Boom immobilier à Piedmont

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Penser le développement urbain

Émilie Corbeil – Cette année, la Municipalité de Piedmont vit un boom immobilier sans précédent. En octobre dernier, le montant annuel planifié au budget pour les taxes de mutation avait déjà doublé, et le rythme des nouvelles transactions ne montrait aucun essoufflement. Ceci, sans compter les nombreux projets de construction en cours ou à venir. Débordé, le service de l’urbanisme peine à répondre aux demandes courantes au moment même où une importante réflexion de fond concernant le développement urbain devrait avoir lieu.

Le service de l’urbanisme débordé

En octobre, les résidents de Piedmont recevaient un avis de la Municipalité mentionnant que les délais pour les demandes au service de l’urbanisme étaient plus longs qu’à l’habitude, en raison de leur nombre important. madame Nathalie Rochon, mairesse, a spécifié au Journal que l’augmentation importante des transactions immobilières avait pour effet d’engendrer beaucoup de demandes au service de l’urbanisme. 

Frédéric Pilon, courtier immobilier, corrobore l’information : « Dans les Laurentides, les ventes ont augmenté de 69 % par rapport à l’année dernière. Depuis le 1er septembre, à Piedmont seulement, il y a eu un total de 63 transactions immobilières. » Du jamais vu, et selon lui, il faudra éventuellement s’attendre à une stabilisation, mais pas à une baisse marquée de la demande. L’engouement pour Piedmont serait là pour durer.

Pour l’heure, ça ne dérougit pas. Les visites, très nombreuses, sont organisées en plages horaires et les offres multiples sont devenues la règle plutôt que l’exception. Bien des propriétés sont vendues à un prix plus élevé que le prix demandé. Il n’y a, au moment de la rédaction de cet article, que 42 propriétés en vente à Piedmont. 

S’il faut compter sur les nouvelles constructions pour combler les besoins résidentiels grandissants, il est nécessaire d’en questionner la planification. 

Modèles de développement

À Piedmont, plusieurs projets de construction sont actuellement en cours et d’autres sont annoncés. Pour la plupart, ils sont le fait de promoteurs immobiliers. On assiste par ailleurs à une homogénéisation des modèles de développement; il semble que les projets intégrés très denses proposant de petits logements d’une ou deux chambres de style condo et les vastes projets de maisons unifamiliales luxueuses aient pris le pas sur les constructions de résidences familiales plus conventionnelles.

Ces deux modèles de développement, selon Mikaël Saint-Pierre, urbaniste, sont assurément préconisés en fonction de la richesse foncière qu’ils apportent. Il n’est par ailleurs pas étonné de voir la manière dont la municipalité se développe; elle prend les airs d’une quatrième ou d’une cinquième couronne ordinaire, dans un contexte de dépendance économique totale des municipalités face aux taxes foncières.

Les projets intégrés

Plusieurs projets intégrés ont vu et verront le jour sur le territoire. Principalement composés d’édifices à étages comprenant des logements de style condos, ces projets sont populaires auprès d’une clientèle plus âgée ou de villégiateurs. Pour certains résidents, ils représentent une menace au caractère champêtre de la municipalité. On craint une « lavalisation » de Piedmont. Le déboisement nécessaire à la construction des projets intégrés, souvent situés aux abords des grands axes routiers, cause parfois une augmentation notable du bruit pour le voisinage, sans compter le trafic supplémentaire. 

Les projets de prestige

Plusieurs projets de construction concernent également des résidences unifamiliales. Ces projets ont toutefois ceci de particulier qu’ils proposent des résidences très luxueuses. Dans le quartier Panorama, la résidence la moins dispendieuse est évaluée à 611 000 $. Les prix oscillent globalement entre 800 000 $ et 1 000 000 $. Pour y acheter un terrain de 45 000 à 65 000 pieds carrés, on doit compter environ 180 000 $, excluant les installations septiques et le puits. 

Le Havre des falaises, dont la construction a débuté cet automne, proposera 111 maisons de prestige, dont le prix de départ est établi à 949 900 $ plus taxes. À l’image de plusieurs autres projets déjà en branle à Piedmont, le Havre des falaises n’est pas à la portée de tous. Selon Emmanuel Iannacci, courtier hypothécaire, une famille devra raisonnablement avoir un revenu annuel minimal de plus de 250 000 $ pour acheter une propriété sise dans le Havre. 

Selon les données obtenues de Statistique Canada, rares sont les foyers aussi bien nantis. En 2015, le revenu médian des ménages de deux personnes ou plus totalisait 77 056 $ dans la MRC des Pays-d’en-Haut. Sur quelque 20 695 ménages, seulement 990 y déclaraient des revenus de 200 000 $ et plus. 

Pour Mikaël Saint-Pierre, les constructions de prestige comme celles du Havre des falaises ne remplissent pas les conditions nécessaires au développement durable. Elles ne s’inscrivent pas dans la logique de l’utilisation responsable des ressources, ni d’ailleurs ne remplissent le critère de l’acceptabilité sociale. 

Vers l’exode des ménages à revenus moyens ?

À Piedmont, une jeune famille au revenu moyen aura bien du mal à se loger. Les logements locatifs sont quasi inexistants et le prix des maisons de plus en plus élevé. Selon Frédéric Pilon, il faut désormais compter environ 400 000 $ pour trouver une unifamiliale de trois chambres en bon état à Piedmont et il faudra se déplacer aussi loin que Saint-Adolphe-d’Howard pour trouver des propriétés moins dispendieuses. 

Pour madame Rochon et monsieur Pilon, il ne fait pas de doute que la forte hausse de la demande immobilière à Piedmont réfère à une affluence importante de professionnels en provenance de la CMM (Communauté métropolitaine de Montréal) qui ont vu les nouvelles possibilités offertes par le télétravail. 

Pour Louis Gaudreau, chercheur et professeur titulaire à l’école de travail social de l’UQAM, il est difficile de prévoir les conséquences qu’aura cet engouement sur le tissu urbain que nous connaissons. Les études connues à ce jour réfèrent principalement au marché montréalais. 

Il cite toutefois le quartier Mont-Royal en exemple : on y voit, depuis quelques années, des ménages très aisés y remplacer les familles moyennes qui l’occupaient. La trame urbaine, les commerces et les organes de diffusion culturelle changent au fil de cet exode forcé par une hausse marquée des prix des propriétés.

Développer autrement 

Pour Louis Gaudreau et Mikaël Saint-Pierre, il ne fait pas de doute que les Municipalités ont en mains plusieurs outils règlementaires nécessaires à la planification d’un développement urbain. À Montréal, par exemple, le Règlement pour une métropole mixte impose des quotas de logements familiaux, abordables et sociaux. 

Plusieurs Municipalités aux prises avec un développement soudain ont aussi utilisé le règlement de contrôle intérimaire, bloquant le dépôt de projets pour un moment, afin de se donner le temps de réviser leurs plans d’urbanisme.

Madame Rochon, en entrevue avec le Journal, a spécifié que pour l’heure, il est très difficile de prendre le recul nécessaire pour penser le développement, l’urbanisme étant déjà submergé par les demandes courantes

et la directrice du service ayant récemment annoncé son départ. Toutefois, un poste permanent supplémentaire d’inspecteur en urbanisme sera ouvert et on planifie retenir les services d’une firme spécialisée prochainement afin de soutenir la réflexion.

Le Havre des falaises, dont la construction a débuté cet automne, proposera 111 maisons de prestige, dont le prix de départ est établi à 949 900 $
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