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Daniel Machabée – À travers le temps, chaque pays, chaque nation, chaque État voit son territoire et ses frontières évolués selon les hasards de l’Histoire. Le Québec, en tant qu’État moderne, n’est pas différent en cela. Voyons comment le territoire québécois a été divisé depuis l’arrivée de nos ancêtres français.
Les premières divisions territoriales
Quand la Nouvelle-France devient une colonie royale le 24 mars 1663 après les supplications de Monseigneur Laval qui n’y voyait que désorganisation et stagnation, le territoire de la vallée du Saint-Laurent est divisé en trois gouvernements distincts : Québec, Trois-Rivières et Montréal. Tout autour, les terres sont concédées et élevées en seigneuries. Chaque ville a son gouverneur qui chacun relève de l’autorité du gouverneur général de la Nouvelle-France pour les affaires militaires et diplomatiques, de l’intendant pour les affaires internes. À cela est créé le Conseil souverain, première cour de justice du Québec, où les membres étaient des fonctionnaires nommés par le Roi. Ce type de gouvernement régional est sans doute celui qui eut le plus de pouvoir dans l’histoire du Québec.
De la seigneurie aux cantons et comtés
Après le traité de Paris de 1763 et la cession de la Nouvelle-France aux Britanniques, le territoire est divisé en deux districts, ceux de Montréal et de Québec. Sous le régime anglais, le pouvoir est centralisé au sein du gouvernement de la « Province of Quebec ». Ces districts sont conçus pour administrer la justice. Un troisième district est créé à Gaspé en 1787 et, trois ans plus tard, est recréé le district des Trois-Rivières. Puis, alors que le développement du chemin de fer permet la colonisation des régions éloignées, 20 nouveaux districts sont créés, dont ceux de Saint-François en 1823, celui de Kamouraska en 1849 et Chicoutimi en 1858.
L’arrivée des loyalistes anglais après 1791 force les autorités à mettre en place le système des cantons pour aménager le territoire. Ainsi, le premier canton est créé à Dunham le 2 février 1796 en Estrie. Plusieurs régions sont ensuite découpées en cantons avant leur colonisation : Abitibi, Côte-Nord, Saguenay, Lac-Saint-Jean. Encore aujourd’hui, le cadastre québécois est divisé en cantons.
Dans la décennie 1840-1850, les différents gouvernements qui se succèdent mettent en place une nouvelle forme de division territoriale : les comtés. Ainsi, sous l’impulsion de Louis-Hippolyte Lafontaine et de Georges-Étienne Cartier, le gouvernement abolit en 1854 le régime seigneurial qui régissait le territoire francophone rural depuis l’aube de la Nouvelle-France. L’année suivante, le comté devient la principale subdivision administrative territoriale.
L’apparition de la notion de « région »
Ce n’est que dans la seconde partie du XIXe siècle que l’on commence à parler des régions, entre autres pour faire référence aux nouvelles terres de colonisation du Saguenay et du lac Saint-Jean d’abord, puis des Laurentides ensuite. C’est à cette époque que sont créés ces toponymes d’espace territorial régional, qui ont une même réalité géographique ou historique. Ainsi, on emploie le nom Laurentides dès 1845 et Bas Saint-Laurent dès 1855. D’autres régions obtiennent leur nom bien plus tard, notamment l’Abitibi en 1915 ou la Mauricie en 1933. Tous ces territoires n’ont pas d’existence légale et possèdent souvent des frontières floues. On peut penser à ce sujet que le gouvernement du Québec ne reconnaît toujours pas les frontières du Labrador fixées par Londres en 1927. Le ministère de la Colonisation contribuera fortement à populariser le nom de ces endroits, avec des ouvrages comme Les régions de colonisation de la province de Québec.
Il faut attendre les années 1960 et l’élection de Jean Lesage pour que s’entame une nouvelle réflexion sur l’administration territoriale du Québec. Le 29 mars 1966, le gouvernement donne un statut juridique aux régions, qui deviennent, par le fait même, la première division territoriale après l’État. L’arrêté du Conseil numéro 524 divise officiellement le territoire du Québec en 10 régions et 25 sous-régions administratives, ce qui met fin à l’anarchie dans les découpages des différents ministères et organismes du gouvernement québécois.
En 1981, les limites des régions sont ajustées pour tenir compte des limites territoriales des MRC constituées en 1979 par le gouvernement Lévesque. En même temps, on remplace les toponymes de Cantons-de-l’Est par Estrie et Nord-Ouest par Abitibi-Témiscamingue. Le 22 décembre 1987, le nombre de régions passe de 10 à 16. Ainsi, la région métropolitaine est divisée en cinq : Montréal, Laval, Montérégie, Laurentides et Lanaudière, alors que sont coupées en deux la région de Québec (Québec et Chaudière-Appalaches) et celle du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie (Bas-Saint-Laurent et Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine). Enfin, celle de Trois-Rivières devient Mauricie-Bois-Francs. En 1997, cette dernière est également scindée en deux pour devenir la Mauricie et le Centre-du-Québec. Cette dernière modification porte le nombre de régions administratives à 17, ce qui est le nombre encore aujourd’hui. Enfin, le dernier changement date de 1999 alors que le gouvernement Bouchard change le nom de Québec pour la région de la Capitale-Nationale.
L’abandon du terme de province
Politiquement, le Québec a également évolué à travers le temps. Colonie royale jusqu’en 1760, il devient la « Province of Quebec » en 1763 alors que son territoire se limite aux rives du Saint-Laurent. Puis, l’Acte de Québec de 1774 étend son territoire du Labrador aux rives du Mississippi. En 1791, la Proclamation royale fait revenir ses frontières sur les rives du Saint-Laurent, alors dénommé Bas-Canada. En 1867, la province du Québec, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est créée.
Dans les années 1970, sous la pression des ministres Denis Vaugeois et Gérald Godin, mais également poussé par tout le mouvement anti-monarchique qui existait alors dans la fonction publique québécoise, le gouvernement du Québec a délaissé le mot « province » pour se désigner, pour employer le mot « État ». Sur ce sujet, laissons-nous sur une anecdote de guerre sémantique. Dans ses Entretiens, Denis Vaugeois signale que Pierre-Elliott Trudeau se plaisait à adresser ses lettres « au premier ministre de la province de Québec. » « Un jour, écrit monsieur Vaugeois, j’avais préparé avec Guy Frégault un projet de réponse pour le premier ministre Jean-Jacques Bertrand s’adressant à Pierre-Elliott Trudeau, premier ministre du Dominion du Canada ! M. Bertrand avait bien ri et signé avec joie.* »
* Denis Vaugeois, Entretiens, éditions du Boréal, 2019.