Voir le temps autrement

Journal des citoyens - le temps
Diane Brault
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Des réflexions 

Diane Brault

Du temps et des poussières

Le temps est un élément incontournable,
Qui sait où il va quand il nous échappe,
Le temps perdu, 
Le temps qui se greffe à nos attentes,
Ce temps de fatigue et d’ennui,
Tout ce temps qui a fui,
Difficile passage,
Qui nous apprend la vie.
Quand les horloges sonnent
Le passé et le futur s’unissent au présent,
Les heures fusionnent,
Ce sont les noces du temps.
Le temps fait grandir, 
Des jours, des mois et des années,
Le temps pousse,
Pousse les enfants d’hier vers demain.
Quand on regarde le temps parcouru,
Précieux devient le temps d’une vie,
Passer à travers un temps dur,
C’est de la patience à l’état pur  
Quand on pense à une guérison,
Le temps devient un allié,
Laissez-moi faire chuchote le temps,
Doucement, doucement.

Diane Brault, mars 2021

Le temps s’enfuit

La course contre la montre – illustration de Isabelle Planté. Reproduit avec la permission de l’autrice. isabelleplante.com

Que faisons-nous de notre temps de vie?

Le temps est subjectif. La perception du temps est pleine de paradoxes et nous rend parfois perplexes. Notre expérience du temps peut être enthousiasmante et même enivrante à certains moments. Elle est parfois douloureuse, tragique, inéluctable. Notre perception du temps peut nous sembler bénéfique, mais elle peut aussi devenir source d’inquiétude et d’impatience.     

Le temps est difficile à comprendre même s’il est familier à tout le monde. Il n’y a pas unanimité en ce qui concerne la façon de le définir. Depuis des siècles, la religion, la philosophie, la science et les arts ont élaboré des visions du temps. En ce temps de pandémie, certains voudraient rattraper le temps, d’autres ont l’impression de le perdre. D’autres encore disent se le faire voler. Pour certains, le temps semble s’accélérer et pour d’autres il semble devenir interminable. Plusieurs ont retrouvé du temps pour eux, d’autres l’ont perdu. On peut perdre la notion du temps, mais chacun sait que l’on ne peut pas l’arrêter.

Le temps linéaire et la vision à court terme

Vision-à-court-terme – illustration de Isabelle Planté. Reproduit avec la permission de l’autrice. isabelleplante.com

On a tendance dans la vie de tous les jours à percevoir le temps de façon linéaire, évolutif et irréversible. On parle du présent, du passé et de l’avenir. C’est le temps séquentiel, quantifié, mesuré, programmé et répétitif. Les expériences, les souvenirs, les réalisations et les échecs structurent la chronologie de la vie des gens. Le temps et la vision du monde sont unidirectionnels et souvent à court terme. Issue de la tradition romaine et chrétienne des siècles passés, cette vision adoptée par notre société occidentale nous est imposée dès le début de notre vie. Elle emprisonne notre liberté dans une série de contraintes associées à la notion d’avancement et de progrès. 

Entre la Genèse et l’Apocalypse, entre la naissance et la mort, on doit progresser. C’est ce que la société attend de nous, la vie n’est plus qu’une course contre la montre. L’impression actuelle et mondialement ressentie que le temps s’accélère s’est généralisée dans toutes les sociétés dépendantes des cyber-technologies qui ne cessent d’évoluer.

Dès l’enfance toujours plus d’information à acquérir, à gérer. Toujours plus de chose à faire, à prévoir et de plus en plus vite. S’ajoute à l’adolescence la pression à adhérer rapidement à certaines valeurs. Le paraître et de la performance peuvent renforcer l’impression de course effrénée contre le temps. Cette conception de la vie qui contamine toutes les générations nous renvoie continuellement à la peur d’échouer, de manquer ou de perdre quelque chose ainsi qu’aux regrets. Un terrain propice au développement des états dépressifs. Le temps devient insaisissable, on ne vit plus vraiment.

Le temps otium et le temps negotium

Le temps otium était chez les Romains de l’antiquité un temps de loisir, expression que l’on doit prendre dans un sens très large et différent du sens donné aujourd’hui au terme loisir. Socialement c’était un temps de réflexion, un temps pour être, ressentir, un temps d’action différent de l’action du temps negotium. Ce pouvait être un temps de retrait, un temps de relation. Un temps d’introspection. Un temps pour étudier, échanger, débattre et réfléchir aux stratégies politiques et étatiques. C’était le temps consacré aux arts, aux lettres et à la philosophie ainsi qu’à la créativité. Une quête de sens, de beauté, et de bien-être physique faisait aussi partie de ce temps otium qui excluait toute précipitation. Beaucoup de Romains valorisaient un équilibre social entre le temps otium et le temps negotium, le neg otium en latin signifiant le non-loisir. 

Vulnerant omnes, ultica neca                    

Toutes les heures blessent, la dernière tue

Très souvent dans les diverses sociétés romaines, cet équilibre entre otium et negotium était remis en question. Les tenants du temps otium devaient se justifier de le prendre, car dans les sociétés romaines s’opposaient les tenants du temps negotium où l’idée de l’efficacité, de l’urgence primait et où faire la guerre, gagner des territoires, gagner du pouvoir, cumuler des richesses et être constamment en action s’imposaient. Pour les Romains adeptes du temps negotium, le temps otium inspirait une méfiance instinctive, car pour eux la réflexion systématique était avant tout une perte de temps. 

On associe de façon générale au mot negotium, l’idée de la subsistance. Depuis le début du XXIe siècle, on peut constater à quel point le temps negotium s’est imposé et à quel point le temps de l’otium, ce temps de l’existence pleine et entière consacrée au loisir de la pensée humaine, s’est réduit comme une peau de chagrin. Dans nos sociétés où le culte du rendement et de la marchandisation prédomine on ne dispose plus que du temps oisif fragmenté et constitué le plus souvent d’activités distrayantes et souvent coûteuses qui nécessitent d’avoir bien maîtrisé avec succès les divers aspects de sa subsistance afin de pouvoir y avoir accès, assujetti que l’on est à la sphère de production et de consommation.

Détendre sa pensée pour mieux s’en servir par la suite

La pandémie a fait ralentir en totalité ou en partie nos rythmes de vie. Tous n’ont pas été touchés de la même façon. Certains ont changé avec aisance leur dynamique d’action et ont composé avec le fait de ralentir avec sérénité, alors que d’autres l’ont fait avec angoisse. Mais la pandémie risque de n’être qu’une pause momentanée dans le temps et non un temps de révolution. Même s’il y a eu rupture dans certains modes de vie, à quel point allons-nous reconsidérer notre rapport au temps ? Et si on repensait notre vie comme un chemin à parcourir plutôt qu’une course continuelle non pas contre la montre, mais contre nous-mêmes. Et si après la pandémie, on prenait le temps de se déprogrammer, de se libérer d’une partie de l’emprise du rendement et de la marchandisation nos rapports humains.

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