Mots et mœurs

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Gleason Théberge
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Le vendredi, jour de l’amour

Gleason Théberge – La perception coutumière du vendredi, c’est qu’il annonce, pour de moins en moins d’employé.es par contre, la courte cessation du travail pour les deux jours qui viennent; mais sur le plan symbolique, il évoque la déesse Vénus (veneris dies).

On ne s’étonnera cependant pas que parmi les noms des jours de la semaine, le vendredi soit le seul à évoquer une déesse plutôt qu’un dieu. Comme de nombreux autres mots nommant des réalités d’importance quotidienne, cette appellation provient de civilisations où l’équilibre entre les genres ne correspondait pas à notre mentalité contemporaine.

Notre vendredi n’en est pas moins le jour de la déesse romaine, dont la planète était révérée plus que toutes les autres, puisque plus près du Soleil que notre Terre, elle est périodiquement le dernier astre à disparaître le matin ou à monter à l’horizon à la tombée du jour. Son équivalent grec est Aphrodite, que notre vocabulaire associe aux substances et procédés aphrodisiaques présumés aptes à susciter le désir ou en augmenter la pratique. Mais sans que la relation soit aussi évidente, celle-ci est aussi la déesse du mois d’avril, dont la sonorité en F (de aphro) a évolué en V, comme dans veuf associé à veuve

Quant à Vénus, on connaît ses liens avec son fils Cupidon, équivalent de l’adolescent Éros grec (d’où provient érotisme), que l’imagerie populaire présente comme un enfant faisant naître le désir du tir de sa flèche. On accentue ainsi la dimension non raisonnée de la passion soudaine, dont on retrouvera le côté inquiétant dans le mot vénérien, d’abord ne se rapportant qu’au plaisir amoureux, et associé de nos jours aux maladies transmises lors de rapports sexuels. De relation moins évidente, Vénus est aussi de la même origine que le verbe vénérer (honorer les divinités) et le nom venin, qui a jadis désigné toute préparation de plantes aux effets magiques, avant de ne nommer que ce qui empoisonne. C’est aussi le cas de la cupidité, mot dérivé de Cupidon, qui a désigné d’abord un désir amoureux excessif et fini par ne concerner que la rapacité en affaires. Et en matière de dogme chrétien, on reconnaîtra la même parenté négative avec le péché véniel, lequel pouvait dans les anciennes religions être pardonné par les dieux. 

Ces diverses relations entre la Vénus de notre vendredi ne sont d’ailleurs pas sans rappeler que les plus anciennes croyances liaient toute magie et tout mystère à la divinité souveraine de la Terre Mère, jusqu’à ce que les dieux occidentaux masculins ne remplacent peu à peu Ishtar, Inanna et Gaïa. Le jour d’avant la fin de la semaine est ainsi placé sous la figure souveraine d’une planète amoureuse, mais aussi du danger, entre autres, que nous courons de ne pas respecter celle qui nous porte.

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