40 ans d’existence infâme

Avril 22, journal des citoyensSignature de la Constitution canadienne par la reine Elizabeth II à Ottawa, le 17 avril 1982, en présence du premier ministre Pierre Trudeau.– Photo : La Presse canadienne/Stf-Ron Poling
Daniel Machabée
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La loi constitutionnelle de 1982

Daniel Machabée – Il pleuvait sur la colline parlementaire à Ottawa. Les gouttes d’eau monotones firent des petits cercles ourlés encore visibles aujourd’hui sur le document. Cette journée là, la Reine Élizabeth II, sous le regard triomphant du Premier ministre du Canada Pierre Elliot Trudeau et celui non moins amusé du procureur général Jean Chrétien, apposa sa signature au bas du document de ce qui allait enfin donner au Canada sa véritable indépendance vis-à-vis Londres.

Il aura fallu 115 ans de démarches pour y arriver et un acte de trahison jamais égalé dans l’histoire du pays pour y parvenir. Cette constitution, faut-il le rappeler, n’a jamais été signée par le gouvernement du Québec de l’époque ni par ceux qui lui ont succédé. Le 11 avril dernier, le constitutionnaliste de renom Daniel Turp, l’historien Frédéric Bastien et l’avocat François Bouliane déposaient en Cour supérieure une requête afin de faire déclarer « nulle, invalide et inapplicable » la Loi constitutionnelle de 1982. Et s’ils réussissaient ?

Le mythe de la dualité canadienne

L’Acte de l’Amérique du Nord britannique sanctionné en 1867 reconnaissait dans son texte l’existence de deux peuples fondateurs. Pendant un siècle, le poids démographique des francophones diminua graduellement, le bafouement de leurs droits linguistiques devint chose commune, le reniement de l’esprit d’égalité des deux peuples du Dominion disparut. Tous ces facteurs, et plusieurs autres contribuèrent à la construction d’un nationalisme québécois qui trouva son aboutissement à la prise du pouvoir du Parti québécois en 1976. Mais au milieu des années soixante, après des années d’une demande d’une grande enquête nationale concernant le malaise politico-linguistique canadien, André Laurendeau, rédacteur en chef du Devoir et intellectuel francophone le plus respecté au Canada anglais, obtint la création de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, appelée plus tard Laurendeau-Dunton. Cette commission, créée par la pression de plus en plus impatiente qu’exerça un nationalisme québécois revendicateur, avait pour mandat de faire reconnaître par le Canada anglais la dualité canadienne. Elle en conclura qu’il existait au Canada deux nationalismes diamétralement opposés, deux solitudes. André Laurendeau, fort découragé par les audiences acrimonieuses au Canada anglais, tomba malade et mourut avant la parution du rapport final. Le plus ardent défenseur de la dualité canadienne venait de rendre l’âme. Et son idée de reconnaître un statut spécial pour le Québec se heurtera farouchement à d’autres membres de la commission ainsi qu’au nouveau Premier ministre du Canada, Pierre Elliot Trudeau.

Le détournement des conclusions de la commission 

Trudeau était en mission déjà à cette époque. Il était le seul rempart face aux revendications de l’Union nationale de Daniel Johnson (Égalité ou indépendance) et de la montée de la souveraineté-association de René Lévesque. Sa première salve vint quelque temps après son élection à la tête du pays. En effet, avec la Loi sur les langues officiellesen 1969 et la Loi sur le multiculturalisme de 1971, il dénatura complètement les conclusions du rapport final de la commission car ces lois exclurent totalement le biculturalisme canadien et favorisèrent plutôt le multiculturalisme. Pourtant, Jean Lesage, Daniel Johnson et Jean-Jacques Bertrand se sont évertués au cours de leurs mandats à tenter de modifier le statut politique du Québec au cours de leurs mandats. Cette ferme volonté s’inspira de la présence chez les francophones du Québec d’un consensus unanime que la province n’était pas et ne devait pas être comme les autres. À la conférence de Victoria en 1971, Robert Bourassa en fit les frais quand il se fit traiter de « mangeux de hot dog » par Trudeau… Son arrogance, adoubée par son « Just watch me » de 1968, était sans limite. 

Une de ses obsessions, nonobstant sa lutte acharnée contre le nationalisme québécois, fut le rapatriement de la Constitution canadienne qui dormait à Londres depuis 1867. Après le premier référendum québécois de 1980, il vit là une opportunité historique à saisir. 

Une larme de crocodile sur la lame des longs couteaux

Pendant de longs mois épuisants, le gouvernement Lévesque, galvanisé par le baume de sa réélection spectaculaire en 1981, négocia la place du Québec au sein de la fédération canadienne. Trudeau ne s’en cacha pas : il voulait rapatrier la Constitution. Le Québec, opposé à toute forme de rapatriement unilatéral qui lui enlèverait une infime partie de pouvoir politique, négocia une entente avec sept autres provinces, notamment sur un droit de veto avec compensation financière. Or, pendant que la délégation du Québec s’était retirée de l’autre côté de l’Outaouais, Trudeau, Jean Chrétien et les premiers ministres des provinces anglophones négocièrent une entente sur un bout de papier dans la cuisine de l’hôtel, entente qui comprend une clause dérogatoire permettant à une province de se retirer d’un accord hors de sa juridiction sans compensation financière.

En apprenant la nouvelle vers 8 h du matin le 5 novembre 1981, René Lévesque devint furieux. Il déclara plus tard à la conférence constitutionnelle : « Je regrette profondément que le Québec se retrouve aujourd’hui dans une position qui est devenue en quelque sorte une des traditions fondamentales du régime fédéral canadien tel qu’il fonctionne. Le Québec se retrouve tout seul. Ce sera au peuple québécois et à lui seul d’en tirer la conclusion. »

Trudeau gagna son pari. Le 17 avril 1982, il accueillit la reine Élizabeth II qui, prenant le stylo qu’on lui proposa, sanctionna la nouvelle Loi constitutionnelle, rendant au Canada son bout de papier lui procurant son détachement politique de Londres.

Un cas unique au monde 

L’imposition du rapatriement unilatéral de la Constitution, l’enchâssement d’une charte des droits et libertés qui rend les droits collectifs moins importants que les droits individuels, la diminution du poids politique du Québec, firent en sorte qu’aucun gouvernement québécois, de quelque allégeance qu’il soit, n’y apposa sa signature depuis 40 ans. Bien que l’absence du Québec dans cette constitution n’ait pas d’incidence juridique, l’accord a cependant des conséquences politiques graves. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 reconnaissait l’existence de deux peuples fondateurs. Cette nouvelle constitution, bien qu’elle fût moins poussiéreuse que l’ancienne, ne reconnaît plus cette dualité canadienne. Au contraire, elle fit du Québec une province comme les autres.

Ainsi, faut-il s’étonner du profond mépris du Canada anglais à chaque fois que le Québec tousse et ose revendiquer un peu plus d’air pour respirer et assurer la pérennité de sa langue et de sa culture. C’est tout de même inouï que le Québec fasse partie d’un pays dont il n’a pas signé la loi fondamentale !

En cette soirée du 17 novembre 1982, la pluie froide de novembre se remit à tomber. Mais les Québécois avaient la tête ailleurs. La Sainte-Flanelle venait d’être éliminée quelques jours auparavant par leurs rivaux de Québec. La rivalité entre les deux clubs allait remplacer le débat constitutionnel, engourdissant les velléités nationalistes des Québécois pour une décennie, comme le prélude d’une longue agonie indifférente… Alors, si cette loi était bel et bien inconstitutionnelle ? Les recherches de Frédéric Bastien ont conclu que certains juges de la Cour Suprême avaient eu des discussions avec le gouvernement avant le rapatriement, ce qui violerait le principe d’indépendance judiciaire. Dans leur requête du 11 avril, Frédéric Bastien, Daniel Turp et François Bouliane avancent de nouveaux arguments. À suivre, donc !

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