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Les progrès se font attendre
Émilie Corbeil – Juin ─ Le mois de l’eau. Une occasion de se rappeler que les progrès se font toujours, malheureusement, attendre. Le Québec entier nage en eaux troubles. Ses sources d’eau potable de surface sont polluées, ses nappes phréatiques sont pompées sans faire l’objet de plans de durabilité, ses égouts municipaux sont pour la plupart inadéquats et ses milieux humides sont mis à mal. Le Journal s’est entretenu avec Rébecca Pétrin, directrice générale d’Eau Secours et Alain Saladzius, cofondateur et président du conseil d’administration de la Fondation Rivières.
Un flushgate à la grandeur du Québec
D’entrée de jeu, on pourra ici faire un exercice de comparables : en 2017, les Municipalités québécoises ont procédé à quelques 62 000 surverses d’eaux usées non traitées dans les cours d’eau, alors que nos voisins ontariens n’en avaient fait que 1300, selon Eau Secours. En 2018, 53 645 déversements ont eu lieu dans la belle province, soit plus de 147 en moyenne par jour, selon les données recueillies par la Fondation Rivières.
Pour Mme Pétrin, qui a précisé que plus de 50 % de la population du Québec puise son eau potable des eaux de surface, le tout revêt un caractère alarmant. En effet, les déversements d’eau non traitée viennent directement souiller les sources d’eau potable de la majorité des Québécois, eau qui devra subir des traitements beaucoup plus agressifs afin d’être décontaminée.
Le récent bilan de la Fondation Rivières nous informait que sept Municipalités sur 10 polluent toujours les rivières. Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements climatiques (MELCC) y est sévèrement pointé du doigt, alors qu’il n’exige pas des Municipalités qu’elles mettent leurs installations vétustes à jour et leur laisse huit ans pour se conformer aux normes lorsque leur développement surpasse leurs capacités de traitement.
Les Municipalités seraient par ailleurs laissées à elles-mêmes, faute d’avoir « l’expertise, les ressources ou le soutien nécessaire pour sélectionner les solutions les mieux adaptées à leurs besoins et pour remplir les conditions leur permettant d’obtenir des subventions ».
Il appert, toujours selon le bilan de la Fondation Rivières, que les subventions accordées par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation « ne tiennent pas compte des priorités d’assainissement à l’échelle des bassins versants ».
Pour Alain Saladzius, il est totalement inacceptable de voir les Muni-cipalités se développer à crédit et de constater la lenteur avec laquelle les normes censées être déjà en vigueur sont appliquées par le MELCC. Notamment, ce dernier doit émettre une attestation d’assainissement pour chaque Municipalité depuis 2014. À ce jour, il n’en a émis aucune. Ces attestations visent pourtant à établir le nombre maximal de surverses que peuvent tolérer les différents bassins versants et à édicter les normes de traitement à atteindre.
Pomper à l’aveugle
Pour ce qui est des sources d’eau souterraine, Mme Pétrin explique que la problématique demeure dans leur caractérisation en vue d’établir des plans de durabilité. En effet, ces sources se remplissent lentement. Si le rythme de pompage dépasse leur capacité de renouvellement, elles s’assèchent, tout simplement.
La consommation agricole et industrielle accapare la majeure partie de l’eau souterraine puisée, et il est pour l’heure impossible de connaître les volumes qui sont prélevés. Plusieurs localités, sans savoir, pourraient être à risque de voir leur source d’eau souterraine se tarir.
À titre d’exemple, il est connu que les embouteilleurs d’eau au Québec en ont puisé environ 2 milliards de litres en 2017. Par contre, impossible pour l’instant de dire quelle compagnie et à quel endroit. Eau Secours est par ailleurs en démarches auprès de la Commission d’accès à l’information à cet effet.
Milieux humides asséchés
En 2018, nous perdions 450 hectares de milieux humides. Malgré les nouvelles normes qui en obligent la protection et prévoient des compensations financières en vue de recréer les espaces perdus, partout au Québec, on fait le triste constat de leur disparition progressive. Si beaucoup de milieux humides sont perdus au profit de terres agricoles, on ne peut nier l’impact actuel du développement urbain.
Pourtant, Mme Pétrin et M. Saladzius ont tous deux souligné la grande importance des milieux humides, qui retiennent et filtrent l’eau. Se priver de leurs loyaux services mène directement à la catastrophe et leur disparition tient lieu de dossier prioritaire pour les deux organismes.
La rivière du Nord n’est pas épargnée
Le Journal en a traité plusieurs fois : La rivière du Nord est polluée. Des surverses d’égouts municipaux ont lieu régulièrement et les seuils de contamination aux coliformes fécaux dépassent fréquemment la limite pour y permettre la baignade.
Malheureusement, l’eau de la rivière n’est pas analysée en continu. Alain Saladzius assure au Journal que c’est ce que son organisme préconise. Si, par exemple, on pouvait analyser la qualité de l’eau en continu à la station de filtration de Saint-Jérôme, on pourrait faire des liens entre certains événements et la qualité de l’eau afin de trouver et de régler les problèmes de contamination à la source. Il deviendrait aussi possible d’aviser la population en temps réel lorsque la baignade ou les usages récréatifs sont proscrits.
Présentement, ABRINORD, l’organisme responsable du bassin versant, procède à des analyses mensuelles à plusieurs endroits dans la rivière. Il est cependant difficile de croiser ces données avec les surverses et impossible d’aviser la population lorsque les contacts avec l’eau sont susceptibles de causer des problèmes.