La Manic GT

La manic GT, journal des citoyensEn novembre 2019, monsieur Deltell achète la numéro 104 à Mont-Laurier. Comme celle-ci est fonctionnelle, il approche l’Institut du véhicule innovant (IVI) du Cégep de Saint-Jérôme et fait don de la carrosserie de la numéro 66. – photo courtoisie
Daniel Machabée
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Le rêve automobile québécois

Daniel Machabée – Il y a 50 ans, en pleine Révolution tranquille, alors que le Québec modernisait ses institutions sous l’impulsion des Désormais, Maître chez nous, et Égalité ou indépendance, et où la fleur de lys était davantage qu’un symbole nostalgique rappelant un lointain passé colonial, une petite équipe greffée autour du franco-québécois Jacques About créait la seule automobile québécoise conçue et construite sur notre territoire. Retour sur une aventure extraordinaire qui prit fin prématurément le 17 mai 1971.

Dans cette époque d’affirmation nationale et de grande effervescence, deux années après l’Expo de 1967, tout était possible au Québec. Employé de Renault, Jacques About constata rapidement que le marché américain manquait d’une voiture sport légère aux allures européennes. Entouré de Maurice Gris, de Serge Soumille, de Carmen Montessuit (qui sera sa première secrétaire) et de sa future femme, Pauline Vincent, il fonda l’Écurie Manic GT devant le refus de Renault de développer l’idée. Pourquoi nommer une automobile Manic? Car cela représentait alors, dans les esprits de l’époque, bien sûr le terroir, mais également nos grands projets, nos ambitions, notre immense potentiel, « toute la ténacité du Québec. » 

Devant l’engouement du public, les investisseurs ne tardèrent pas à s’impliquer. Ainsi, Bombardier, la Caisse de dépôt et placement, le gouvernement canadien, la Banque Royale, la Banque Provinciale et la famille Steinberg promirent des investissements totalisant 1,5 million de dollars. Puis, au Salon de l’auto de Montréal de 1969, le prototype de la voiture construite dans un garage de Greenfield Park fut présenté une première fois au public et ce fut la consécration : les premières unités furent vendues. Déjà, on négociait la distribution nord-américaine avec la American Motors de Détroit. 

Quelques mois après le Salon de l’auto, la production commençait. D’abord installée à Terrebonne dans les locaux de l’ancienne usine de Globe Shoe sur la rue Chapleau, celle-ci déménagea à Granby dans une toute nouvelle usine de 60 000 pieds carrés et employait 40 personnes. Au début, on produisait trois voitures par jour avec comme objectif une production annuelle de 2 000 véhicules. 

Non seulement voilà l’unique voiture québécoise, mais elle était tout à fait avant-gardiste pour l’époque avec sa transmission par crémaillère, sa carrosserie en fibre de verre, ses quatre freins à disque et sa suspension indépendante. Malgré un prix de vente entre 2 200 $ et 3 400 $ à cette époque (alors que le revenu familial moyen était de 6 695 $), ce n’est pas ce facteur qui contribua à la fin de ce rêve fou, mais plutôt un problème de coopération et d’approvisionnement avec Renault, ce qui provoqua l’arrêt de la production et le désistement des principaux investisseurs. 

Au total, environ 160 unités de la Manic GT ont été construites. Pour Pauline Vincent, fondatrice de l’As-sociation des auteurs des Laurentides et résidente de Piedmont depuis 20 ans, malgré la précarité du projet, elle insiste, cela n’est aucunement un échec, mais bien une réussite, tant ce projet a frappé l’imaginaire au tournant des années 1970, alors que le modèle typiquement québécois s’apprêtait à inonder le Canada tout entier. Et on ne peut parler de faillite, car son mari a remboursé jusqu’à la dernière cenne tout l’argent emprunté pour ce projet.

Une Manic GT au cœur d’un projet d’automobile électrique

Aujourd’hui, il y a encore au-dessus de 50 modèles sur nos routes, en Europe et même au Japon. Les Laurentides ne sont pas en reste. En avril 2019, le député fédéral de Louis-Saint-Laurent, Gérard Deltell, achète la Manic GT numéro 66 à Terrebonne. Il y a la carrosserie d’origine, mais pas le moteur, qui est un moteur Volkswagen. En novembre suivant, il achète la numéro 104 à Mont-Laurier. Comme celle-ci est fonctionnelle, monsieur Deltell approche l’Institut du véhicule innovant (IVI) du Cégep de Saint-Jérôme et fait don de la carrosserie de la numéro 66. En gros, le Cégep hérite de l’habitacle, mais sans les bancs. Il manque aussi les portes et quelques pièces qui ne sont pas d’origine, soit le capot et le hayon arrière. Selon Érik Laperle, responsable du programme d’études collégiales en technologie des véhicules électriques, ce sera un gros travail de reconstruction, en plus de la conversion à une motorisation électrique. La volonté de monsieur Deltell, en faisant ce don, est que sa Manic « serve pour un projet pédagogique d’électrification. Et c’est en plein le genre de projet que notre programme met de l’avant pour développer les compétences des futurs techniciens spécialisés en véhicule électrique » de poursuivre monsieur Laperle. 

Initialement prévu pour 2021, le projet fut reporté en 2023 à cause de la pandémie. Et quand on a interrogé monsieur Deltell concernant la raison de ce don, sa réponse fuse sans hésitation : « C’est pour réaliser le rêve de Jacques About ». En avril 1971, après la fin de l’aventure de la production de la Manic, Jacques avait « une petite idée sur la possibilité de construire une voiture électrique antipollution et efficace1. » 50 ans plus tard, le rêve de Jacques About est sur le point de prendre forme et c’est à Saint-Jérôme qu’il se concrétisera dans un futur assez proche. Il n’est donc pas étonnant qu’à chaque fois qu’on lui parle de la Manic GT, le visage de Pauline Vincent s’illumine de fierté. Et si vous êtes attentifs, vous pourriez apercevoir Gérard Deltell sur la 40 ou la 20 au volant de ses deux autres Manic (numéro 104 et numéro 143), en train de revenir de son bureau d’Ottawa pour aller rejoindre sa circonscription. 

  1. Tiré d’un article de Michel Vadeboncoeur, 1971, journal La Patrie
Gérard Deltell, achète la Manic GT numéro 66 à Terrebonne et fait don de la carrosserie à l’Institut du véhicule innovant (IVI) du Cégep de Saint-Jérôme
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