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L’urgence de comprendre – le glyphosate
Émilie Corbeil emilie.corbeil@journaldescitoyens – Au cœur de cette saga des pesticides, le glyphosate fait couler bien de l’encre, particulièrement parce que, en juillet dernier, les médias nationaux nous annonçaient que Santé Canada s’apprêtait à augmenter les seuils permis de résidus sur certains aliments. Nombreux sont ceux qui, comme pour les néonicotinoïdes, proposent de l’interdire pour des raisons de santé humaine et environnementale. Mais qu’en est-il vraiment ? Qu’adviendrait-il dans le cas où on le bannirait dans l’agriculture ?
Qu’est-ce que le glyphosate?
Cette molécule de synthèse, découverte dans les années 1950, est un herbicide non sélectif, dit « total », c’est-à-dire qu’il tue tous les végétaux. Toujours mélangé à d’autres produits également issus de la chimie de synthèse (nous y reviendrons dans un prochain article), le glyphosate a d’abord été utilisé avec parcimonie, sur des surfaces où l’on souhaitait tout éliminer. On comprend que son efficacité « totale » empêchait de l’épandre à la grandeur des surfaces agricoles, puisqu’il aurait eu raison des végétaux en culture. Le « Round up » est la formulation de glyphosate la plus vendue dans le monde. Il a été commercialisé en 1974 par la bien connue compagnie Monsanto, qui fut récemment achetée par Bayer. Depuis l’an 2000, avec l’expiration du brevet, d’autres compagnies produisent des formulations de glyphosate.
Les OGM « Round up ready »
Depuis 1974, l’utilisation du glyphosate, toutes formulations comprises, a été multipliée par 100. C’est surtout parce que plusieurs grandes cultures ont été transformées génétiquement pour devenir résistantes au glyphosate. Ainsi, le maïs, le soya et le canola, entre autres, ont leur version génétiquement modifiée « round up ready ». Sur ces OGM, il est possible de balancer du glyphosate sans qu’elles en soient affectées ou presque. On comprend dès lors pourquoi la molécule a sévèrement gagné en popularité dans les deux dernières décennies. Ces semences modifiées, assorties d’un herbicide très peu cher, avaient tout pour plaire aux agriculteurs, qui pouvaient désormais s’affranchir des travaux de désherbage. Mais à quel prix?
Les considérations de santé humaine
De scandale en scandale, avec les grands procès à l’américaine, le glyphosate s’est acquis une réputation de poison mortel craint de toute la population. Or, il n’en est rien. Le glyphosate est considéré comme probablement cancérogène pour les personnes qui sont directement exposées aux pulvérisations. L’OMS estime d’ailleurs qu’il est improbable qu’il le soit par simple voie alimentaire. C’est la dose qui fait le poison.
Le chiendent « Round up ready »
Au Québec, le Centre de recherche sur les grains (CÉROM) a avisé avoir découvert, pour la première fois dans la province, une mauvaise herbe résistante au glyphosate en 2018. Sans surprise, cette plante (moutarde des oiseaux) s’apparente au canola et aurait échangé le gène de résistance par pollinisation croisée. Sauf que l’échange de gène avec un OGM n’est pas le seul chemin que peut prendre la nature pour résister aux assauts répétés que nous lui faisons subir. La sélection « naturelle » a raison de tout : on a trouvé des spécimens résistants tels que les grandes herbes à poux et la vergerette du Canada en Ontario, ainsi que des spécimens résistants de kochia en Alberta. Dans le monde, plus d’une vingtaine d’espèces de nuisibles ont développé des résistances.
Et maintenant, la suite
Le lecteur assidu remarquera ici qu’on pourra presque faire un copier-coller des conclusions de l’article précédent, traitant des néonicotinoïdes (édition de septembre 2021, page 10). Comme ces derniers sont actuellement en voie d’être remplacés par le chlorantraniliprole, le glyphosate est progressivement supplanté par un nouvel herbicide, le dicamba. Le dicamba, relativement nouveau sur le marché, a meilleure presse. Cet herbicide n’est pas « total ». Il ne fonctionne que sur les végétaux à deux cotylédons (dits dicotylédones) et encore, pas tous. Les herbacées, comme le blé et le maïs, sont des monocotylédones et ne sont donc pas affectées par le dicamba; le soya et le canola, par contre, le sont. Chez Monsanto (maintenant Bayer), on travaille activement à développer de nouveaux OGM qui résisteront au dicamba. Le soya OGM « dicamba ready » est déjà sur le marché. Et la valse recommence…
D’ailleurs, le dicamba, comme le chlorantraniliprole, a déjà montré qu’appliqué comme remède, il risque d’être pire que le poison. Le dicamba est extrêmement volatile. Ainsi, il contamine les champs voisins à des kilomètres à la ronde. Les dicotylédones non OGM (les arbres, entre autres) en prennent pour leur rhume, ainsi que tous les agriculteurs qui n’achètent pas les semences brevetées. Une crise a d’ailleurs été causée par cet herbicide dans le Midwest américain, alors que des millions d’hectares en culture ont été endommagés. Le dicamba serait de 75 à 400 fois plus toxique pour les plantes non résistantes que le glyphosate. Rien n’indique, par ailleurs, que le potentiel cancérogène du dicamba soit inférieur à celui du glyphosate.
En tout et pour tout, l’essentiel du problème ne se trouve pas tant dans les molécules que nous utilisons pour nous débarrasser des nuisibles que dans l’usage que nous en faisons et dans notre façon d’aborder les problèmes liés aux pestes. Suggérer d’abolir une molécule sans s’intéresser aux solutions qui seront retenues pour la remplacer risque de causer plus de tort que de bien. À suivre…