Du cœur au ventre

De professionnels à agriculteurs pour la survie

Émilie Corbeil – C’est à l’été 2018 que Sarah Corriveau décidait de quitter son emploi chez Hydro-Québec pour vivre son aventure agricole, pensée pour lui permettre d’être plus présente à la maison, alors que le travail autonome de son conjoint assurait la sécurité financière principale de la famille. Si tout dans la vie ne se passe d’ordinaire pas comme prévu, on doit souligner le caractère hors du commun des épreuves qui ont dû et doivent toujours être surmontées par cette petite famille alors que, coup sur coup, la maladie et la perte d’emploi ont frappé.

Partir à l’aventure

Bien installés dans la maison qu’ils ont construite eux-mêmes, Sarah Corriveau et Benjamin Plouffe rêvaient d’agriculture. Malgré une situation d’emploi enviable chez Hydro-Québec, Sarah a fait le saut : elle a fondé, avec l’aide technique de Benjamin, la bleuetière-framboisière Sainte-Lucie. Benjamin possédait une compagnie de gestion immobilière et œuvrait à titre autonome pour des travaux de maintenance. 

Ensemble, ils voulaient permettre à leurs deux garçons, Élliot et Bastien, d’avoir un parent à la maison et d’être initiés à l’agriculture. C’est donc sans formation aucune qu’ils se sont lancés, à pieds joints, dans l’aventure. À ce moment, la situation se prêtait aux risques, Benjamin ayant une occupation censée suffire aux besoins de la famille. 

Frappés par la maladie

En octobre 2019, la famille accueillait la petite Léanne. Elle semblait en parfaite santé, jusqu’en décembre, où elle a souffert d’une première bronchiolite. Après plusieurs allers-retours en centre hospitalier, ne sachant pas la gravité de la situation, ils retournaient à la maison, ne s’expliquant pas les difficultés respiratoires de Léanne. 

Jusqu’à ce jour de janvier où elle a simplement cessé de respirer. Papa, certifié RCR, a réussi à la réanimer. Hospitalisée à Sainte-Agathe, puis à Saint-Jérôme, la petite est demeurée dans un état critique jusqu’à son transfert à Sainte-Justine, le 7 février 2020. Et le 8, elle cessait de respirer à nouveau. 

C’est suite à une bronchoscopie que le diagnostic est tombé : elle est atteinte de trachéobronchomalacie. Cette maladie rend le cartilage des voies respiratoires flaccide, diminuant de manière notable le diamètre des voies respiratoires lors de l’expiration. 

Durant trois mois, Benjamin a dû mettre son travail de côté pour se relayer, avec Sarah, entre l’hôpital et les garçons à la maison. Privée de salaire, la famille a poussé un souffle de soulagement alors que Léanne recevait son congé de l’hôpital.

Et la pandémie…

Hélas, dès le retour tant attendu à la maison, la pandémie a empêché Benjamin de reprendre son travail. Les garçons ont dû quitter l’école et la garderie et sont toujours à la maison, leur petite sœur étant trop fragile pour qu’il soit possible de prendre le risque de l’exposer au virus. 

Un combat pour la survie

Pour la saison 2020, ruiné, le couple a dû demander une avance pour l’achat de ses plants de bleuets. Ils n’avaient, en somme, que l’argent pour louer le véhicule qui allait leur servir à les transporter. Beaucoup d’entreprises sont venues à leur secours sous forme de commanditaires.

L’idée de faire des produits transformés est venue. Ils ont donc contracté un prêt de 65 000 $ pour s’équiper. Tout en cherchant du travail, Benjamin a construit la serre, la pépinière et la cuisine. Il a agrandi la boutique. Sarah, la tête du projet, a mis au point les recettes, s’est occupée de faire rouler la business. 

Maintenant, Benjamin est là pour rester, il ne cherche plus d’autre emploi et se dédie entièrement à la ferme. Ses prestations de PCRE arrivent à leur fin et la précarité financière se fait sentir. Sarah et lui comptent sur une belle saison 2021 pour poursuivre leur rêve. Pour se rendre jusqu’à l’été, ils ont bénéficié d’un prêt sans intérêt de 15 000 $ de la SADC.

Ce prêt leur a par ailleurs permis de terminer la serre, désormais garnie de plants de fraises qui poussent de manière étonnante à la verticale. Un système ingénieux mis au point par Benjamin, qui permet de cultiver beaucoup de plants sur une petite surface.

Sans aucun employé, entourés de leurs trois jeunes enfants, ils gardent le cap, espérant que les vagues seront désormais plus douces.

Une visite qui vaut le coup

Benjamin et Sarah promettent qu’une visite à la ferme en vaut la chandelle. D’abord, avant la saison, il est possible d’aller acheter des plants de bleuets, de framboises et de fraises. Les plants de bleuets sont par ailleurs âgés de quatre ans, laissant espérer une récolte abondante rapidement.

À la boutique, on trouve une belle sélection de produits transformés : beignes aux bleuets ou au sirop d’érable, tartes aux petits fruits, gaufres, confitures, bleuets séchés au chocolat. Il est possible d’y prendre un café en dégustant son envie du moment.

En saison, petits et grands trouveront des fruits frais et pourront s’amuser dans les tournesols géants qui, on dit, feront bien trois mètres de hauteur. La famille s’amuse aussi à fabriquer d’impressionnants bonshommes de foin, plus hauts encore que les tournesols. 

Grâce à la serre, on attend les premières fraises aussi tôt qu’en mai. Elles devraient être offertes en continu jusqu’en octobre ou novembre.

Les marchés de Val-David et de Sainte-Marguerite accueilleront également les deux entrepreneurs qui projettent déjà de partager leur expertise en offrant des cours d’initiation à l’agriculture verticale. À les regarder aller, on constate que l’expression « tenir debout » prend tout son sens.

Grâce à une serre et à un système vertical ingénieux, la surface de culture des fraises est démultipliée et la saison, grandement allongée pour le plus grand bonheur des amateurs de fraises du Québec dans la région. – photo courtoisie
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