- Calmer son écoanxiété - 22 novembre 2024
- Psychologie de l’inaction - 17 mai 2024
- Le castor - 19 avril 2024
Rompre avec le déni de la crise écologique
Valérie Lépine – Oui, nous sommes tous tannés, frustrés, déprimés, fatigués, épuisés et peut-être même très malades. Omicron sape actuellement le moral et la santé de bien des gens. La pandémie de COVID-19 est une épreuve que nous n’avions pas vue venir. Mais saviez-vous que cette pandémie était prévisible ? Et saviez-vous que pendant que nous essayons de limiter les dégâts de cette nouvelle maladie, une autre pandémie sévit mondialement ?
Les épidémiologistes la redoutaient depuis longtemps et savaient qu’elle allait survenir : une maladie issue d’une espèce animale sauvage qui allait mettre l’humanité à genou. Des sonnettes d’alarme avaient cependant retenti dans les dernières années. Des sonnettes dont l’écho nous est maintenant familier : VIH, dengue, Ebola, Zika, SRAS, H5N1, H1N1… Mais aucune n’a été aussi assourdissante que celle de la COVID-19.
Augmentation des nouvelles maladies
Les maladies humaines issues de la propagation de virus initialement hébergés par des espèces animales non humaines (appelées zoonoses) sont en hausse. Depuis 50 ans, les épisodes épidémiques dus à des zoonoses augmentent. Le nombre de nouvelles maladies infectieuses aussi. Depuis 1970, 1 à 5 nouvelles maladies sont enregistrées par année. Avant, c’était une tous les 15 ans. Et de toutes ces maladies émergentes, 70 % sont des zoonoses. Les scientifiques savaient donc que tôt ou tard, une épidémie mondiale allait survenir. Mais quelle est la cause de cette augmentation ?
L’autre pandémie
Les causes de l’augmentation des zoonoses et, conséquemment, de la pandémie de COVID-19 sont intimement liées à cette autre pandémie qui fait rage depuis des décennies et qui est malheureusement trop souvent ignorée.
Cette autre pandémie, c’est la perte fulgurante et inexorable de la biodiversité mondiale.
On ne peut plus se le cacher : la Terre vit actuellement une extinction massive, la 6e en 500 millions d’années. Plus de 25 000 espèces d’êtres vivants sont menacées de disparaître dans le monde. Deux espèces de vertébrés disparaissent chaque année depuis un siècle. 41 % des amphibiens sont menacés. 16 % de toutes les espèces de libellules le sont aussi à cause de la disparition des milieux humides. La moitié des récifs coralliens ont disparu depuis 30 ans.
Au Québec, 153 espèces fauniques et 511 espèces floristiques sont menacées, vulnérables ou susceptibles de le devenir. Parmi les espèces menacées, on compte le chevalier cuivré, la lamproie du Nord, quatre espèces de tortues, le pluvier siffleur, le grèbe esclavon, la paruline azurée, le béluga, le carcajou et le caribou forestier.
Nous sommes responsables de notre propre malheur
Nous l’oublions trop vite : notre santé est intimement liée à celle de la biodiversité. De multiples études ont démontré qu’il y a corrélation entre la perte de la biodiversité et l’apparition de nouvelles maladies chez l’homme. Ainsi, la destruction d’une forêt pousse les espèces animales qui y vivaient à chercher d’autres milieux pour se nourrir. Ces espèces, qui peuvent être porteuses de virus pathogènes et qui vivaient jusqu’alors loin des hommes, risquent donc de s’approcher des villes et villages et de faciliter le transfert de maladies de l’animal à l’humain.
Pour ceux qui seraient prompts à vouloir exterminer les animaux vecteurs de maladies, il faut se rappeler qu’au contraire, il faut préserver à tout prix la diversité biologique des milieux naturels. Un environnement diversifié et sain nous protège des maladies. On donne souvent comme exemple la maladie de Lyme. Il a été prouvé que plus il y a diversité dans l’environnement où évolue la bactérie responsable de la maladie, moins il y a de chances que des tiques y soient infectées et conséquemment, moins il y a de chances que ces tiques nous infectent.
La diminution de la biodiversité est liée à la perte et la fragmentation des habitats, aux espèces envahissantes, à la crise climatique, à la pollution et à l’exploitation non durable des milieux naturels. Donc, à des facteurs liés à l’activité humaine : déforestation, urbanisation, élevage intensif, agriculture industrielle, économie mondialisée, tourisme de masse, etc.
D’où ce constat inconfortable : nous, les humains, sommes les seuls à blâmer pour l’augmentation de nouvelles maladies et pour la pandémie de COVID-19.
Mépris et aveuglement
Interrogée sur la pandémie de COVID-19, Jane Goodall, une primatologue s’étant investie dans la défense des animaux, a déclaré que cette pandémie est le résultat de notre mépris pour les animaux et que ce genre de crise mondiale va se reproduire jusqu’à ce que nous en apprenions les leçons.
Nous sommes rattrapés par notre aveuglement. Pendant que nous étions occupés à développer nos économies, pendant que nous éventrions champs et montagnes pour étendre l’asphalte de nos autoroutes, pendant que nous étions occupés à raser des forêts pour bâtir nos grandes maisons de banlieue, pendant que nous étions occupés à acheter tous les objets qui nous rendent supposément plus heureux, pendant que nous exigions d’avoir de la viande dans nos assiettes, des clémentines à Noël et des fraises en janvier, pendant tout ce temps-là, la biodiversité s’est effilochée. Pendant que nous regardions ailleurs, ce qui nous protégeait des maladies (et de bien d’autres choses) s’est éteint à petit feu. Pour laisser place au brasier pandémique.
À propos du CRPF
Le Comité régional pour la protection des falaises œuvre depuis 2003 pour la protection et l’utilisation écoresponsable d’un territoire de
16 km² doté de caractéristiques écologiques exceptionnelles et s’étendant derrière les escarpements de Piedmont, de Prévost et de Saint-Hippolyte.
Cet article est publié simultanément dans le Journal des citoyens (Prévost, Piedmont et Sainte-Anne-des-Lacs) et le journal Le Sentier (Saint-Hippolyte).
Sources sur le web
La prochaine pandémie est prévisible, rompons avec le déni de la crise écologique, collectif d’écologues, Libération, 8 avril 2020
Les causes des pandémies sont connues, alors qu’attend-on pour réagir ? RTBF La première, 3 mai 2021
Les espèces menacées au Québec et au Canada, naturequebec.org, juin 2021
La crise de la biodiversité en 10 chiffres, futura-sciences.com, mars 2018
Pandémie : l’interférence de l’Homme sur la biodiversité en cause, journalmetro.com, avril 2020
Quels sont les liens entre perte de biodiversité et santé humaine ? essentiel-sante-magazine.fr, mars 2021
Coronavirus : les humains doivent cesser de « mépriser » la nature, alerte l’anthropologue Jane Goodall, francetvinfo.fr, avril 2020
Lecture pour en savoir plus
La fabrique des pandémies : préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire, Marie-Monique Robin et Serge Morand, Éditions de la découverte, 2021