Mots et mœurs

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Gleason Théberge
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Crème à glace

Toutes les langues vivantes évoluent en choisissant des mots à utiliser (noir) ou pas (nègre) selon l’évolution des mœurs et des pratiques sociales. À moins de porter atteinte à son fondement, comme le créole haïtien le fait avec le français, une langue peut ainsi supporter certaines influences étrangères sans disparaître. 

Comme c’est le cas chez nous, cependant, il arrive que certains mots à tort francisés de l’anglais viennent rivaliser avec des expressions françaises plus précises, comme ces opportunités envahissantes qui ne sont que des occasions ou cette manière d’adresser des problèmes alors qu’il ne s’agit que de s’en préoccuper. Évidemment, ces menaces à l’intégrité de notre parlure québécoise témoignent de la domination culturelle environnante. Et nous la combattons, écartelés que nous sommes entre les expressions des Étasuniens, prétentieux au point de se croire les seuls Américains du monde, et celles des Français d’Europe, qui sont contaminés par la tentation du shopping et du email, où nous arrivons d’ailleurs à préférer parler de magasinage et de courriel.

Dans certains cas, pourtant, c’est sous ces deux influences jointes que nous nous distinguons de l’une comme de l’autre. C’est le cas, entre autres, d’un bonheur qui nous est familier pendant ces étés, dont nous ne connaissons jamais assez longtemps la chaleur, mais qui nous donnent un goût de fraîcheur et n’en demeurent pas moins porteurs de grands plaisirs, parmi lesquels la crème glacée est sans doute accessible sous la forme la plus simple. Certains peuvent profiter de l’eau fraîche d’un lac, d’une piscine chauffée ou d’une plage de bord de mer, mais il est souverain de pouvoir lécher le fondant crémeux dont nous aurons choisi la saveur (en France on dirait le parfum), selon notre préférence coutumière ou celle du jour. 

En espagnol, on l’appelle helada, de hielo (glace), qui désigne sobrement le délice selon l’équivalent de la glacée. L’italien, en disant gelato ne fait qu’utiliser au masculin l’expression faisant allusion au gel (gelo), où nous retrouvons l’appellation commerciale (Jello) de ces gelées aux noms décrivant la couleur davantage que le goût. Et c’est probablement de l’anglais que nous avons tiré notre propre appellation de crème glacée, à partir du ice cream qui se traduirait plutôt crème-glace.

C’est dans ce genre de cas que notre vocabulaire évoque le mieux le maillage de notre culture croisant le nord-américain et l’européen. En France c’est de glace qu’on parle : on s’achète une glace. En fusionnant chez nous la crème (cream) et la glace nous est venu l’incontournable crème à glace, abrégeant crème à la glace, où nous annulons l’écart maritime et historique entre les deux continents. Il faut aussi constater que crème glacée décrit beaucoup mieux la gâterie que les deux autres termes.

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