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Plaidoyer pour conserver notre patrimoine historique menacé
Daniel Machabée danielmachabee@journaldescitoyens.ca – Dans Notre-Dame-de Paris, roman phare de la littérature française, Victor Hugo écrivait en 1831, à propos de la cathédrale qui fardait l’île de la Cité de sa décrépitude : « il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations et les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument. » Un si puissant interlocuteur faisant un tel appel de détresse a suffi à sauver et à restaurer le monument grandiose. Qu’en est-il de l’état de notre patrimoine québécois ?
Dernièrement, on apprenait avec consternation la vente de la maison Chevalier, à Québec, à des investisseurs privés. Également, plus près de nous, on s’inquiéta grandement pour l’avenir de la maison Rolland à Saint-Jérôme, témoin du passé ouvrier de la ville, susceptible d’être démolie pour faire place à un complexe de soins. Ces deux maisons, chacune à leur façon, rappellent un pan important de notre histoire, du moins celle des villes associées à leur lieu. Des exemples comme cela, il en existe des milliers. Presque chaque ville, chaque village fait face au déni historique, au désintéressement patrimonial, au manque de fonds, à la voracité des promoteurs sans scrupules et sans mémoire qui condamnent nos vieilles maisons, nos monuments à être démolis pour faire place à du développement sauvage, insipide et sans beauté.
L’humanité est passé de la préhistoire à l’histoire en inventant l’écriture. Dès ce moment, l’Homme n’a cessé de vouloir laisser sa marque, son souvenir, sa présence dans le temps. Chaque civilisation nous a laissé des vestiges, des ruines, des monuments immémoriaux, dont quelques-uns sont encore visibles. On peut penser aux grandes pyramides d’Égypte, à la Grande Muraille de Chine, aux villes précolombiennes de Machu Picchu et Chichén Itzà; on peut penser également aux châteaux médiévaux, à la via appia, aux temples grecs et romains, aux églises millénaires. Au Québec, malgré notre histoire récente, notre patrimoine est d’une grande richesse, car nous sommes issus d’une civilisation de bâtisseurs. Cependant, puisque nous sommes un peuple sans mémoire et sans histoire, comme l’écrivait dans son célèbre rapport lord Durham en 1839, notre relation avec notre patrimoine architectural est un peu hasardeuse, sans doute honteuse.
Il suffit de regarder les journaux des dernières années pour être estomaqué par l’abandon collectif presque tacite de ce patrimoine. Combien d’églises et de maisons classées monuments historiques ont-elles été démolies ou vendues dans une quasi-indifférence ? À chaque monument qui disparaît, c’est un peu de nous qui sombre dans l’oubli également. À Montréal, on préfère construire un échangeur (Turcot) par-dessus les vestiges du faubourg des tanneurs plutôt que de préserver et de mettre en valeur ce site important de l’histoire de la ville. Autre exemple : il y a à Cap-Santé les ruines du seul fort construit lors de la guerre de Sept Ans sur les rives de la rivière Jacques-Cartier. Et pourtant, même si le site est reconnu monument historique, il tarde à être mis en valeur et à être préservé de l’érosion qui finira inexorablement par engloutir ces vestiges de notre passé.
Pourtant, nous n’avons pas toujours été comme cela en tant que peuple. Ainsi, après la capitulation de la Nouvelle-France en 1760, on reconstruisit la ville de Québec pratiquement comme elle était, à partir des plans d’origine, un peu comme on fît en Europe après la Seconde Guerre mondiale, particulièrement en Allemagne dans la ville de Nuremberg, entre autres, où on rebâtit là aussi la ville selon les plans originaux pour lui redonner son cachet médiéval d’antan.
Alors pourquoi aujourd’hui cette indifférence généralisée à l’égard de notre patrimoine ? Avons-nous honte à ce point de notre passé qu’on voudrait faire table rase de tout ce que nous avons construit ? En tant que peuple, en tant que nation, il y a plusieurs choses qui nous définissent : la langue, le territoire, nos us et coutumes, notre drapeau, mais aussi notre patrimoine architectural. Ce ne sera que lorsqu’il ne restera de traces de nos ancêtres que dans les pages des vieux livres ou sur un site Internet quelconque que l’on comprendra la valeur des trésors qu’il aurait fallu préserver pour les générations futures. On a restauré la Place-Royale dans les années 60 et 70 afin de redonner à la ville de Québec ses origines françaises noyées dans le mélange des styles victorien et néoclassique. Il ne s’agit pas ici de revitaliser une ville, un quartier ou une région. Mais de préserver les derniers témoins de notre passé, plutôt que de tout vouloir démolir et rebâtir uniformément sans vision, sans âme. C’est aussi cela être historien : éveiller les consciences sur les absurdités humaines. Citons encore Victor Hugo pour terminer : « Mes amis, retenez ceci : il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs ».