- Échos du conseil de ville de Piedmont - 21 novembre 2024
- Échos du conseil de ville de Piedmont - 16 octobre 2024
- Échos du conseil de ville de Piedmont - 16 août 2024
Il n’existe pas de réponse simple
Émilie Corbeil emilie.corbeil@journaldescitoyens.ca– Partout, dans les médias, on parle de glyphosate et de néonicotinoïdes, qui sont les dossiers chauds de l’heure. Et pourtant… Maintenant que ces deux types de pesticides ont mauvaise presse, on propose, au niveau politique, de les interdire. Mais quels impacts pourrait avoir une telle interdiction sur la santé des personnes et de l’environnement ? Si le public est naturellement enclin à croire qu’elle sera bénéfique, la réalité risque d’être bien différente. Au problème complexe que pose l’usage des pesticides, il n’existe pas de réponse simple. Le Journal introduit donc, par le présent, une série d’articles voués à améliorer la compréhension du public au regard des pesticides.
Parler de pesticides
Le terme pesticide est un terme générique désignant toute substance vouée à tuer des organismes jugés nuisibles. Les herbicides tuent les végétaux, les insecticides, les insectes et les fongicides, les champignons. Un pesticide peut être naturel, comme la roténone, qui est un insecticide produit par certaines plantes. Il peut également être un produit de synthèse issu du génie chimique, comme dans le cas des néonicotinoïdes et du glyphosate.
Les néonicotinoïdes sont une classe d’insecticides se déclinant en sept molécules différentes, qui prennent toutes leur origine dans la nicotine, dont les propriétés n’ont pas été exploitées par l’industrie du tabac seule.
En fait, la nicotine, comme plusieurs autres alcaloïdes (caféine, atropine, cocaïne, morphine, THC et CBD retrouvés dans le cannabis, etc.) est naturellement fabriquée par des végétaux dans cette fabuleuse valse de la sélection naturelle. Les alcaloïdes, ces molécules affectionnées par l’humain, sont en fait des pesticides inventés par les plantes pour se défendre contre des insectes un peu trop gourmands.
Vous avez bien compris : votre café du matin contient un pesticide
— Un insecticide, pour être plus précis.
Depuis 1690, on utilise la nicotine en infusion comme insecticide sur les cultures. Voilà donc un formidable outil pour éviter les pommes piquées qui nous fait voir le plant de tabac sous un jour nouveau. Toutefois, le génie humain ne s’est pas arrêté à se servir des plantes telles quelles. Il a inventé des manières de modifier des molécules naturellement produites par les végétaux pour les rendre plus efficaces dans l’accomplissement de leur mission : tuer les nuisibles.
Ainsi, les néonicotinoïdes, issus de la chimie de synthèse dans les années 1980, ont le même effet que la nicotine elle-même sur les insectes. Seulement, leur stabilité moléculaire est bien meilleure. Par ailleurs, ils sont capables de pénétrer chaque cellule des végétaux traités et d’y persister pendant toute la vie utile de la plante. Autrement dit, pour les insectes, c’est comme si nos végétaux de grande culture s’étaient tous transformés en plants de tabac bien toxiques. Pire encore, les néonicotinoïdes s’accumulent dans les sols et les cours d’eau. La dose de poison dans l’environnement ne cesse donc d’augmenter, emportant des espèces au fur et à mesure du dépassement de leur seuil de tolérance.
Depuis 2014, les études attestant des baisses dramatiques des populations d’insectes fusent de partout à travers le monde. Si elles peinent encore à mettre le doigt sur toutes les causes de ce déclin, l’usage de pesticides à grande échelle est identifié comme un facteur dominant. Les néonicotinoïdes étant la classe d’insecticides les plus utilisés dans le monde, occupant environ le tiers des ventes sur le marché mondial, ils deviennent une cible à abattre. Naturellement, on sera porté à croire que leur bannissement aidera les populations d’insectes à se rétablir, à commencer par les abeilles.
Remplacer les néonicotinoïdes
Déjà, ici même, au Québec, les néonicotinoïdes sont massivement remplacés par d’autres pesticides de la classe des diamides, soit le chlorantraniliprole et le cyantraniliprole, qui ont moins mauvaise presse. Et pourtant…
Le chlorantraniliprole est extrêmement toxique pour les invertébrés aquatiques, qui sont l’alimentation de base de nombreuses espèces sauvages. Persistant et fortement soluble dans l’eau, son potentiel de lessivage est élevé. On le retrouve à des taux alarmants, en ce moment même, dans maints cours d’eau. Plusieurs chercheurs sonnent déjà l’alarme : l’utilisation de cet insecticide à large échelle risque de causer plus de dommages que ceux qui ont été causés par les néonicotinoïdes. Le fait qu’aucune étude ne le démontre encore n’est pas synonyme d’absence d’effets délétères sur l’environnement.
Par ailleurs, en 2019, la revue Nature publiait une étude préoccupante sur la toxicité du chlorantraniliprole pour les abeilles. Alors que les tests de toxicité aigüe, qui ont permis l’homologation du chlorantraniliprole, ont été faits en appliquant le produit sur l’abdomen des abeilles, Kadala et al. ont démontré que la même dose devenait mortelle si appliquée sur d’autres parties du corps de l’insecte. Plus encore, les abeilles exposées à des doses sublétales montraient des handicaps locomoteurs à long terme. En conclusion, les chercheurs insistent : « Il est nécessaire d’effectuer des analyses in vivo approfondies avant de relâcher cette molécule dans l’environnement. »
Le chat et la souris
Partout dans le monde, l’opinion publique, et avec elle, les politiques, semblent valser au rythme qui plaît aux grands producteurs d’intrants agrochimiques. Alors que les dommages, lents, mais certains, causés par ces produits à l’environnement sont longs à évaluer, l’industrie a tout loisir de concocter de nouvelles formulations pour lesquelles aucune étude au long cours n’existe. Et le pas de danse recommence, toujours rythmé par notre capacité à évaluer les effets toxiques d’une exposition à long ou à très long terme.
Le Bloc québécois propose ainsi, pour l’élection qui vient, de continuer à travailler sur le dossier des néonicotinoïdes, afin d’en exiger le bannissement, comme l’a fait l’Europe en 2018. Pour Rhéal Fortin : « Si ces produits sont nocifs pour les Européens, ils le sont aussi pour nous ». Or, l’Union Euro-péenne remplace déjà, elle aussi, les néonicotinoïdes par le chlorantraniliprole. Il est utile de noter, par ailleurs, que la proposition du Bloc fait état de l’importance d’appliquer le principe de précaution, et ce, pour tous les types de pesticides. À ce sujet, monsieur Fortin précise que le Bloc est toujours à l’écoute au sujet de l’usage des pesticides, afin d’adapter les propositions aux connaissances récentes.