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Nommer la maladie
Gleason Théberge – Les humains ne partagent évidemment pas que les virus. Nous avons besoin des autres pour assurer notre survie. Nous ne pouvons que nous influencer, même si nos fréquentations nous rendent malades de mots ou de maux. L’évolution des connaissances médicales a ainsi permis de distinguer et nommer diverses infections, un mot qui a le sens de « pensée impure » dans la Bible et désigne désormais ce qui souille physiquement. On distinguera, d’ailleurs, infecter (contaminer) et infester (envahir), lequel s’applique principalement à la vermine.
Le mot féminin influenza, maladie contagieuse de nos jours plutôt appelée grippe (agripper, saisir), évoque d’ailleurs l’influence qui affecte. Et la contagion est de la même famille que le contact. De la même origine, contaminera remplacé contagionner (souiller par contact), créant le mot contamination.
Celle du virus qui nous affecte ces temps-ci vient de sa forme de boule entourée comme en couronne. Il est dit coronavirus, au masculin, à l’égal de celui qui a généré en 2002 et 2003 le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère). On l’a peu connu sous son nom spécifique de SRAS-CoV, mais les mêmes lettres Co(rona)-vi(rus) auxquelles s’ajoutent le d(du disease anglais, qui signifie « maladie ») et le 19 (de sa date d’apparition en 2019) servent à désigner la Covid-19. On s’étonnera peut-être d’entendre parler de la Covid-19, au féminin; mais la nuance est ici créée parce qu’on désigne la maladie plutôt que le virus lui-même, dont le nom officiel est SRAS-CoV-2.
Soigner, lui, se rapporte à deux types d’activités, que la forme du mot « soin » distingue. Dans un hôpital, on offre des soins (traitements); dans d’autres tâches on travaille avec soin (application). Le pluriel pour les unes, et le singulier pour les autres.
Ces temps-ci, c’est en se plaçant en quarantaine qu’on prévient la contamination. Or, le nombre 40 de la durée du Déluge de la Genèse est aussi présent dans d’autres sociétés humaines. Il évoque 40 jours de jeûne (Jésus au désert), de funérailles (chez les Peuls, en Afrique), de veuvage (dans l’Amérique des Amérindiens, avant l’arrivée des virus européens) ou le début d’un nouveau cycle (le Bouddha commence son témoignage à 40 ans)*. Il ne sera pas inutile de souligner qu’une pareille présence en quelque sorte universelle ne puisse provenir que d’un phénomène humain essentiel. Or, c’est précisément le nombre habituel de semaines de grossesse qui précèdent la naissance d’un enfant, et que l’habitude transforme en neuf mois.
On peut y voir un encouragement certain, et sans doute une promesse de transformation sociale. Naître (renouveler la race) et re-naître (se réincarner) ne sont-ils pas au cœur de tout espoir?
- Jean CHEVALIER et Alain CHEERBRANT. Le dictionnaire des symboles, Laffont, 1969 et 1982