Chronique Mots et mœurs

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Gleason Théberge
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I’ aime qu’a’ l’aime

Les pronoms de la parole

Gleason Théberge-Certaines langues dites agglutinantes, surtout nordiques, construisent des mots en les rallongeant, là où la plupart des langues provenant du latin préfèrent en utiliser plusieurs. On se souviendra, par exemple, du volcan islandais entré en éruption en 2013, Eyjafjallajökull (dont le sens est le glacier sur les montagnes proches des îles). Tout comme on remarquera que l’anglais fusionne work et book pour workbook (en français, cahier d’exercices).

Notre langue invente aussi des mots en leur ajoutant au début (en préfixe) des segments nuançant leur sens, comme dans com-position ou pré-position… Et d’autres éléments s’ajoutent aussi à la fin d’un mot (en suffixe) pour en modifier le statut : nom (substantif), nom-mer (verbe), nom-inal (adjectif). Beaucoup penseront aussi à l’ancien plus long mot français anticonstitutionnellement (adverbe de 25 lettres), détrôné récemment par intergouvernementalisation (nom de 26 lettres). Mais en matière de vocabulaire, la tendance est plutôt de raccourcir les nôtres. C’est d’ailleurs particulièrement le cas en langue parlée, autant en anglais qu’en français. Au mot prom (-otion) anglais, nous pouvons en effet comparer manif (-estation) et (an-) droïde.

C’est ainsi que dans les pronoms de l’écrit Il et Elle, la langue parlée québécoise ne garde souvent que les voyelles. Par commodité, pour faire plus court — d’autres diront par paresse — chez nous, on dit I’croit tout c’ qu’a dit (Il croit tout ce qu’elle dit). Mais quant au pronom elle, ici transcrit a’, on entend aussi Al’ a tout dit, pour éviter de répéter le A du pronom devant celui du verbe. Ou alors, on allonge la voyelle dans un a-a’ dit la vérité.

Une autre manière consiste à plutôt conserver le È sonore du Elle pour le fusionner avec celui du verbe être, comme dans È contente (Elle est contente), È-t’allée (Elle est allée) au cinéma ou È’tait heureuse d’aller au cinéma. Notons qu’au Il, on dit plutôt I’é-tallé. Mais c’est ce même Èféminin qui sert à marquer le pluriel dans È’disent qu’è sont heureuses, avec une variante conservant le S (prononcé Z) devant une voyelle, comme dans È-z’ont dit

Le Il, quant à lui, est raccourci au simple I, comme dans I’ dit c’qu’i’pense.. On le retrouvera au pluriel, dans I’ disent qu’i’-z’aiment les fraises(Ils disent qu’ils aiment les fraises). Notons aussi qu’en compétition avec le de Il, le Lui (neutre ou marqué) prend au singulier la même forme (transcrite Y) dans I’ y’a demandé l’heure ou A’y’a dit qu’i’ était deux heures; et au pluriel, dans I’-z’y’ont parlé longtemps ou È’ y’ont tout raconté

Deux autres pronoms, En et Leur, dérivent parallèlement au Il et au Elle, puisque même si la forme Y’en a qui disent est fréquente, on entend également I’n’a qui disent (Il y en a qui disent), de même que A’n’a parlé (Elle en a parlé). Quant au Leur, souvent, c’est en Leu qu’il se transforme, pour faire entendre I’leu-z’a parlé où le pronom leur habituellement neutre est confondu avec le déterminant leur de leurs paroles

Et les tu de tu veux-tu? Un prochain mois.

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