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De quessé?
Gleason Théberge – La parole est une rivière où l’usage évolue en longeant les rives contraignantes de l’écrit. Si le courant est fort au point de séduire les écrivains, à la longue, les talus sont grugés par la coulée des conversations. Tel mot, tel usage change de forme, de sens : l’écœurant qui dit qu’une chose est très désagréable au goût finit par ne garder que l’intensité de la déclaration pour exprimer l’aspect très intéressant d’un évènement, d’une production musicale ou même d’un dessert.
La transition s’applique aussi aux expressions que la hâte d’un propos raccourcit par commodité. On dit : « Je veux pas », quand de la rive, la précision imposée par la norme appelle à écrire : « Je ne veux pas ». De même, on demande ou annonce qu’il n’y a personne en disant : « Y’a personne ». Et ce n’est d’ailleurs pas si étranger au français. Ne coupe-t-on pas la voyelle des déterminants le ou la devant l’amour ou l’affection! Car la règle la plus incontournable de la phrase, c’est précisément qu’elle sonne le mieux possible sans les bégaiements que contiennent des segments comme « Il a à aimer » ou l’encombrement des virelangues comme « fruit cru, fruit cuit » qui servent d’exercices à qui veut améliorer sa diction.
À l’inverse, toujours par aisance, en quelque sorte, la familiarité qui coule au plus pressé porte parfois à des raccourcis et des redoublements qui n’ont de cesse d’étonner les francophones étrangers. C’est ainsi qu’une question comme Qui est-ce qui cède sa place au bref C’est qui, entraînant le redoublement du qui en un « C’est qui qui a laissé la porte entrouverte? »; alors que la simple formulation « Qui a laissé la porte entrouverte? » suffirait. Quant au C’est quoi, il entre en concurrence avec le tout aussi court Qu’est-ce, venu du plus encombrant Qu’est-ce que c’est. Il est pourtant fréquent qu’on l’abrège en Qu’est-ce c’est pour aboutir au Quessé du « Quessé tu dis? » ou encore plus sobrement : « Quessé ça? », qu’à l’écrit on transcrirait : « Qu’est-ce que c’est que ça? ».
De plus, alors, qu’habituellement on dit la vérité ou qu’il fait beau, mais qu’on parle de ce qu’on croit vrai ou du beau temps, la transformation suivante passe par une formulation comme : « De quoi c’est que tu parles? », qui confond ensuite l’usage de dire quelque chose et de parler dequelque chose… et aboutit à : « De quessé qu’tu dis ». Et en finale de dérive, on finit par se contenter d’un « De quessé » pour dire quelque chose comme : « Quoi? » ou « Qu’est-ce qu’il y a? ».
Il faudrait cependant que ces pratiques commodes passent par l’écrit pour qu’elles puissent un jour faire partie de la norme.