Les changements climatiques entraînent aussi une hausse du niveau de la mer due à la fonte des glaciers et à la dilatation thermique de l’eau. Cette élévation entraîne entre autres l’érosion du littoral et l’inondation de zones humides en plus de favoriser des phénomènes comme les ouragans et typhons. Beaucoup d’animaux perdent ainsi leur habitat ou leur site de nidification.
Ainsi, la dégradation des plages a des répercussions sur les tortues marines qui sont très fidèles à leurs sites de ponte. Fait à noter, le réchauffement climatique entraîne par ailleurs un débalancement au sein des populations de tortues. Le sexe des bébés tortues étant déterminé par la température ambiante (les températures basses favorisent les mâles et les températures élevées, les femelles), la hausse des températures pourrait selon certaines études déséquilibrer le ratio des sexes chez ces reptiles4.
Migration
Les comportements migratoires des animaux peuvent être perturbés par les changements climatiques. En effet, les animaux synchronisent leurs départs en fonction de signaux comme la température et les précipitations. En modifiant ces données, les changements climatiques risquent de modifier les comportements migratoires. D’autre part, les changements climatiques modifient aussi grandement les habitats. Résultat : les animaux migrateurs ne retrouvent plus les conditions avantageuses qui les motivaient à effectuer leurs déplacements saisonniers. On a démontré récemment que les espèces migratrices, comme les oiseaux, ont des taux de mortalité plus élevée et un succès reproductif à la baisse5.
Ces changements risquent aussi de rendre certaines migrations difficiles. On a par exemple constaté que le réchauffement des cours d’eau parcourus par le saumon durant sa migration augmente les demandes métaboliques et diminue donc l’énergie disponible pour la remontée des rivières.
Le réchauffement climatique entraîne par ailleurs un déplacement vers le nord des zones climatiques, à raison de deux à dix kilomètres par année. On a ainsi observé que le raton-laveur, le cerf de Virginie, le dindon sauvage, le cardinal rouge et certains papillons ont augmenté leur aire de répartition vers le nord dans les dernières années. L’ours noir se retrouve maintenant dans le Nunavik. Quelle conséquence ces nouvelles espèces auront-elles sur les écosystèmes nordiques ? Certains chercheurs craignent par exemple que la présence accrue du renard roux dans le Grand Nord devienne une menace pour le renard arctique6.
Nouvelles espèces
Certaines nouvelles espèces représentent des risques importants pour la santé publique. La tique responsable de la maladie de Lyme (originaire des États-Unis) et le moustique porteur du virus du Nil occidental (originaire d’Afrique) ont migré vers le nord suite au réchauffement des températures et au changement de configuration des précipitations. Ils sont maintenant tous deux bien présents au Québec.
Le réchauffement climatique pourrait aussi avoir joué un rôle dans la pandémie de COVID-19. Selon certaines études, le réchauffement des températures (ainsi que la perte d’habitat) aurait entraîné l’expansion de l’aire de répartition de certaines espèces de chauve-souris, mammifères porteurs de multiples coronavirus et présumément porteurs du SARS-CoV-2. La transmission à l’homme de ces coronavirus aurait ainsi été facilitée7.
Enfin, on observe depuis peu une augmentation des méduses dans le Saint-Laurent. Ce phénomène pourrait devenir inquiétant puisque les méduses ont un fort potentiel envahissant. Elles ont en effet la capacité de se cloner de 13 manières différentes! Les experts sont d’avis que la présence accrue des méduses dans le fleuve serait liée à la destruction des habitats naturels et aux changements climatiques8.
La preuve n’est donc plus à faire : les changements climatiques nuisent grandement à la faune. Les solutions pour atténuer leurs effets néfastes sont connues (voir les nombreux rapports du GIEC). Une de ces solutions tient à la création d’aires protégées. La deuxième partie de cette chronique montrera comment les réserves naturelles comme la Réserve naturelle du Parc-des-Falaises aident la faune à survivre aux changements climatiques.
1. L’ours polaire victime des changements climatiques, Le Devoir, novembre 2015
2. Le climat menace les fous de Bassan, Le Devoir, juin 2013
3. Le réchauffement climatique pourrait pousser des cétacés vers le nord, Le Devoir, août 2022 ()
4. Sex and Sea Turtles : Climate Change, Sea level impacts, Florida Atlantic University, News Desk, octobre 2015
5. Climate Change : Recent Findings On Animal Migrations Reveal Alarming Facts, Study Shows, Republic.com, octobre 2021
6. La ruée vers le nord des espèces animales et végétales, Le Quotidien, janvier 2022
7. Le rôle des changements climatiques dans l’apparition de la COVID-19 se précise, Le Devoir, février 2021
8. Davantage de méduses dans le fleuve Saint-Laurent, ICI Côte-Nord, août 2022