Pesticides et fertilisants

Weed Man - journal des citoyens
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Quel besoin, quels impacts ?

Émilie Corbeil – Le 19 janvier dernier, la petite Municipalité de Sainte-Anne-des-Lacs gagnait contre le géant de l’entretien de pelouses Weed Man, qui contestait la validité de sa réglementation visant l’épandage de pesticides et de fertilisants de synthèse. Le recours à l’épandage ayant de plus en plus mauvaise presse, il est temps de se questionner sa pertinence et d’analyser ses effets sur l’environnement et la santé humaine.

Des produits homologués, mais nocifs

Chez Weed Man, on n’utilise que des produits homologués et admis par les lois tant fédérales que provinciales pour le traitement des pelouses. Pourtant, une courte recherche nous porte à penser que les pesticides de synthèse utilisés n’ont rien d’anodin.

Ainsi, le chlorantraniliprole, un insecticide voué à remplacer les néonicotinoïdes, pourrait bien faire plus de mal que de bien. L’attention du public s’est tournée vers les néonicotinoïdes parce qu’ils sont soupçonnés d’être des tueurs d’abeilles. Le chlorantraniliprole, moins connu, fait moins peur. Faiblement toxique pour les abeilles, il l’est par contre extrêmement plus pour les invertébrés aquatiques. Par ailleurs beaucoup plus soluble, on le rencontre dans de plus en plus de cours d’eau au Québec.

Le Dicamba, quant à lui, est un herbicide voué à remplacer le désormais impopulaire glyphosate. Pourtant, son innocuité n’est pas davantage assurée que celle de son prédécesseur. Extrêmement volatile, il suscite par ailleurs déjà la polémique aux États-Unis pour avoir contaminé des champs agricoles qui auraient dû en être exempts. 

Les pyréthrinoïdes (pyréthrine, deltaméthrine), de leur côté, sont en réexamen concernant leur potentiel cancérigène et font partie de la famille des perturbateurs endocriniens. Ils contaminent les eaux souterraines en campagne et les réseaux d’aqueduc en zone urbaine. 

Le FeHEDTA, ou fer chélaté, un herbicide, serait le produit de synthèse le plus doux pour l’environnement actuellement en usage. On suspecte toutefois des effets sur le développement, et des tests ont démontré que le produit est fortement tératogène pour les rongeurs s’il est ingéré. Il est extrêmement irritant et corrosif pour les yeux et présente des risques d’accident, particulièrement pour les enfants.

Notre gazon, qu’y met-on vraiment ?

En 2017, le franchisé Weed Man de Laurentides-Lanaudière, celui-là même qui poursuivait la Municipalité des Sainte-Anne-des-Lacs, ainsi que 9 autres entreprises similaires, étaient mis à l’amende par Santé Canada pour avoir fait illégalement usage de chlorpyrifos et/ou de diazinon, des pesticides bon marché très efficaces, mais strictement interdits pour un usage résidentiel puisqu’ils sont hautement toxiques, particulièrement pour les enfants. 

Il faut dire que lorsqu’une compagnie d’entretien procède à un épandage, il est difficile, voire impossible, pour le client de s’assurer du produit qui est utilisé. Personne ne peut attester ce qui est épandu sur la pelouse à moins de prendre des échantillons et de faire faire des tests de laboratoire coûteux. Cette condamnation démontre hors de tout doute la fragilité d’un système hyper compétitif où le client n’a que l’efficacité des traitements en tête pour justifier la pertinence de son investissement. Les produits moins toxiques sont souvent moins efficaces. 

Un mot sur la pertinence des traitements de pelouse (et de la pelouse elle-même)

Que dire au sujet de la pelouse ? Elle est pratique, confortable, nous évite de faire pénétrer des tonnes de boue, de terre et de sable dans la maison. Elle est jolie. Elle fait propre. Et pourtant… 

Avoir une pelouse immaculée équivaut à entretenir une surface agricole en monoculture tout en éliminant tout ce qui pourrait s’y cultiver. 

Exit les dicotylédones, elles n’ont pas la classe ! 

Le trèfle (même celui à quatre feuilles), le pissenlit (bonheur historique des mères qui le reçoivent de leurs enfants), le fraisier sauvage (qui produit un des délices les plus fins et les plus rares au monde), les oxalides à fleurs jaunes (délicieuses et légèrement acidulées), le bouton-d’or (si joli), le lierre terrestre (dont les bourdons semblent amoureux) et le grand plantain (complément alimentaire précieux pour les oiseaux), sont à éliminer, puisqu’elles n’ont pas fière allure sur une surface que l’on veut bien mono : monogène, monochrome, monotexture, monotone. À bas l’exploration. Partout, on verra le même brin d’herbe; un champ de clones qui attire le regard distrait et laisse mourir d’ennui le regard curieux.

Et que dire de la surface naturelle, non tonte ? Est-ce bien nécessaire de tout aménager ? N’est-il pas préférable de laisser, un peu, la nature à son œuvre ? D’y apprécier la fougère, la centaurée noire, la marguerite, le framboisier et la menthe sauvage ? De rire avec nos enfants qui s’amusent à faire exploser des impatientes du cap ? D’y voir l’attrait d’un milieu à la hauteur de ce qu’il veut bien être ? 

Et si tant est que l’on veuille avoir une belle pelouse, il veillera à ne pas la tondre trop courte, ainsi qu’à laisser les rognures de gazon alimenter le sol. Nul besoin d’utiliser, ainsi, des engrais qui, immanquablement sont lessivés dans les cours d’eau et viennent précipiter leur eutrophisation. 

Pour ce qui est des vers blancs, la solution, toute simple, consiste en la conservation d’un milieu diversifié. Ils ne mangent pas de dicotylédones…

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